L'Europe, bien vivante, repart
Par Eric Le Boucher
Malgré
son système imparfait et ses institutions si critiquables, l'Europe
finit toujours par résoudre ses problèmes. C'est ce qui est de nouveau
en train de se produire et qui devrait relativiser les critiques à son
endroit.
Cette
semaine, trois bonnes nouvelles européennes d'un coup. La Grèce est
parvenue à un accord avec ses créanciers de la troïka (Commission
européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire
international). La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a
donné son feu vert à la création du mécanisme européen de sauvetage des
pays de la zone euro en crise financière. Enfin, les Etats de l'Union
et le Parlement se sont entendus sur les modalités de l'union bancaire,
un nouvel organisme qui doit prévenir les crises bancaires et éviter
qu'elles ne soient payées par les contribuables.
Chacune des trois décisions a fait l'objet de très âpres et très
longues négociations. Chacune des trois aurait provoqué un retour dans
la tourmente en cas d'échec: la Grèce puisque Athènes aurait été privé
de crédit, Karlsruhe puisqu'un «nein» germanique eût replongé
immédiatement l'eurozone dans la crise, les banques puisque, sans
mécanisme de consolidation, leur fragilité laissait planer la noire
hypothèse d'un krach possible. Mais, in extremis, au bout de mois de
palabres, au bout du compte, au bout de la nuit, les Européens se sont
entendus. Comme toujours. Comme toujours depuis soixante ans, l'Europe
avance dans des crises qui la forcent à passer une nouvelle étape de
son intégration.
Ajoutez
à cela que, après l'Irlande, les pays les plus en crise sortent
maintenant de la récession. La Grèce devrait retrouver une croissance
de son PIB de 0,6% cette année, le Portugal de 0,8%, l'Italie de 0,6%,
l'Espagne de 1%. Seule Chypre devra attendre 2015 pour sortir du rouge.
Au total, l'eurozone atteindra une croissance de 1,2%, qui reste
fragile, souligne la Commission, mais qui est sur le chemin de la
consolidation. Les incertitudes s'éloignent.
Regardons les faits
A quelques semaines des élections européennes qui vont voir déferler
les critiques de tous côtés, les livres les plus démagogiques, tous les
partis politiques rivalisant dans les vociférations contre une Europe
«en échec» et une Europe «qui se moque des citoyens», il est bon
que les faits disent l'inverse.
Les Européens s'entendent. L'euro n'est pas mort. L'Europe est toujours
là. Elle reste un idéal de démocratie pour d'autres peuples, regardez
l'Ukraine. Aucun pays ne désire la quitter. Elle se construit
difficilement, certes, elle a 12% de chômeurs, bien sûr, son dynamisme
est insuffisant, bien entendu, mais elle résout ses problèmes. Son
système si imparfait, si critiquable, lui permet quand même de trouver
les moyens de sortir des ornières.
Quand on regarde les crises présentes ou à venir des autres continents,
on peut se demander si la vieille Europe ne réussit pas, contre tous
les discours pessimistes, à faire mieux. Songez à l'Inde qui s'enferre
dans ses archaïsmes, à la Chine sur une ligne de crête de plus en plus
périlleuse entre son despotisme politique et sa liberté économique, et
même les Etats-Unis où la lutte politique républicains-démocrates est
le résultat d'une déchirure idéologique qui semble devenue sans issue
entre le camps des «chacun pour soi avec l'aide de Dieu» et celui de
ceux qui plaident pour une solidarité et un Etat, entre aussi, une
élite qui capte les richesses et une classe moyenne qui s'appauvrit et
s'atrophie. Le modèle européen, pour cabossé qu'il soit, n'est-il pas
plus solide et plus enviable que le chinois ou l'américain ?
Sa force est dans la nature même de sa construction: la négociation.
Chacune des trois bonnes nouvelles de la semaine en éclaire les vertus.
De quoi s'agissait-il en Grèce ? D'abandonner la logique de l'austérité
à tout prix. La troïka ne voulait, jusqu'ici, ne parler que des coupes
budgétaires. Elle a accepté finalement de ne plus en demander et
d'affecter une partie du surplus « primaire » dégagé à des
dépenses sociales. Il n'était que temps, dira-t-on. Et en effet
l'Europe a aggravé ses blessures avec une politique d'austérité en
pleine récession, dont les promoteurs sous influence libérale et
allemande avaient sous-estimé les effets fortement négatifs.
L'Europe a appris
Des millions de chômeurs paient cette erreur historique. Mais cela ne
se passerait plus comme ça aujourd'hui. L'Europe a appris que la
politique de rigueur n'est bonne que couplée à une politique de
croissance, tous les efforts doivent maintenant porter sur cette
dernière.
L'Allemagne y est prête. C'est la leçon du jugement de Karlsruhe. Même
au coeur du coeur de l'Ordungspolitik, le message est passé. Les Grecs
n'ont pas quitté l'euro. Les Allemands non plus. Vertu de l'austérité:
la Grèce, comme l'Irlande, l'Espagne, le Portugal ont été contraints de
changer de modèle de croissance pour ne plus dépendre, comme hier, que
des facilités de l'euro.
Ça a été fait dans trop de douleurs mais c'est fait: ces pays sont sur
un chemin qui les conduira à trouver une place à la fois en Europe et
dans la mondialisation (reste à l'Italie et à la France à construire la
leur).
L'accord sur l'union bancaire était, lui, essentiel pour dégager la
route de la croissance. La confiance dans des banques saines est un
préalable. Mais au-delà, il est le fruit d'un engagement intrusif des
parlementaires de Strasbourg, non plus seulement à la marge des textes
mais sur le fond.
Est-ce que se dessine in vivo une nouvelle répartition des
pouvoirs entre les trois autorités: le Conseil, la Commission et le
Parlement? Est-ce judicieux? En tout cas, cela démontre aux Européens
tentés par l'abstention l'importance du vote à venir. L'Europe sort
bien vivante de sa première crise existentielle. Elle repart.
27 Mars 2014
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