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Les quatre « commandements » d’Emmanuel Macron pour l’Europe
Par LE MONDE | 10.05.2018 à 17h34 • Mis à jour le 10.05.2018 à 18h23 | Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
«
N’attendons pas », « n’ayons pas peur », « ne
soyons pas faibles », « ne soyons pas divisés », a
exhorté le président français à Aix-la-Chapelle, où il recevait le prix
Charlemagne.
Peut-être
était-ce l’écho, la majesté de cette salle du couronnement, dans la
mairie d’Aix-la-Chapelle, ex-capitale de l’empire carolingien ? Ou
la solennité du moment, alors qu’Emmanuel Macron recevait, jeudi 10 mai
Outre-Rhin, quasiment des mains d’Angela Merkel, le prix Charlemagne,
plus ancienne et plus prestigieuse récompense européenne ?
Le contraste était en tout cas saisissant entre la vision qu’a une
nouvelle fois développée le chef de l’Etat français pour l’Union, et la
mesure dont a – une nouvelle fois elle aussi – fait preuve la
chancelière sur le même sujet. S’adressant directement à elle, face à
un parterre essentiellement allemand – où on pouvait quand même
apercevoir Daniel Cohn-Bendit, François Bayrou, ou Jean-Claude
Trichet –, Emmanuel Macron a livré son discours le plus fort sur
l’Europe depuis celui de la Sorbonne, en septembre.
Animé par l’urgence (de trouver un plan commun de relance avec Berlin,
mais aussi de prémunir l’Europe face à la montée des périls au
Moyen-Orient suite à la décision américaine de se retirer de l’accord
nucléaire iranien), le chef de l’Etat français a exhorté l’Allemagne à
« prendre des risques », à ne « pas avoir peur » et
à en finir avec ses « fétiches ».
La France « a fait un choix dont je suis le dépositaire »
La France a les siens, a insisté M. Macron, qui fait le pari,
depuis un an, de rester dans les clous du pacte de stabilité et de
croissance : « En France, il ne faudrait plus toucher les
traités [européens]. Mais réveillez-vous, la France a changé, elle
n’est plus la même, elle a fait un choix dont je suis le dépositaire,
celui des réformes. » Quant à l’Allemagne, « il ne peut pas y
avoir non plus un fétichisme perpétuel pour l’équilibre budgétaire et
les excédents commerciaux ! »
L’ALLEMAGNE A DÉJÀ ENTERRÉ SON PROJET D’UN SUPER-MINISTRE DES FINANCES ET D’UN PARLEMENT DE LA ZONE EURO
A la Sorbonne, il y a maintenant huit mois, M. Macron a fait une
longue liste de propositions pour l’Union, notamment pour la zone euro,
sans que pour l’instant Berlin n’ait répondu franchement à sa main
tendue. L’Allemagne a déjà enterré son projet d’un super-ministre des
finances et d’un parlement de la zone euro. Reste l’idée d’un budget
propre, mais qui n’enthousiasme par le ministre des finances, Olaf
Scholz. A Bruxelles, on n’espère plus, au mieux qu’une modeste
« ligne budgétaire » (25 milliards d’euros sur
sept ans) dans le budget de l’Union post-Brexit.
M. Macron n’a pourtant rien cédé sur cette idée d’un budget
commun, jeudi : « Je crois dans un budget européen beaucoup
plus ambitieux dans lequel la France prendra sa part, qui défendra la
convergence économique, fiscale et sociale » dans l’eurozone.
Déroulant sur un mode très solennel ses quatre
« commandements » pour l’Europe, dont l’urgence à agir
(« n’attendons pas, c’est maintenant ! ») et la défense
des valeurs (« n’ayons pas peur de nos principes et ne nous
trahissons pas »), le chef de l’Etat français a aussi insisté sur
la nécessaire prise de conscience face aux Etats-Unis de Trump. Dans
une allusion transparente à la décision brutale et unilatérale du
président américain de se retirer de l’accord nucléaire iranien, il a
lancé un vibrant : « Ne soyons pas faibles, ne subissons pas
! »
Accord iranien et multilatéralisme
« Accepterons-nous la règle de l’autre ou sa tyrannie ? Qui
doit décider de nos choix commerciaux, ceux qui nous menacent parce que
les règles ne leur conviennent plus? Nous avons fait le choix de
construire la paix au Proche et au Moyen-Orient, d’autres puissances
ont choisi de ne pas respecter leur parole. Devons-nous céder à la
politique du pire ? » a martelé le président, qui a plusieurs
fois appelé, ces derniers jours, à sauvegarder l’accord iranien et à
préserver le multilatéralisme.
« LES ETATS-UNIS NE VONT PAS NOUS PROTÉGER. L’UE DOIT PRENDRE SON DESTIN EN MAIN »
C’est sur ce dernier point, la crise ouverte de la relation
transatlantique, que la chancelière Merkel a prononcé ses paroles les
plus fortes, jeudi. La politique étrangère européenne « n’en est
encore qu’à ses débuts car les conflits se jouent à nos portes et les
Etats-Unis ne vont pas nous protéger. L’UE doit prendre son destin en
main. Il s’agit d’une question de guerre ou de paix, j’appelle toutes
les parties prenantes à faire preuve de retenue », a t-elle
insisté, faisant référence à la montée des tensions entre Israël et
Iran ces dernières heures. « Nous devons renforcer nos efforts
pour trouver une solution politique à la Syrie. »
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Pour
le reste de sa laudatio, même si elle a loué le « charme » et la
« capacité » du président français à enthousiasmer les citoyens de
l’Union européenne, la chancelière n’a offert aucune ouverture,
notamment sur un budget pour l’eurozone, insistant au contraire sur les
priorités allemandes : la migration, la transformation digitale. Sur
l’eurozone, les discussions sont « difficiles mais nous allons faire
des progrès sur l’union bancaire et les marchés des capitaux », a
cependant promis la chancelière.
Dédramatiser les divergences franco-allemandes
Il devrait donc y avoir une feuille de route franco-allemande en juin.
Mais pour quelle ambition ? La politique des petits pas, qui semble
convenir à Berlin ? Juste un filet de sécurité supplémentaire pour
l’union bancaire, déjà quasi acquis depuis l’automne au sein de
l’Eurogroupe (les ministres des finances de l’eurozone) et quelques
engagements de long terme sur le financement de la transformation
digitale ?
POUR L’INSTANT, LE COMPROMIS EN DISCUSSION PARAÎT PLUS ALLEMAND QUE FRANÇAIS
Des deux côtés du Rhin, les diplomates ont l’habitude de dédramatiser
les divergences, jugées classiques, entre les Allemands et les
Français. Sur le commerce, la défense, l’économie, les « positions de
départ de Berlin et de Paris sont souvent éloignées, mais on finit
toujours par trouver un compromis, c’est ce qui fait la force du
franco-allemand », soulignent-ils. Certes, mais pour l’instant, le
compromis en discussion paraît plus allemand que français. Et pas
forcément à la mesure de cette « perspective de trente ans » que le
président Macron dit vouloir offrir aux citoyens de l’Union.
Il en va aussi de la crédibilité : le chef de l’Etat a beau être très
apprécié en Allemagne, comme dans les cercles bruxellois, pour son
ardeur à défendre l’Europe, il reste singulièrement isolé sur son
programme de réformes. Au Nord, les Néerlandais ou les Irlandais
incarnent les nouveaux « Britanniques » de l’Union (ils disent non à
une taxe digitale, non à davantage d’argent pour le budget de l’Union,
etc.). Au Sud, l’Italie pourrait se doter d’un gouvernement populiste
eurosceptique. A l’Est, les capitales ont d’autres priorités ou
développent des discours anti-Bruxelles inquiétants…
Quel poids aura encore la parole macronienne, si après les discours
d’Athènes, de la Sorbonne, au Parlement européen en avril, et
maintenant à Aix-la-Chapelle, elle n’arrive toujours pas à entraîner
les autres Européens sur le terrain de l’action ?
10 Mai 2018
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