Le
Renouveau européen
Par Gilles Marchand
Il nous faut inventer d'urgence
un modèle qui permette répondre aux enjeux de
la mondialisation. Les années qui viennent auront une
importance déterminante. Moteur...
Nous venons de clôturer avec les événements
du 11 septembre 2001, une période extrêmement
longue de notre histoire. Celle de l'après guerre,
celle de la guerre froide et celle de la fin de l'histoire.
L'histoire, qu'on la nie en lui tournant le dos ou en la plaçant
dans une mise en boucle de la vie culturelle qu'on appelle
ou non le post modernisme, finit toujours par déborder
des cadres dans lesquels on cherche à l'emprisonner.
Il est bien évidemment tentant d'en faire une substance
malléable dans laquelle il ne se passe rien toujours
un peu plus, un jour la bulle explose, la négation
des progressions aboutit, qu'on le veuille ou non, à
de nouvelles phases qu'il nous appartient de comprendre ou
non, de contrôler ou pas.
Les événements de New York sont cet électrochoc.
Un événement d'une telle ampleur qu'il impose
une prise de conscience planétaire et commande des
attitudes moins égoïstes et moins cyniques. La
dictature de l'argent et du sexe touchent leurs limites. Nous
vivons une époque de la surexcitation consumériste
et du désir poussé dans ses retranchements qui
commandent l'invention d'une vie amoureuse nouvelle, qui vienne
du cœur et non de l'esprit, et d'une vie de consommateurs
aux goûts plus surs et aux aspirations nourries de connaissances
originales qui permettent d'instaurer des modes nouveaux de
respect de l'environnement et du développement durable
des régions qui produisent ces biens. Une nouvelle
prospérité économique en découlera.
Un souci plus altruiste, une conscience plus poussée
du champ dans lequel s'exerce notre maîtrise, permet
d'imaginer une psychologie des autres, des producteurs comme
des consommateurs, et renforcera la confiance et le discernement
de ceux qui rendent possibles ces échanges. Une conscience
assumée de l'échange aboutit à une psychologie
nouvelle face à l'abondance. Une connaissance plus
poussée du monde libère. Les citoyens les mieux
informés sont ceux qui digèrent le plus facilement
les soubresauts symboliques de l'évolution actuelle,
et ce sont aussi ceux qui souffrent le moins des tentatives
visant à restreindre l'exercice qu'ils font de leur
liberté, notamment culturelle et politique.
Nous avons vécu ces mêmes années avec
une mauvaise conscience latente installée en nous par
la culture dominante comme forme de rétribution et
de punition symbolique qui nous maintenait, inconsciemment
souvent, dans l'état de minorité où l'on
maintient les enfants. Ce pare-feu idéologique qui
s'est imposé à nos aînés, et vis-à-vis
duquel, d'ailleurs, ni eux, ni leurs parents, n'étaient
toujours exempt d'une certaine responsabilité, il nous
faut, certes, le prendre en compte, mais à la seule
condition de le questionner, c'est à dire de lui faire
subir l'examen clair de la vérité historique
où le temps se révèle être un allié
précieux dont l'objectivité implacable balaye
souvent les tentatives de manipulation qui président
en général pendant les périodes de conflit
et après...
On ne nous laissait envisager notre réflexion
sur nous-mêmes qu'en établissant les preuves
plus ou moins avérées d'une culpabilité,
souvent handicapante, qui provoquait un amoindrissement souvent
vécu comme une rétrogradation en seconde division.
Nous étions tenus de ne faire que recevoir ce qui s'imposait
à nous, accepter sans le passage requis au filtre préalable
de notre esprit critique, des dogmes qui nous éloignaient
de nos racines. Ce faisant on nous privait des chances de
concevoir les contributions fondamentales que nous aurions
pu apporter au débat mondial.
Ce fameux débat n'existait en fait que sous la forme
d'un long monologue où nous étions contraints
d'engrammer ce qui nous arrivait sans capacité d'initiative
retour. On ne pouvait envisager la vie des idées, y
compris au niveau national, que comme l'illustration d'agendas
définis de l'extérieur. Nous nous réveillons
actuellement de ce long sommeil avec la conscience encore
floue pour certains, très claire pour d'autres, d'avoir
été hypnotisés, distraits des véritables
enjeux que nous aurions du sinon définir, au moins
être amenés à partager la définition.
Nos élites, une part des élites qui conduisaient
notre réflexion et le regard que nous pouvions porter
sur nous-mêmes et sur les autres, nous ont maintenus
dans des débats strictement nationaux et nous ont finalement
empêchés d'avoir accès au reste des réflexions
qui auraient pu naître en Europe et dans le monde. La
focalisation unidirectionnelle qui se faisait autour d'une
culture dominante, inappropriée et souvent médiocre,
était une ruine de l'âme au regard de siècles
de tradition européenne, au regard de l'excellence
des lumières ou de la renaissance.
Au nom de cette mauvaise conscience, farouchement entretenue
par certains, nous nous sommes mis à délaisser
notre propre culture, à la vider de sa vie, de sa vigueur,
de ses concepts, et de son sens pour lui substituer le spectacle
passif de courses de bagnoles ou de concours de flinguage
dans le décor en carton pâte général
des héros moraux, certes positifs, mais il faut bien
le dire — alors n'hésitons pas à le dire
— assez peu épais sur le plan psychologique des
cow-boys de Westerns.
Or les années qui se sont écoulées depuis
l'événement incommensurable qu'a été
la chute des deux tours de New York ont vu un bouleversement
symbolique, presque un retournement des valeurs et résolutions
que cet événement qui avaient directement produit.
Il apparaît aujourd'hui que les choix stratégiques
issus des réflexions qui se sont alors imposées,
étaient en grande partie infondés et susceptibles
de provoquer des effets pervers dont la nocivité ne
pourra être purgée qu'après un temps très
long. La guerre s'est étendue, le terrorisme n'a jamais
été aussi important, le fondamentalisme gagne
toutes les élections qui ont lieu dans le monde arabe,
même chez ceux qui pouvaient raisonnablement être
considérés comme modérés, y compris
dans les foyers traditionnellement progressistes, comme le
sont en général les universités. Il bénéficie,
qui plus est, d'une sorte, là aussi, de retournement
idéologique puisque les événements d'Abou
Grahib et d'Haditha accréditent la thèse que
les démocraties utilisent des moyens attentatoires
à la dignité humaine, et cherchent à
passer en regard, pour ce qu'elle ne sont pas, c'est à
dire des refuges contre la déshumanisation du monde.
Partout, le modèle social qui s'impose
insensiblement, et parfois cruellement, à la grande
majorité des salariés du monde, est un modèle
néolibéral, néocapitaliste — pour
utiliser un vocabulaire plus précis — assez peu
respectueux de ce que les conquêtes du droit social
en général, et du droit du travail en particulier,
avaient pu produire dans le but de garantir cette même
dignité humaine. De plus en plus de nos concitoyens
subissent l'authentique violence de ce modèle, de totale
"flexibilité" du travail. Il prétend
imposer l'échelle planétaire, qui est la seule
grandeur qu'il fait mine de reconnaître, travaillant
à éliminer ou à restreindre la capacité
d'intervention et de décision de tous les autres cadres,
afin de viser le plus petit dénominateur social mondial.
Il a donc recours à un mécanisme d'une simplicité
déconcertante dont le négociateur le plus incompétent
est capable : menacer de faire jouer la concurrence pour faire
baisser le coût du travail. Et comme il y a toujours
pire, ou moins disant, humainement parlant, on tend naturellement
vers le bas, ce que tous les employés du monde développé
qui voient leurs salaires baisser, leurs conditions de travail
se dégrader, quand on ne les licencie pas purement
et simplement, comprennent désormais, concevant également,
dans la seconde qui suit, pensent être impuissants face
à ce mouvement "sans queue ni tête"
et donc, a priori, insaisissable...
En effet, l'application de la recette s'avère être
en revanche un levier puissant : s'il existe moins cher ailleurs,
alors on menacera d'aller vers cet ailleurs dans le but de
payer moins cher là où on se trouve. D'où
le côté extrêmement dangereux de l'adage
idéologique : Think Global, Act Local, qui traduit
ce parti-pris. C'est à dire que le point de fuite idéal
qu'il se fixe et vers lequel il prétend tendre, est
un niveau de rétribution du travail quasi-dérisoire,
voire, dans l'idéal, voisin de zéro. Cette logique
à terme consiste à rétablir une forme
de servage moderne, faisant éclater les classes moyennes,
imposant une société duale séparée
entre ceux d'en haut et ceux d'en bas, et même, des
fossiles mentaux traînant encore dans la tête
de beaucoup de ceux qui se sont fixé ces objectifs,
d'esclavage pur et simple...
L'Europe ne peut pas se reconnaître dans ces valeurs,
qui ne sont pas les siennes et menacent actuellement le modèle
existant qu'elle tente de préserver. Le plus grave
est que si ces préceptes étaient indéfiniment
prolongés, ils risqueraient, de remettre en cause son
modèle de cohésion sociale, ce qui est inacceptable.
Nous sommes en train de réaliser que cette conscience
européenne et la pertinence des réflexions économiques
qui ont vu le jour sur ce continent, ont manqué au
monde, et qu'elles lui manquent aujourd'hui davantage encore,
à l'heure où l'accélération des
processus de production ne font qu'accentuer ces tendances.
Nous avons vécu une période particulièrement
violente de notre histoire, une période faite de réussites
mais aussi et trop souvent, de souffrances internationales
et de guerres.
L'Europe présente d'ores et déjà à
cet égard, un visage neuf. Elle s'est établie
par la négociation et la diplomatie, par la mise en
commun des espaces d'échange économiques, c'est
à dire qu'elle a su faire la part à un certain
pragmatisme dont elle tire actuellement les plus grands bénéfices.
Sa vision est fondée sur la richesse et l'originalité
du modèle économique qu'elle a su mettre en
place lors des trente glorieuses. Celui-ci lui a permis de
gagner d'autres combats, parfois moins spectaculaires, tel
que l'évolution générale de son niveau
de scolarité, celui de la qualité de ses formations
professionnelles, ce qui a eu des conséquences vertueuses
directes sur les niveaux de productivité de ses masses
salariales, donc sur la croissance au fil des années.
Laisser aujourd'hui s'éroder cette exigence de qualité,
laisser ce haut niveau de développement professionnel
insuffisamment employé en raison des trop larges proportions
de la population salariée qui se trouvent actuellement
au chômage, alors qu'elle pourraient être réorientées
vers des professions plus actuelles, faisant une plus grande
part aux nouvelles technologies, offrirait à ces salariés
des profils rajeunis et permettrait d'impliquer d'immenses
bassins de populations dans l'économie réelle,
qui sortiraient ainsi d'une l'aide sociale qui ne peut leur
assurer des niveaux de vie suffisamment confortables.
Ceci contribuerait à instaurer un double cercle vertueux
: augmenter la part de l'économie réelle tout
en contribuant dans le même temps à réduire
celle des prestations sociales, ce qui aurait pour conséquence
supplémentaire de permettre le dégagement de
marges de manœuvre. On créerait ainsi dans les
finances publiques des capacités d'investissement qui
permettraient de renforcer la solidité de la croissance
qui se mettrait en place.
Il est aujourd'hui temps que naisse l'alternative dont le
monde a besoin, un autre type de progrès économique,
politique, social, éthique, artistique, architectural,
technique, médical, humain, que seule l'Europe est
aujourd'hui en mesure d'inventer pour que la planète,
Etats-Unis compris, puisse ensuite le reprendre à son
compte et en bénéficier... Ce sera un effort
de chaque instant : chaque énergie sera sollicitée,
chaque effort devra être récompensé.
La situation faussement statique de la guerre
froide est dépassée. Après deux conflits
majeurs, la chute du mur, et l'éclatement de l'URSS,
la dynamique de paix qu'ont permis, entre temps, d'assurer
seuls les américains n'est plus suffisamment stable.
On voit que Le Nouvel Ordre du monde touche à sa fin
et qu'un Nouvel Equilibre — a New Balance — s'instaure,
plus stable, plus réaliste, et plus durable. On passe
de l'unilatéralisme d'une position dominante, au multilatéralisme
de multiples pôles solidaires entre eux.
La pensée unique qui domine encore aujourd'hui, comme
exténuée d'elle même, recelait un intrinsèque
danger qui, dieu merci, a été évité
grâce à une certaine coordination internationale,
annonciatrice de la période, beaucoup plus pérenne,
qui s'ouvre aujourd'hui. Le moment est venu d'imaginer ce
nouvel équilibre, ces nouvelles directions à
l'échelle d'un continent tourné vers l'ensemble
du globe pour en renforcer la cohésion et la prospérité
collective. Débarrassée de ses complexes, l'Europe
peut jouer ce rôle de rééquilibrage et
d'assouplissement de la violence d'une logique exclusivement
capitalistique. Elle est la seule région susceptible
d'amener une réelle alternative et la création
du modèle que ce livre cherche à définir.
Les échanges européens, les allers et venues
de citoyens dans l'union, la découverte qu'ils font
de cultures, de langues, de principes d'organisation ou de
gastronomies qui ne sont plus tout à fait étrangers,
sachant qu'ils font partie d'un ensemble dont la cohésion
apparaît chaque jour un peu plus, marquent les pas décisifs
faits dans cette direction. Nos destins individuels, notre
histoire commune sont liés et nos valeurs ne connaissent
aujourd'hui pas de frontières, même si celles
de l'union sont claires. La mise en œuvre de ces politiques,
le développement de ce modèle, en partenariat
avec les autres régions du globe, permettra alors de
donner le jour à une société moins oublieuse
de principes philosophiques que l'on nous enjoignait d'abandonner
et plus riche de possibilités d'évolution sociale
dont nous bénéficierons tous à terme.
L'échec du traité constitutionnel, c'est l'échec
d'une violence sociale que l'Europe ne s'est pas suffisamment
donné les moyens de juguler. Si les choses sont claires
et si les progressistes qui atteignent le pouvoir dans la
plupart des pays d'Europe mettent en œuvre des systèmes
qui font une part essentielle au respect qui est du à
chacun au nom d'un humanisme compatible avec les droits de
l'Homme, alors cette Europe sera une chance pour elle-même
et pour le monde qui est demandeur de ses statuts et de sa
philosophie politique. Une Europe intégrée dans
un monde rendu violent par l'accumulation entre autres des
erreurs de leadership du gouvernement Bush, pourra apporter
comme elle le fait en Iran ou en Israël, des solutions
de paix véritablement pérennes. C'est par là
que passera le Renouveau européen et mondial. Une conscience
renouvelée de l'effort et de l'excellence...
http://www.europartenaires.info-europe.fr/
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