En
Hongrie, Viktor Orban dit non à tout. « Peut-il y avoir un
compromis sur le débat migratoire ? Non, (…) sur ces questions, il n’y
aura jamais d’arrangement », a-t-il prévenu, le 16 juin, lors
d’un discours ironiquement organisé en la mémoire du très européen
Helmut Kohl. Le maître de Budapest partage son combat avec les
Polonais, les Tchèques, les Slovaques, mais aussi – chose
nouvelle – l’Autriche, qui ne fait rien pour sortir de la crise.
En Italie, enfin, le nouveau ministre de l’intérieur Matteo Salvini,
chef de La Ligue (extrême droite), ferme ses ports aux navires de
sauvetage dans le but de s’imposer comme l’homme fort d’un gouvernement
partagé avec le Mouvement 5 étoiles.
« J’espère des issues au grand marchandage européen »
Au milieu des fractures, les échanges de bons procédés peuvent encore
jouer. Peut-être pas à 28, mais en club restreint. Pierre Berthelet,
spécialiste de l’espace Schengen rattaché à l’Université Laval, y
croit. « En tant qu’optimiste né, j’espère encore des issues au
grand marchandage européen, explique-t-il. Cela fait partie du travail
des ambassadeurs et des ministres de proposer des contreparties, par
exemple en échange d’une concession sur l’immigration. »
Dernier exemple de cette dynamique de « deal » : l’opération
de sauvetage d’Angela Merkel, en proie à l’ultimatum de son aile
droite. Dimanche 24 juin, 16 pays européens ont rejeté l’idée
d’entrer dans une logique de refoulement non concerté des migrants aux
frontières nationales. Berlin a eu le soutien immédiat de Paris, qui en
retour attend des avancées à la réforme de la zone euro, l’autre grand
chantier clivant de ce sommet de juin.
Jeudi 21 juin dernier à Meseberg, la chancelière et Emmanuel Macron ont
réaffirmé ensemble l’objectif de créer un budget de la zone euro de
plusieurs dizaines de milliards à l’horizon 2021, si le projet est
approuvé par 17 des 19 États qui ont adopté la monnaie unique.
Pour l’heure, 12 pays, essentiellement du Nord, n’y sont pas
favorables. Les Pays-Bas, à la tête de la fronde, estiment que chaque
État doit se responsabiliser sur ses finances. « Le débat n’est
pas clos », commente-t-on à l’Élysée, qui n’attend pas de réponse
définitive avant décembre.
Les compromis
Pour Thierry Chopin, directeur des études à la Fondation
Robert-Schuman, le dépassement des divergences est devenu vital.
« Sans compromis entre les intérêts nationaux, les conséquences
peuvent être dramatiques, souligne-t-il. Les rancœurs qui se
développent entre nations sont autrement plus dangereuses que celles
dirigées contre Bruxelles. Les États, si le repli national prend le
pas, pourraient reprendre le rôle de bouc émissaire qui préexistait
avant guerre. »
Angela Merkel maîtrise bien cet art du compromis. Ainsi a-t-elle
proposé que les investissements de la zone euro puissent servir à Rome.
Le 3 juin dernier, la chancelière allemande s’est en effet dite
« tout à fait disposée à parler avec le nouveau gouvernement
italien des moyens d’aider davantage de jeunes à trouver un
travail ». Cette main tendue, cependant, intéresse davantage
l’autre homme fort du gouvernement, le ministre du travail Luigi
Di Maio, issu du Mouvement 5 étoiles. Ce dernier a bien du
mal à se faire entendre à côté de son turbulent concurrent Matteo
Salvini.
Les désaccords
Aussi faut-il reprendre la main sur le dossier migratoire. Les 28
devraient s’accorder sans difficulté sur les renforts aux frontières
extérieures de l’UE, et la coopération avec les pays tiers pour
endiguer en amont les flux d’arrivées dans l’UE. Rien ne va plus, en
revanche, dès lors qu’il s’agit de s’entendre sur le partage de
l’accueil, l’examen de l’asile, et les règles de refoulement d’un pays
à l’autre dans l’UE. Angela Merkel a insisté sur l’importance
d’« accords bilatéraux ou trilatéraux, dans l’intérêt
mutuel », pour gérer les « mouvements secondaires » de
migrants à l’intérieur de l’Union. L’article 36 du règlement de
Dublin permet en effet de signer ce type d’accord pour renforcer
l’efficacité des retours dans le premier pays d’accueil, là ou la
demande d’asile doit en principe être examinée.
Cette solution, toutefois, a le don d’irriter les pays d’entrée tels
que l’Italie, l’Espagne et la Grèce, sur lesquels repose l’essentiel de
la pression migratoire. Madrid, Paris et Berlin sont en train de
construire un prototype censé déminer le terrain. Les dirigeants
français et espagnols sont tombés d’accord pour créer des
« centres fermés » appuyés par des fonds et des effectifs
européens, dans le but de statuer sur la situation des migrants
« dès le débarquement sur le sol européen » et dans le port
le plus proche. Ceux qui ne peuvent pas prétendre à l’asile seraient
reconduits, promettent les responsables, même si le taux de retour est
pour l’heure extrêmement faible faute d’accord avec les pays de
provenance.
L’opération menée à Valence le 17 juin avec l’Aquarius serait
ainsi la répétition générale d’un dispositif de plus grande envergure.
Le navire associatif avait pu accoster avec 630 migrants à bord
après avoir été refusé par l’Italie puis Malte, la France acceptant
d’examiner la demande d’asile de près de la moitié d’entre eux.
« Cela peut constituer une référence pour l’Espagne, mais
aussi pour d’autres pays », confirme Pascal Brice, directeur
général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
(Ofpra).
Même logique avec le Portugal, qui se tient prêt à accueillir une
partie des migrants qui se trouvent à bord du navire humanitaire
allemand Lifeline, refusé par Rome mais cette fois autorisé sur les
côtes maltaises. Les États membres décideront dans quel camp ils
veulent se ranger : du côté de ceux qui se préfèrent seuls que mal
accompagnés, ou avec ceux qui croient encore à la force de leur
collectif.
Jean-Baptiste François
14 Juillet 2018
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