Au-delà du Brexit, il faut refonder la démocratie nationale avant de relancer la construction européenne
Par Jean-Luc Sauron, Haut fonctionnaire chargé d'affaires européennes, Professeur à l'Université Paris-Dauphine

Le Brexit est un leurre. Plus que l'Union européenne, c'est le dysfonctionnement de la démocratie britannique qui explique le résultat. L'Union européenne marche sur la tête, mais ne nous trompons pas de diagnostic. Sinon, le remède choisi pourrait tuer le malade.

Reprenons les faits: un Premier ministre sortant inquiet de sa réélection en 2013 promet un référendum sur la sortie de l'Europe, Premier ministre connu pour son euroscepticisme. Il accélère le rythme en 2015-2016, ses partenaires franco-allemands lui expliquant que 2017 n'est pas, du fait de leurs propres calendriers électoraux, une "bonne année".



Ce Premier ministre négocie alors un accord qui remettait en cause la libre circulation des personnes au sein de l'Union en limitant leurs droits sociaux dans le pays où ils se sont installés, qui compliquait le processus de décision en facilitant la possibilité pour un Parlement national de bloquer un texte de droit de l'Union, et qui mettait à bas le socle de l'aventure européenne en donnant la possibilité à ceux qui ne voulaient pas suivre les intégrations futures de le faire. Ces concessions étaient fragiles pour les partisans du Brexit qui craignaient les atermoiements des États membres à mettre en œuvre lesdites concessions. Ils ont choisi une voie plus directe pour les mettre en place: l'indépendance.



Le niveau zéro de la démocratie. La campagne référendaire britannique constitue un non-sens démocratique. Le Premier ministre menaçait les électeurs d'une fin du monde s'ils votaient en faveur d'une sortie qu'il avait lui-même organisée. Ses challengers faisaient campagne soit pour lui prendre sa place (Boris Johnson), soit pour gagner sans avoir la moindre idée de ce qu'ils devraient faire ensuite (dixit Nigel Farage dans la presse britannique).Pour sa part, le parlement britannique est massivement en faveur du Remain.

Les Anglais, d'en bas, ont voulu dire aux Anglais, d'en haut, qu'ils pensaient ne pas être écoutés par leurs représentants. Il est fait référence ici aux seuls Anglais, les autres peuples du Royaume "-Uni" (Écossais, Irlandais du Nord et même Gallois) ayant plutôt voté pour le Remain. L'enjeu majeur de ce référendum était non pas l'appartenance à l'Union, mais le sentiment des classes populaires et moyennes qu'ils n'avaient plus le droit au chapitre, qu'ils n'étaient pas entendus, que leurs angoisses et leur déclassement n'intéressaient pas ceux dont, pourtant, c'est le métier (politiciens). Une grande partie des dirigeants britanniques n'ont que peu idée des difficultés rencontrées par leur concitoyens. Ces derniers viennent de se rappeler à leurs bons souvenirs.



L'actuelle théâtralisation du discours politique sur le Brexit n'est pas la réponse adaptée. Depuis l'annonce des résultats, les appels au sursaut, les annonces d'un mieux d'Europe sur des domaines, qui ont déjà fait l'objet de tant de promesses non concrétisées, ne sont pas la réponse adaptée. Le rappel des horreurs connues par l'Europe durant la Seconde Guerre mondiale, les émotions ressenties et racontées sans discontinuer ne sont pas la réponse adaptée. Les discours sur la rapidité de la procédure de Brexit et sur les sanctions qui vont être imposées, indirectement, aux Britanniques n'ont aucune crédibilité.

La capacité décisionnelle des États membres est faible, voire inexistante. La France et l'Allemagne n'ont aucune marge de manœuvre du fait de leur calendrier politique interne jusqu'au printemps 2017. L'Espagne aura suffisamment de difficultés à gérer son déficit budgétaire qui dérape pour être amenée à s'intéresser à l'avenir de l'Europe. L'Italie attend son référendum constitutionnel pour l'automne et l'éventuelle chute de Matteo Renzi. L'Autriche n'est pas à l'abri d'une nouvelle élection présidentielle dans une atmosphère assez délétère. La Grèce vend ses îles pour survivre. Le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque) divisé sur ses relations avec la Russie est réuni sur sa volonté de ne pas gérer les flux de réfugiés. Les Néerlandais s'interrogent sur un second référendum sur le Nexit (la sortie de l'UE). Le Conseil européen des 28-29 juin prochains, se réunissant à Bruxelles et non à la grotte de Massabielle à Lourdes, ne devrait pas constituer un moment décisionnel fort.

Le Brexit est un révélateur, au sens photographique du terme, de la crise démocratique que traversent les pays de l'Union européenne, et la France comme les autres. Le véritable chantier est national. Une fois cette sociabilité politique reconstruite dans tous les États membres, ou du moins les plus importants, l'Union européenne pourra reprendre sa marche. Les marchés réagiront "bien" à condition qu'ils aient le sentiment que les Européens ne répondent pas à la va-vite sur le coin de la table du Conseil européen en format communication, mais qu'ils prennent le temps de poser les termes du débat en y apportant une réponse fondée et adaptée.



Je ne parlerai pas des 26 autres États membres. Je n'évoquerai que le cas de la France. Elle peut redevenir un exemple à suivre en se donnant les moyens de sa légitime ambition de grandeur.

Quatre axes pourraient être suivis pour rebâtir la démocratie française

1) Arrêter de se raconter des histoires. Les manifestants contre la loi travail expliquent qu'ils font cela pour leurs enfants et petits-enfants (comme les votants britanniques pro-Brexit). Mais que devons-nous éviter en premier de laisser en héritage à nos enfants? La dette, cette dette qui nous a été transmise par nos aînés et que nous tentons de transmettre à notre tour à la génération suivante. Oui, la seule question qui vaille d'être traitée en priorité, ce n'est pas la réforme du code du travail, mais celle de savoir qui va supporter cette gigantesque dette? Il n'existe que deux réponses: soit la génération des actifs d'aujourd'hui et des retraités actuels, soit la génération qui vient. Une fois ce problème posé, il faudra y donner publiquement une réponse, et ceci sans avoir recours à l'échappatoire du "à qui la faute?" en rejetant la charge sur tel ou tel groupe social. Chacun doit être mis à contribution selon ses capacités. Pas de socle commun, sans justice sociale.



2) Redonner à l'appareil d'État, son efficacité et sa justification. Partout en Europe, l'État organise et structure les conditions d'une vie en société. Ce qui est bon pour un territoire immense et peu peuplé, sans culture étatique ancienne (les États-Unis, un État-continent), ne l'est pas pour un continent d'États comme l'Union européenne. Tout un chacun, n'-a-t-il jamais réfléchi à la masse de travail, d'énergie et d'organisation que demandent les services publics? Ces services sont la marque de notre solidarité, de notre coexistence. Sans État, sans services publics, pas de sécurité, pas de possibilité de développement économique, pas de bien-être. La traduction de leur affaiblissement se retrouve dans la violence qui règne dans la société, dans les transports bondés et défectueux, ou encore dans les injustices de parcours scolaires. Le décalage, le fossé entre le discours politique et les réelles conditions de vie sont en train de faire exploser notre société, comme toutes les autres sociétés européennes. Là encore, le choix est simple: soit une rénovation politique et sociale, soit l'apparition d'un État autocratique et son cortège de violences.



3) Réfléchir à de nouveaux modes d'expression et de gestion des conflits sociaux. Le monde ne sera jamais parfait mais les modes traditionnels de luttes sociales ne fonctionnent plus. Ils ne provoquent que raidissement des parties, violences et insatisfactions. Là encore, ouvrons les échanges entre partenaires sociaux en les rendant publics (télévision, compte-rendu) et accompagnons chaque revendication d'un coût-avantage pour l'entreprise et pour la catégorie sociale concernée. Ceci serait bien sûr aussi valable pour les organisations patronales. Cherchons de nouveaux modes de communication-négociations sociales: conférence annuelle publique et bilan public des engagements pris. La France, comme le reste de l'Europe n'a plus les moyens des grands soirs, mais elle dispose d'énergie et d'intelligence pour bâtir une économie plus solidaire.

4) Redonner au système politique sa capacité décisionnelle et représentative. Les Français ont construit l'Europe comme s'ajoutant à la "couche nationale" sans aucune synergie ou économie de structures. Prenons notre pays: nous avons plus de 500.000 postes d'élus et nos représentants nationaux (Assemblée nationale et Sénat) approchent le millier! En Inde, plus d'un milliard d'habitants, 700 élus fédéraux. A cela s'ajoutent le Parlement européen, le Comité des régions, etc. Nous devons au niveau national simplifier le circuit décisionnel et représentatif autour des fonctions législative, exécutive et de contrôle, et au niveau européen, repenser les États comme les parties d'un tout (l'Union européenne).
A chaque nation de retrouver le chemin d'une démocratie apaisée et représentative.

25 Juin 2016

Abonnez-Vous au Huffington Post

Retour à l'Europe

Retour au sommaire

 
INFORMATIQUE SANS FRONTIERES • Paris •   
Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact