Sauver l'euro, sauver l'Europe Avec Mediapart
Un
gouvernement économique soumis au contrôle démocratique, une politique
industrielle à l'échelle du continent, des institutions renouvelées...:
les propositions de Christian Paul, ancien ministre et
député socialiste, et Stefan Collignon, économiste.
La crise financière menace de détruire un demi-siècle de construction
européenne. Par nature, elle est aveugle, brutale, littéralement
inhumaine. En réalité, c'est d'abord une mise à l'épreuve de la volonté
politique des peuples, et de ceux qu'ils ont choisis pour les diriger.
Les spéculateurs, dans leur grande irresponsabilité, appuient là où ça
fait mal. C'est au moment même où les citoyens européens, échaudés par
la faiblesse de l'Union face aux dérives de la mondialisation,
s'éloignent le plus d'une perspective d'intégration, que le
renforcement de l'Europe est encore plus indispensable pour sortir
durablement de la crise.
Cette crise est d'abord politique, ses solutions également. Aussi, dans
la plupart des pays, comme en France et en Allemagne, le débat public
repart, les bouches s'ouvrent, les tabous vacillent, pour le meilleur
(un sursaut collectif) ou le pire (le repli). Faut-il plus ou moins
d'Europe ? Chacun voit bien désormais que nous ne pouvons pas
rester au milieu du gué de la construction de l'euro, à la merci des
vagues de la spéculation. Par temps de danger, une occasion historique
se présente. Le moment est venu pour l'Europe, certes de sauver l'euro,
mais plus fondamentalement de construire sa voie propre face aux vents
mauvais de la mondialisation financière. Pour cela, il lui faut une
panoplie d'outils offensifs, mais plus encore une réponse à l'exigence
démocratique.
Depuis la création de la monnaie commune, chacun mesura les bénéfices
et les désagréments de cette innovation majeure. Chacun l'a fait selon
son histoire nationale, son rapport à la monnaie et à la politique
économique. Il eut fallu certainement exposer plus fortement, au début
des années 2000, que l'euro procure à chaque pays des droits et des
devoirs. La responsabilité budgétaire en échange de la solidarité
financière, à tout le moins. En outre, ce bien commun exigeait un
nouvel effort pour une meilleure organisation démocratique. Au lieu de
cela, la politique européenne –ses dérives néolibérales, ses tricheries
sur les comptes publics à la manière des conservateurs grecs– allait à
son petit train, en laissant des mines à retardement s'installer dans
les coulisses des Etats.
Face à la crise, le système de prise de décision entre les
gouvernements a failli. A 17 comme à 27, il est des décisions
imprenables en temps réel, quand l'on manque de ressources réellement
partagées, et de la claire conscience du bien commun. L'euro est un de
nos biens communs européens. Or, chaque gouvernement poursuit un
intérêt partiel, de court terme, au mieux l'accord scelle un compromis
minimal. Les conséquences sont désastreuses.
La cacophonie entre les gouvernements a donné aux marchés le double
signal de la spéculation et de la panique. Les décisions viennent
trop tard, et apportent trop peu. Mais il y a pire. Ce système, qu'il
est urgent de changer, permet à la droite européenne d'imposer sa
vision de la sortie de crise par l'austérité. C'est la tentation
naturelle d'une Allemagne hésitante à franchir un pas supplémentaire
vers l'intégration que de demander toujours plus de contraintes. C'est
aujourd'hui l'inspiration d'un Nicolas Sarkozy, décrédibilisé par une
politique fiscale coûteuse et clientéliste, et par l'explosion de la
dette (car en France, la dette, c'est la droite!). Cette obsession de
l'austérité constitue, sur le fond et la forme, un formidable
contresens.
Au total, la démocratie cède devant les marchés. Comment reprendre l'offensive ?
A très court terme, en ayant le courage de redonner à la Grèce
suffisamment de liquidités pour que sa croissance reparte, faute de
quoi la crise s'étendra, à la façon des dominos. Cela, les marchés ne
le feront pas! C'est d'ailleurs le sens des engagements des socialistes
français, qui rejettent le concours d'austérité, et militent pour une
réponse solidaire et responsable en soutien des Etats les plus
fragilisés.
A terme proche, les traités d'aujourd'hui n'interdisent pas de marquer
d'autres avancées vers le gouvernement économique de la zone euro.
D'abord en nommant enfin, comme contrepartie politique de la BCE, un
ministre des Finances de la zone euro, au sein de la Commission. Il
construirait son leadership, s'il pouvait rendre compte devant le
Parlement et bénéficier d'une réelle autorité consentie par les
représentants des Etats, enfin convaincus qu'ils ne détiennent pas,
ensemble ou séparément, la clé de la crise. Jean-Claude Trichet
lui-même semble avoir reconnu le bien-fondé de cette orientation. La
Banque centrale sait bien désormais qu'une Europe hémiplégique va à la
catastrophe.
Pour reprendre cette marche en avant, trois outils nouveaux doivent
naître de cette volonté politique de sauver durablement l'euro, et à
travers la monnaie, commune, l'économie et les emplois de notre
continent. Dans ce but, il est urgent de créer les conditions pour que
l'Union européenne émette des Eurobonds, c'est-à-dire des obligations
garanties collectivement par l'Union. Le Fonds européen de stabilité
financière, qui pourrait être l'instrument approprié pour le faire,
devrait ensuite acheter la dette souveraine afin de contrer la
spéculation des marchés et leurs taux usuraires. Mais cette montée en
puissance de l'Union ne sera crédible que si des moyens financiers sont
dégagés pour garantir la solvabilité européenne. Une partie au moins de
la future taxe européenne sur les transactions financières pourrait
être ainsi utilement consacrée à faire front contre la spéculation,
au-delà des effets directs qu'on lui prête pour freiner les mouvements
de capitaux spéculatifs.
Deuxièmement, l'Europe doit tirer les leçons de l'échec de conception
et de mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance. Il n'a pas
évité des débordements budgétaires dans les moments d'euphorie, et il
empêche la croissance dans les moments de crise. Il faut séparer ces
deux aspects. Nous proposons, pour l'avenir, d'examiner un nouveau
mécanisme de surveillance budgétaire plus souple et plus efficace. Une
loi européenne établira, sous proposition de la Commission et après
l'accord du Conseil et du Parlement européen, le montant maximal pour
l'augmentation de la dette de la zone euro dans son ensemble. Elle
organisera l'émission, à l'instar des permis de droits à polluer, des
permis de dette. Le montant de ces permis s'adaptera à la situation
conjoncturelle de l'emploi et des prix. Les permis seraient ensuite
alloués aux Etats membres selon la taille de leur PIB, de leur passé
budgétaire et de la dette de chacun, des besoins structurels tenant
compte de la démographie et de leur potentiel de développement. Ils
peuvent être cédés et transférés d'un Etat à un autre. Ceci permet une
souplesse horizontale de la politique budgétaire. Une autre loi
interdirait aux banques de prêter aux entités publiques si elles ne
pouvaient présenter les permis correspondants. Ainsi, ce mécanisme
allierait discipline, souplesse... et solidarité.
Enfin, une véritable politique industrielle à l'échelle européenne doit
créer les conditions d'une nouvelle croissance. Il faudra faire naitre
l'Institut de la Reconstruction Economique Européenne, qui pourrait
gérer la transformation de l'économie européenne. C'est le prolongement
européen de la Banque publique d'investissement que défend le Parti
socialiste en France. Cet Institut, qui pourrait être lié au Fonds
européen de stabilisation, serait soumis à l'autorité du gouvernement
économique de l'Union, et opérerait comme un holding industriel. Il
pourrait aussi acheter des actifs publics et privés et les transformer
selon une stratégie européenne cohérente. Ainsi, une maîtrise
européenne de l'économie dont profiteraient les citoyens européens
remplacerait les politiques au fil de l'eau et les privatisations au
rabais –ou l'arrivée de fonds souverains extérieurs au continent.
Dans ce moment, il est donc vital que la relance européenne que nous
proposons dispose d'une légitimité démocratique beaucoup plus forte que
celle de l'Union d'aujourd'hui. Sinon, ce sera un échec fatal. Un
gouvernement économique européen doit disposer non seulement de ces
outils pour agir, mais aussi de solides fondations politiques. Il doit
refléter les préférences des citoyens via des élections, et non
simplement celles des gouvernements nationaux et de leurs
représentants. Ses outils doivent être budgétaires, mais aussi servir
l'harmonisation fiscale et les politiques sociales dans l'espace de la
monnaie commune.
Ce doit être l'objet d'un traité de la zone euro, de nature à organiser
non seulement les outils, mais surtout leur contrôle démocratique. Les
peurs que suscite un nouveau traité doivent être surmontées. Si le but
de ce traité, en faisant de la zone euro une avant-garde au sein de
l'Europe, est clairement d'assurer la prééminence de la démocratie sur
les marchés, les citoyens s'en empareront, pour choisir et
influencer les politiques poursuivies au niveau européen. La sortie
durable de la crise paraît totalement indissociable d'une nouvelle
étape de la démocratie européenne. C'est aussi l'un des principaux
enjeux de 2012.
Christian Paul est ancien ministre et député socialiste. Stefan
Collignon est professeur à l'Ecole des Hautes Etudes de Pise, et
ancien fonctionnaire du Trésor allemand. Ils ont publié Pour la
République européenne, Odile Jacob, 2008.
Septembre 2011
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