Le Discours sur l'Union européenne de Jean-Claude Juncker LE MONDE ECONOMIE | 13.09.2017 à 10h55 • Mis à jour le 13.09.2017 à 11h30 |
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Le
président de la Commission européenne propose de gros changements
institutionnels mais ne prône ni Parlement ni budget spécifique pour la
zone euro.
Voulu
par le président Emmanuel Macron, le débat sur l’avenir de la zone euro
est d’ores et déjà lancé. Mercredi 13 septembre, Jean-Claude
Juncker, le président de la Commission européenne, a apporté sa pierre
à l’édifice. Parfait connaisseur de ce sous-ensemble de l’Union
européenne (UE) pour avoir présidé huit années durant son « comité
de pilotage », l’Eurogroupe, M. Juncker a cependant
développé, dans son « discours sur l’état de l’Union », une
vision différente de celle du chef de l’Etat français.
L’ex-premier ministre luxembourgeois ne prône ni Parlement ni budget
spécifique pour la zone euro (et ses 19 membres), contrairement à
M. Macron, qui a promis de porter ces réformes lors de sa campagne
pour la présidentielle. Et a redit ses intentions dans son discours sur
la démocratie européenne d’Athènes, le 7 septembre.
Par souci de réalisme et d’efficacité, M. Juncker propose des
changements institutionnels importants, mais ne nécessitant ni
créations d’institutions supplémentaires ni modification des traités
européens – un processus politique devenu hasardeux dans l’Union, après
les non français et néerlandais à la Constitution européenne
en 2005 ou, plus récemment, le vote en faveur du Brexit… Par
ailleurs, pourquoi créer des sous-structures alors qu’à terme zone euro
et UE ont vocation à se confondre, surtout après le départ du
Royaume-Uni de l’Union, estime-t-on à Bruxelles ?
Un superministre-commissaire à l’économie
M. Juncker propose de fusionner le poste de président de
l’Eurogroupe (le club des ministres des finances de l’eurozone) avec
celui de vice-président de la Commission européenne, qui serait aussi
le commissaire à l’économie. Ce « ministre européen des finances
et de l’économie » pourrait aussi prendre la tête du Mécanisme
européen de stabilité (MES), le fonds de secours lancé en urgence,
en 2012, en pleine crise des dettes souveraines dans l’Union, pour
venir en aide à la Grèce en faillite.
Il s’agirait de créer le pendant, pour les sujets économiques, du poste
occupé actuellement par l’Italienne Federica Mogherini, la haute
représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité. Le superministre-commissaire à l’économie serait, par
ailleurs, responsable devant le Parlement européen (comme tous les
commissaires), ce qui permettrait de répondre à la demande d’un
contrôle démocratique accru, qui s’est largement exprimée dans les
opinions publiques, s’agissant de l’Eurogroupe et de sa gestion de la
crise grecque, jugée beaucoup trop opaque.
L’actuel président de la Commission suggère aussi que le MES, premier
créancier de la Grèce, qui dispose d’un capital important de
700 milliards d’euros (largement inexploité), soit
« communautarisé », alors que pour l’instant il a le statut
d’une organisation internationale. Et qu’il devienne un véritable Fonds
monétaire européen (FME), ce que souhaitent aussi les Allemands. Une
transformation logique : le fonds, basé au Luxembourg, se
substituerait au Fonds monétaire international, dont une grande partie
des dirigeants européens veulent désormais se passer.
En revanche, pour M. Juncker, pas question de déposséder la
Commission du contrôle des budgets des Etats membres au profit de ce
futur FME, comme le voudrait l’intransigeant ministre allemand des
finances, Wolfgang Schäuble.
Un calendrier pour peser dans le débat
Par ailleurs, le président de la Commission n’exclut pas doter la zone
euro de ressources propres, mais en se contentant d’aménager une ligne
spécifique, « forte », dans le budget actuel de l’UE (environ
150 milliards d’euros annuels). A quoi servirait-elle ? A
venir en aide aux Etats membres victimes d’un « accident »
budgétaire : catastrophe naturelle, etc. Une partie de l’argent
pourrait aussi être allouée aux pays engagés dans le processus
d’adhésion à la zone euro.
M. Juncker a même un calendrier en tête pour ce train de
réformes : son institution les déclinera en propositions
législatives le 6 décembre. Dans l’idéal, l’adoption définitive
interviendrait en mars 2019, juste au moment du Brexit. Un vrai
pied de nez aux Britanniques…
Ce timing ne doit rien au hasard. La Commission entend peser dans un
débat qui la concerne au premier chef, alors que le président Macron
devrait détailler ses projets de réformes dès fin septembre, juste
après les élections législatives allemandes (le 24 septembre). A
la Commission, on insiste sur le fait que la vision du Luxembourgeois
ne diffère pas tant que cela de celle du Français.
Le président de la Commission, plus prudent, voudrait travailler à
créer des ponts avec Berlin. La ligne de ce spécialiste des synthèses
franco-allemandes ressemble en tout cas déjà au compromis qui pourrait
sortir de la négociation sur l’avenir de la zone euro qui va
s’enclencher cet automne entre M. Macron et la chancelière Angela
Merkel, qui devrait, selon toute vraisemblance, être reconduite pour un
quatrième mandat.
13 Septembre 2017
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Europe: ce qu'il faut retenir du discours de Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union
LE MONDE ECONOMIE | 13.09.2017 à 10h55 • Mis à jour le 13.09.2017 à 11h30 |
Par Serge Bardy
Le
président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a prononcé
aujourd'hui son discours sur l'état de l'Union 2017, devant les membres
du Parlement européen à Strasbourg, afin de présenter ses priorités
pour l'année à venir et d'exposer sa vision de la manière dont l'Union
européenne pourrait évoluer d'ici à 2025.
«L'Europe
a de nouveau le vent en poupe. Mais nous n'irons nulle part si nous ne
profitons pas de ces vents favorables. [...] Nous devons nous fixer une
orientation pour l'avenir. Comme l'a écrit Mark Twain, quand les années
auront passé, nous serons plus déçus par les choses que nous n'aurons
pas faites que par celles que nous aurons faites. Le moment est venu de
bâtir une Europe plus unie, plus forte et plus démocratique d'ici à
2025.»
Voici les principaux messages du discours sur l'état de l'Union 2017
Le vent en poupe. «Dix
ans après le déclenchement de la crise, l'Europe connaît enfin un
rebond économique. Et avec lui, un regain de confiance. Les dirigeants
de notre Union européenne à 27, le Parlement et la Commission sont en
train de remettre l'Europe au cœur de l'Union. Tous ensemble, nous
remettons de l'Union au cœur de l'Union.»
Commerce. «Nos
partenaires du monde entier commencent à se présenter en nombre à notre
porte pour conclure des accords commerciaux avec nous. [...] Et
aujourd'hui, nous proposons d'ouvrir des négociations commerciales avec
l'Australie et la Nouvelle-Zélande.» «Permettez-moi de vous le dire une
fois pour toutes: nous ne sommes pas des partisans naïfs du
libre-échange. L'Europe défendra toujours ses intérêts stratégiques.
C'est la raison pour laquelle nous proposons aujourd'hui un nouveau
cadre de l'UE sur l'examen sélectif des investissements.»
Industrie. «Je
suis fier de notre industrie automobile. Mais je suis choqué quand
clients et consommateurs sont sciemment et intentionnellement trompés.
J'invite l'industrie automobile à faire amende honorable et à corriger
le tir.» Nous présentons aujourd'hui une nouvelle stratégie
industrielle pour l'Europe qui permettra à notre industrie de rester ou
de devenir le numéro un mondial en matière d'innovation, de
numérisation et de décarbonisation.»
Lutte contre le changement climatique. «Face
à l'affaissement des ambitions dont font preuve les États-Unis,
l'Europe va faire en sorte de rendre grande la planète qui est la
patrie indivisible de l'humanité tout entière.»
Cybersécurité. «Les
cyberattaques peuvent être plus dangereuses pour la stabilité des
démocraties et des économies que les fusils et les chars. [...] C'est
pourquoi la Commission propose aujourd'hui de nouveaux outils, et
notamment une Agence européenne de cybersécurité, pour mieux nous
défendre contre ces attaques.»
Migration. «L'Europe
est, et restera le continent de la solidarité où doivent pouvoir se
réfugier ceux qui sont poursuivis pour des raisons inacceptables.»
«Nous avons des frontières communes mais les États qui sont en première
ligne du fait de leur situation géographique ne doivent pas être les
seuls responsables de leur protection. Frontières communes et
protection commune doivent aller ensemble.» «Je ne peux pas parler de
migration sans rendre un hommage appuyé à l'Italie pour sa persévérance
et sa générosité. [...] [L]'Italie sauve l'honneur de l'Europe en
Méditerranée.
Mettons les voiles.
«Aujourd'hui, le moment est venu de tirer les premières conclusions du
débat sur l'avenir de l'Europe. Le moment est venu de passer de la
réflexion à l'action. Du débat à la décision. Je voudrais aujourd'hui
vous présenter ma vision: mon sixième scénario à moi.» «Pour moi,
l'Europe est un projet plus vaste que le simple marché unique, la
monnaie, l'euro. Elle a toujours été une question de valeurs. » D'est
en ouest: «l'Europe s'étend de Vigo en Espagne à Varna en Bulgarie.
D'est en ouest: l'Europe doit respirer avec ses deux poumons. Sinon,
notre continent risque de manquer de souffle».
Détachement des travailleurs.
: «Dans une Union où tous sont égaux, il ne peut y avoir de
travailleurs de seconde classe. Quand on travaille sur un même lieu, on
doit toucher le même salaire pour le même travail.»
Une
Autorité européenne du travail. : «Il y a quelque chose d'absurde à
disposer d'une Autorité bancaire pour faire appliquer les normes
bancaires, mais pas d'une Autorité commune du travail pour veiller au
respect de l'équité dans notre marché unique. Nous allons en créer une."
Double niveau de qualité des denrées alimentaires. «Dans
une Union où tous sont égaux, il ne peut y avoir de consommateurs de
seconde classe. Je n'accepterai pas que dans certaines régions
d'Europe, les gens se voient proposer des produits alimentaires de
moindre qualité que dans d'autres pays [...] Les Slovaques ne méritent
pas d'avoir moins de poisson dans leurs bâtonnets de poisson, les
Hongrois moins de viande dans leurs repas, ou les Tchèques moins de
cacao dans leur chocolat.»
État de droit. «En
Europe, la force de la loi a remplacé la force des armes [...] L'état
de droit n'est pas optionnel dans l'Union européenne. C'est une
obligation.» «Les jugements de la Cour doivent être respectés par tous.
S'attaquer à cela, ou saper l'indépendance des juridictions nationales,
c'est dépouiller les citoyens de leurs droits fondamentaux.»
Zone euro. «Si
nous voulons que l'euro unisse notre continent plutôt que de le
diviser, il faut lui donner une autre envergure que la monnaie d'un
petit club de pays. L'euro a vocation à devenir la monnaie unique de
toute l'Union européenne.»
Élargissement. «Nous
devons continuer d'offrir des perspectives d'élargissement crédibles
aux Balkans occidentaux [...] Il est clair qu'il n'y aura pas de nouvel
élargissement au cours de [ce] mandat [...] mais, par la suite, l'Union
européenne comptera plus que 27 États membres.»
Turquie. «Depuis
un certain temps, la Turquie s'éloigne à pas de géants de l'Union
européenne. » «La place des journalistes est dans les rédactions, là où
règne la liberté d'expression. Leur place n'est pas dans les prisons.»
«J'en appelle aux autorités turques: libérez les journalistes.»
Ministre européen de l'économie et des finances. «[I]l
nous faut un ministre européen de l'économie et des finances: un
ministre européen qui encourage et accompagne les réformes
structurelles dans nos États membres.» «Nous n'avons pas besoin de
structures parallèles [...] Le Parlement européen est le Parlement de
la zone euro.»
Lutte contre le terrorisme. «J'appelle
à la création d'une cellule européenne de renseignement chargée de
veiller à ce que les données relatives aux terroristes et aux
combattants étrangers soient automatiquement échangées entre les
services de renseignement et avec la police.»
Mieux légiférer. «Nous
ne devons pas agacer les citoyens européens avec des règlements qui
régissent les moindres détails de leurs vies [...] Nous ne devons pas
proposer sans cesse de nouvelles initiatives mais rendre des
compétences aux gouvernements nationaux dans des domaines où cela fait
du sens.» «C'est pourquoi je créerai avant la fin du mois une task
force «Subsidiarité et proportionnalité», qui procédera à un examen
très critique de tous les domaines politiques, afin d'assurer que nous
agissions uniquement là où l'UE apporte une valeur ajoutée.»
Réforme institutionnelle. «L'Europe
fonctionnerait mieux si elle se rationalisait davantage et si le navire
européen était piloté par un plus petit nombre de capitaines [...] Le
fait d'avoir un seul président refléterait mieux la véritable nature de
notre Union européenne, à la fois comme Union d'États et comme Union de
citoyens.» «Qui veut renforcer la démocratie européenne ne peut pas
accepter que le progrès démocratique que constitua l'innovation des
têtes de liste – "Spitzenkandidaten" – ne soit pas renouvelé.»
Feuille de route.
«Notre avenir ne peut rester un scénario [...] C'est aujourd'hui que
nous devons préparer l'Union de demain.» «Le 30 mars 2019, nous serons
une Union à 27.Je propose que nous nous y préparions bien, au sein des
27 et au sein des institutions européennes.» «Mon espoir est que le 30
mars 2019, les Européens se réveilleront dans une Union où nous
défendrons tous nos valeurs. Où tous les États membres respecteront
vigoureusement l'état de droit. [...] Où nous aurons consolidé les
fondements de notre Union économique et monétaire afin de pouvoir
défendre notre monnaie unique dans toutes les circonstances, bonnes ou
mauvaises, sans avoir à recourir à une aide extérieure. [...]
Où un président unique conduira les travaux de la Commission et du
Conseil européen, après avoir été élu à l'issue d'une campagne
électorale pan-européenne démocratique.» Il ne suffit pas de réparer le
toit. Nous devons commencer à terminer le travail maintenant.
Maintenant qu'il fait beau, et tant qu'il fait encore beau. [...]
Alors, larguons les amarres. Mettons les voiles. Et profitons des vents
favorables.»
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