Athènes organise sa faillite Avec LEMONDE.FR avec AFP
La
Grèce est en train d'achever la plus grande restructuration de dette de
l'histoire d'un pays. Elle évite la sortie de route incontrôlée mais
doit néanmoins finir d'organiser sa propre faillite. Certes, 83,5 % des
créanciers privés de la Grèce ont accepté d'abandonner 53,5 % de leurs
titres, a indiqué Athènes, vendredi 9 mars au matin. Mais le
gouvernement grec a décidé d'utiliser la force – et de contraindre les
prêteurs récalcitrants à prendre leurs pertes. L'opération doit
permettre d'effacer la moitié des 206 milliards d'euros d'emprunts du
pays souscrits par les banques, assureurs et autres fonds. Et
contribuer à ramener à 120,5 % du produit intérieur brut la dette
hellène en 2020, contre 160 % aujourd'hui. Un niveau très élevé, qui ne
met pas le pays à l'abri.
Le spectre d'une faillite désordonnée de la Grèce est ainsi écarté.
Mais le gouvernement n'en a pas moins décidé de demander le
déclenchement des clauses d'actions collectives (CAC), des mesures
assorties aux obligations de droit grec – la très grande majorité des
emprunts d'Athènes – et contraignant les créanciers récalcitrants à se
joindre à la restructuration. Ces mesures devraient permettre de porter
à 95,7 % le taux de participation et d'effacer environ 105 milliards
d'euros de la dette hellène, aujourd'hui de 360 milliards d'euros.
Vendredi après-midi, le ministre des finances Evangelos Venizélos
devait présenter ces résultats lors d'une téléconférence des ministres
des finances de la zone euro. "On a évité le principal risque, un
défaut désordonné de la Grèce, juge Christian Parisot, économiste chez
Aurel BGC. Le vrai succès aurait toutefois été de ne pas passer par
l'activation des CAC. Avec elles, c'est un vrai défaut officiel." "Les
CAC sont une nécessité politique et économique, estime de son côté
Gilles Moec, chez Deutsche Bank. Il fallait aller au bout de ce qui
était possible en termes de soulagement sur le niveau global de la
dette grecque." L'ISDA, l'association des utilisateurs de produits
financiers dérivés, devait se réunir vendredi après-midi pour décider
si cette procédure constitue, selon le jargon des financiers, un
"événement de crédit". Si elle répondait oui, comme la plupart des
observateurs s'y attendent, cela déclencherait le paiement des CDS
(Credit Default Swap), ces produits financiers permettant de s'assurer
contre la faillite d'un créancier, et constituerait un précédent dans
la zone euro.Une issue que la Grèce et les Européens ont cherché
pendant des mois à éviter avant d'en minorer les risques ces derniers
temps.
"RÉFORMES STRUCTURELLES"
"En août dernier, quand la tension était extrême, un événement de
crédit aurait eu un lourd impact sur les marchés. On a gagné du temps,
c'est ce qui compte sur les marchés, où l'événement de crédit était
désormais anticipé", explique M.Parisot.
Quoi qu'il en soit, l'opération est un succès pour le gouvernement
grec, dont le niveau de confiance parmi les Européens était tombé au
plus bas. Le gouvernement a conduit avec efficacité ces négociations,
ce qui lui permettra de corriger en partie les jugements sur les
promesses non tenues, qui ont conduit la "troïka" des bailleurs de
fonds – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds
monétaire international – à durcir ses exigences.
M. Venizélos a expliqué que le gouvernement n'entendait pas relâcher
ses efforts et qu'il voulait "mettre en œuvre les mesures nécessaires
pour réussir les ajustements budgétaires et les réformes structurelles,
auxquelles il s'était engagé". C'est un succès personnel pour M.
Venizélos qui a porté les négociations depuis plusieurs mois, au moment
où il s'apprête à briguer la tête du parti socialiste grec, le Pasok.
Malgré tout, la Grèce n'est pas sortie d'affaire. La restructuration de
la dette et le second plan d'aide de 130 milliards d'euros des
bailleurs de fonds internationaux du pays doit en théorie lui permettre
de ramener sa dette publique de 160 % du produit intérieur brut
aujourd'hui à 120,5 % à l'horizon 2015. Mais certains doutent que cette
trajectoire soit tenue.
"Le cas grec est loin d'être terminé. Le retour du pays à la
croissance, le contrôle des déficits publics et les réformes du pays
sont encore devant nous, notent les analystes de CM-CIC Securities.
Nous considérons toujours qu'en l'état, la Grèce n'est pas en mesure de
tenir ses objectifs et de ramener son niveau d'endettement à 120 %
d'ici 2020. Il sera très difficile d'éviter un nouveau plan d'aide pour
la Grèce." L'hebdomadaire allemand Der Spiegel rapportait dernièrement
que la "troïka" estime que la Grèce pourrait avoir besoin d'un
troisième plan d'aide de 50 milliards d'euros en 2015, faute de pouvoir
revenir sur les marchés. La voie est d'autant plus étroite que le
peuple grec ne cesse d'afficher un désarroi de plus en plus profond
face aux mesures d'austérité à répétition. M. Venizélos a d'ailleurs
remercié vendredi les créanciers privés d'"avoir partagé les sacrifices
du peuple grec dans cet effort historique". La veille de nouveaux
chiffres du chômage étaient tombés : en décembre 2011, 21 % de la
population était sans emploi, contre 10,2 % deux ans plus tôt, un taux
qui grimpe à 51,1 % chez les moins de 24 ans.
Clément Lacombe et Alain Salles (à Athènes)
Mars 2012
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