|
Migrants : cacophonie européenne avant le mini-sommet de crise à Bruxelles
LE
MONDE | 23.06.2018 à 17h10 • Mis à jour le 24.06.2018 à 14h33 | Par
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen - avec AFP)
Avant la rencontre de dimanche, les dirigeants des seize pays participants ont réaffirmé des lignes parfois très contrastées.
Les
dirigeants de seize pays membres de l’Union européenne (UE)
participent, dimanche 24 juin, à un mini-sommet, improvisé et
« informel » à Bruxelles pour évoquer des « solutions
européennes » à la question migratoire, avant le Conseil qui doit
réunir les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement, les 28 et
29 juin, à Bruxelles également.
Avant la rencontre, les participants ont réaffirmé des positions
parfois très contrastées sur les réponses à apporter aux situations des
milliers de réfugiés qui tentent de traverser la Méditerranée et les
frontières de l’Europe.
Paris pour des « centres fermés sur le sol européen »
A la veille du sommet, Emmanuel Macron a défendu une approche
« collaborative » sur le sujet, qu’il oppose à celle des pays
du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et
Slovaquie). Le président français a tenu, samedi, une conférence de
presse commune avec le nouveau chef du gouvernement espagnol, Pedro
Sanchez, qu’il a reçu à l’Elysée..
M. Macron
y a déclaré être en faveur de sanctions financières envers les pays de
l’UE qui refuseraient d’accueillir des migrants, expliquant :
« On ne peut avoir des pays qui bénéficient massivement de la
solidarité de l’UE et qui revendiquent massivement leur égoïsme
national quand il s’agit de sujets migratoires. » « Il ne
peut y avoir de réponse unilatérale » à la question migratoire, a
insisté dimanche dans un entretien à El Pais M. Sanchez, qui avait
ouvert un port espagnol pour mettre fin à l’odyssée de l’Aquarius. Il
faut « une réponse européenne commune », a-t-il plaidé.
La France et l’Espagne ont proposé la mise en place de « centres
fermés sur le sol européen dès le débarquement » des migrants, et
prôné une « solution différente et complémentaire » à une
crise qui divise l’Europe. « Une fois débarqués sur le sol
européen, nous sommes favorables à mettre en place des centres fermés
conformément au HCR [l’Agence des Nations unies pour les réfugiés],
avec des moyens européens qui permettent (…) une solidarité financière
immédiate, une instruction rapide des dossiers, une solidarité
européenne pour que chaque pays prenne de manière organisée les
personnes qui ont droit à l’asile », a expliqué M. Macron.
Sur le fond, la position française est de n’accorder ce droit d’asile
qu’aux migrants justifiant d’une persécution et d’expulser les migrants
économiques. La position de la France repose sur la protection des
côtes par l’agence Frontex, qui serait renforcée à 10 000 hommes
contre 1 500 actuellement, et la création d’un office européen
pour centraliser les demandes d’asile, afin de pouvoir répartir en
Europe les personnes ayant obtenu le statut de réfugiés..
|
« L’arrogant président français »
Ces propositions ont été très critiquées du côté de Rome, notamment par
le ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, qui s’en est pris à
M. Macron. Le dirigeant de la Ligue (extrême droite) s’est étonné que
cette situation ne soit pas considérée comme un problème pour
« l’arrogant président français ».
« Nous l’invitons à arrêter les insultes et à démontrer sa
générosité avec des faits en ouvrant les nombreux ports français et en
arrêtant de refouler des femmes, des enfants et des hommes à
Vintimille. Si l’arrogance française pense transformer l’Italie en camp
de réfugiés pour toute l’Europe, peut-être en versant quelques euros de
pourboire, elle se fourvoie complètement. »
De leur côté, les pays du groupe de Visegrad ne pourront répondre
directement au président français, dimanche à Bruxelles : ils ont
exclu leur participation à la réunion, jugeant que ses résultats seront
de toute manière « inacceptables ».
L’Italie, de son côté, a hésité mais a finalement confirmé sa présence,
sur insistance de la chancelière allemande, Angela Merkel. C’est, à
l’évidence, pour soutenir celle-ci que la plupart des dirigeants
participeront au rendez-vous dominical fixé par la Commission. Le
premier ministre italien, Giuseppe Conte, a cependant indiqué que la
conclusion serait un simple « résumé des sujets abordés »
avant le sommet, qui sera probablement très houleux.
Mme Merkel n’a dit finalement pas autre chose que M. Conte :
elle a exclu, vendredi, l’hypothèse d’une
« solution européenne » qui serait dégagée dès dimanche.
Elle a insisté plutôt sur « des accords bilatéraux, trilatéraux et
multilatéraux » à conclure avec des pays comme l’Italie, la Grèce
ou encore la Bulgarie. La CSU, l’aile droite de la coalition allemande,
exige des solutions pour fin juin au plus tard et, à défaut, le
ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, entend renvoyer les migrants
arrivant en Allemagne dans les pays où ils ont été enregistrés en
premier lieu.
La Commission abandonne son texte
Il se confirme, en tout cas, que les participants à la réunion de
dimanche débattront de la solidarité entre les pays membres et de
quotas de répartition obligatoires des demandeurs d’asile entre les
pays membres. Hypothèse rejetée catégoriquement par le Hongrois Viktor
Orban et ses alliés.
La Commission avait récemment élaboré un projet de texte de
conclusions, en insistant sur un meilleur contrôle des frontières (avec
la mise en place d’une véritable police) et une pression accentuée
(avec des menaces de sanctions) sur les pays africains pour qu’ils
limitent les départs et acceptent rapidement des réadmissions.
Bruxelles espère aussi forcer une définition des procédures communes
d’asile – bloquées depuis des années – et instaurer une
« solidarité » entre les Etats membres pour la répartition
des demandeurs d’asile.
L’idée de créer des « plates-formes de débarquement » de
migrants aux frontières extérieures de l’UE n’est pas évoquée
explicitement dans le texte, pas plus que celle de centres pour
déboutés du droit d’asile qui devraient être renvoyés dans des pays
tiers. Le texte de la Commission évoque un soutien à l’organisation
éventuelle « de capacités de protection et de réception hors de
l’UE ». Et d’une réinstallation de ceux qui auraient droit à
l’asile, « sur une base volontaire » des pays.
Ce texte a été longuement soupesé… mais il ne verra pas le jour. Les
réticences du gouvernement italien ont fait que les travaux devraient
se conclure par une simple déclaration du seul Jean-Claude Juncker, le
président de la Commission.
Le débat de fond à Vingt-Huit se déroulera donc lors du sommet des
chefs d’Etat et de gouvernement, à Bruxelles, les 28 et 29 juin.
La question des « plates-formes », ou des
« centres », à installer aux frontières extérieures promet
d’être un sujet d’affrontement, avec notamment l’Autriche et le
Danemark. Des capitales s’inquiètent de la légalité de cette solution.
La conviction est désormais que les débats à venir concerneront aussi
l’avenir de la zone sans passeport de Schengen, pilier de la
construction européenne. Le rétablissement des frontières intérieures
pourrait entraîner son effondrement.
24 Juin 2018
Abonnez-Vous au Monde
Retour à l'Europe
Retour au Sommaire |
|
• INFORMATIQUE
SANS FRONTIERES • |
|
|