Trois conditions pour sortir de la crise européenne Avec
Jean-François Jamet, porte-parole d'EuropaNova* et Thierry Chopin,
directeur des études de la Fondation Robert Schuman, Professeur associé
au CNAM
La
crise est là, et avec elle l'anxiété de nombre de nos citoyens face au
chômage, à l'endettement et à l'absence de perspectives de croissance.
Et pourtant. A chaque étape de la crise, la zone euro fait un pas dans
le sens de l'effort et de la solidarité, et semble prendre conscience
un peu plus de la nécessité d'unir ses forces. Le Pacte budgétaire
européen, entériné lors du Conseil du 30 janvier, signifie ainsi
l'engagement public des Etats membres à respecter des règles
budgétaires communes sous le contrôle de la Cours de justice de l'UE :
un budget doit être en équilibre une fois prise en compte l'impact de
la conjoncture et les mesures temporaires ou exceptionnelles justifiée
par le cycle économique. Mais l'Europe ne sait pas comment faire pour
aller plus loin que l'adoption de règles contraignantes et pour se
donner une véritable stratégie de sortie de crise. Divergences
économiques et politiques, reconnaissance de la nécessité de l'effort
sans accord sur sa répartition. A force d'attendre des autres qu'ils
fassent le premier pas, nous avons du mal à penser notre intérêt commun.
La Banque centrale européenne (BCE) attend des Etats qu'ils
concrétisent l'union budgétaire en cours de construction et les
réformes structurelles nécessaires. L'Allemagne - et avec elle des
Etats comme les Pays-Bas ou la Finlande - attend des Etats du Sud
qu'ils démontrent leur capacité à renoncer à une économie sous
perfusion d'endettement public et privé et qu'ils procèdent aux
réformes de structure qui leur permettront de lutter contre l'évasion
fiscale, la corruption et le corporatisme. L'Allemagne veut soumettre
les budgets nationaux à un contrôle indépendant, pour que politique ne
signifie pas clientélisme. La France attend de la BCE qu'elle prenne
ses responsabilités de prêteur en dernier ressort, pour rassurer les
marchés financiers, et ainsi protéger ses conditions d'emprunt et ses
banques. Elle veut un gouvernement européen capable de réagir aux
crises et de mener une politique contracyclique. Les pays du Sud de
l'Europe fragilisés par la crise de la dette espèrent la solidarité
financière de leurs partenaires. Ils demandent des obligations
européennes (eurobonds) qui allègeraient la charge des intérêts
d'emprunt.
Et si pourtant chacun détenait une part de la vérité ? Et si au lieu
que chacun attende que les autres fassent le premier pas, nous le
faisions ensemble ? Tous pourraient y trouver plus d'avantages que
d'inconvénients et l'Europe sortirait par le haut de la crise. Une part
importante des attentes de l'Allemagne a d'ores et déjà été entendue :
les mécanismes de supervision économique commun ont été très largement
renforcés. Le Pacte budgétaire a confirmé l'engagement des Etats
membres en ce sens. Mais si la supervision est utile pour éviter de
répéter les erreurs du passé (endettement excessif et divergence de
compétitivité), elle ne peut résoudre à elle seule la crise actuelle.
Il faut donc aller plus loin. Tout d'abord, un Trésor européen doit
être créé pour gérer des émissions de dette communes à la zone euro,
avec une ressource fiscale propre pour assurer sa crédibilité (par
exemple un impôt sur les sociétés européen se substituant à leurs
équivalents nationaux décrédibilisés par la concurrence fiscale). La
dette mise en commun serait limitée aux bons du trésor, c'est-à-dire à
la dette de court terme (eurobills), à hauteur de 10% de leur PIB,
comme proposé récemment par Thomas Philippon et Christian Hellwig. Le
Trésor européen pourrait également émettre, avec l'accord des
institutions politiques européennes, des emprunts de long-terme pour
financer - aux côtés des fonds structurels partiellement transformés en
fonds conjoncturels contracycliques - un programme d'investissement
européen. Enfin, le Mécanisme de stabilité européen, dont l'entrée en
vigueur a été avancée à début juillet 2012, serait conçu comme un réel
fonds monétaire européen capable d'organiser le défaut ordonné d'un
Etat ou d'une banque européenne : sa première mission serait
d'organiser le défaut de la Grèce, en servant de médiateur entre la
Grèce et ses créanciers privés.
Le second pilier viserait à assurer la légitimité politique de l'Union
et de la zone euro. Un président pilotant à la fois la Commission et le
Conseil serait élu au suffrage universel direct. La zone euro serait
dotée d'un ministre des finances lui donnant une seule voix dans les
enceintes économiques internationales. Le contrôle budgétaire serait de
nature à la fois technique (par la Commission) et politique (par
l'assemblée parlementaire réunissant des représentants des parlements
européens et nationaux prévue par le Pacte budgétaire). Enfin, la
légitimité démocratique du Parlement européen serait accrue en adoptant
une représentation plus proportionnelle à la population et en lui
confiant un pouvoir d'initiative législative. Troisième pilier, la BCE,
rassurée par la mise en place de cette union budgétaire plus efficace,
plus crédible et plus légitime, reconnaitrait son rôle de prêteur en
dernier ressort. Pour éviter néanmoins que ceci crée un effet
d'aubaine, la BCE annoncerait simultanément qu'elle refuserait à
l'avenir (en dehors des périodes de récession) de prendre en collatéral
les nouvelles obligations émises par les Etats lorsque ceux-ci ne
respectent pas les règles budgétaires communes. Chacun des acteurs du
psychodrame européen actuel a une partie du puzzle, il est temps de
l'assembler : à la crise systémique, proposons une réponse systémique.
* auteur de "Europe, la dernière chance?" avec Guillaume Klossa, paru chez Armand Colin.
Février 2012
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