Laurent Fabius : «Nous avons besoin de l'Europe»
Propos recueillis par AVA DJAMSHIDI ET CHARLES DE SAINT-SAUVEUR
Élections. A
un mois d'un scrutin où le PS risque encore une mémorable claque,
Laurent Fabius défend l'Union européenne, mais l'exhorte à changer.
Dans
le vaste bureau de Laurent Fabius, au Quai d'Orsay, un écriteau « merci
papa Hollande », brandi par une foule enthousiaste lors d'une visite
présidentielle au Mali après l'opération Serval. Plus inattendu : un
grand portrait du général de Gaulle, dessiné par l'artiste chinois Fan
Zeng, trône sous un immense lustre.
« Un grand homme », sourit le chef de la diplomatie française, en
désignant celui contre qui il avait manifesté en 1968. Entretien
exclusif à un mois d'un scrutin qui risque d'être marqué par un record
d'abstention et la percée des partis populistes antieuropéens.
L'Ukraine
Comment qualifiez-vous aujourd'hui nos relations avec les Russes ?
LAURENT FABIUS. Ce sont des partenaires à la fois importants et
difficiles. Importants, car historiquement, géographiquement,
politiquement, il faut entretenir des relations suivies avec ce vaste
pays, membre permanent du Conseil de sécurité. Difficiles, car annexer
comme ils l'ont fait une partie d'un Etat, la Crimée, est totalement
contraire au droit international. D'où notre choix : fermeté et
dialogue.
Quelle serait la ligne rouge après l'épisode de la Crimée ?
Personne de sensé ne souhaite évidemment un conflit armé avec la
Russie, mais nous devons être fermes : la Russie doit respecter la
souveraineté de ses voisins, autant qu'elle tient à la sienne.
Pensez-vous que Vladimir Poutine a l'intention d'aborder l'est de l'Ukraine ?
Je n'ai pas de certitude, mais il faut être très vigilant. Nous sommes
inquiets. Quand se produit l'affrontement entre populations chauffées à
blanc, des incidents peuvent dégénérer. D'où notre appel à la
désescalade. Nous avons déjà pris des sanctions, nous pouvons en
prendre d'autres .
Comment jugez-vous le rôle de l'Union européenne (UE) sur la crise en Ukraine ?
Un rôle utile, mais partiel. Lorsque Kiev était au bord de la guerre
civile en février, nous nous sommes rendus, avec mes homologues
allemand et polonais, dans la capitale ukrainienne et nous sommes
parvenus à éviter un bain de sang. Mais l'UE n'a pu empêcher l'annexion
de la Crimée. Il faut en tirer les leçons, notamment en matière de
politique énergétique. Sur les 28 pays de l'UE, six dépendent à 100 %
du gaz russe et douze à plus de 50 %. Nous devons réduire cette
dépendance, donc bâtir ensemble une stratégie énergétique européenne.
Par exemple, si nous diversifions nos sources d'énergie, si nous
groupons nos achats pour obtenir de meilleurs prix, ce sera positif
pour les ménages et les entreprises. C'est cette politique qu'il faut
mettre en avant.
Il faut donc plus d'Europe ?
Mieux d'Europe et une Europe différente. Ce qu'on appelle la
subsidiarité doit être respecté : l'UE ne doit plus légiférer sur des
sujets microscopiques. La gestion de l'UE est si contestée que l'idée
européenne elle-même est mise en cause. C'est un danger, car nous avons
besoin de l'Europe. Compte tenu du poids croissant des autres
Etats-continents, de la nécessité d'agir unis pour être forts, la
gestion doit être simplifiée, rendue plus efficace, réorientée vers
l'emploi, le social et l'environnemental ; mais la démolition de
l'Europe, comme certains partis le proposent, affaiblirait les Etats
membres, donc la France et les Français.
Depuis 2012, trois
secrétaires d'Etat ou ministre délégué se sont succédé aux Affaires
européennes... Est-ce un bon signal envoyé aux 27 partenaires européens
?
Vous pensez à Harlem Désir ? Dans les réactions à sa nomination, il y a
une part d'excès, car il est le premier nommé dans ce poste à posséder
une longue expérience de parlementaire européen. Ce qui compte pour nos
partenaires, ce sont les positions de fond.
Comment redonner envie d'Europe aux Français ?
En évoquant davantage nos objectifs concrets. Par exemple, on a
beaucoup parlé récemment d'union bancaire. Derrière ce vocabulaire
technocratique, l'Europe s'est dotée d'un mécanisme grâce auquel,
désormais, lorsqu'on dépose de l'argent dans une banque, il est
garanti. C'est positif, c'est concret. Expliquons-le.
La République exemplaire
Il y a une semaine,
Fleur Pellerin a indiqué qu'elle était à la recherche de « bureaux
adaptés » pour ses équipes. Où votre nouvelle secrétaire d'Etat
est-elle finalement installée ?
Au Quai d'Orsay, pas très loin de mon bureau.
Confirmez-vous l'information du « Canard enchaîné » qui avance que le montant des travaux en question s'élève à 150 000 € ?
Puisque vous vous intéressez aux problèmes majeurs de la planète,
soyons précis : le devis des travaux est de 77 000 EUR, dont plus de la
moitié concerne une cage d'escalier précédemment endommagée par un
dégât des eaux.
Peut-on être socialiste et se faire cirer les souliers dans un palais de la République ?
A votre avis ?
La grogne à gauche
Comprenez-vous la grogne qui monte au sein du PS ?
Si vous parlez du pacte de responsabilité, ses deux objectifs sont de
dépenser moins et d'investir plus. La France a besoin des deux. Je ne
dis pas que c'est facile ou agréable, mais c'est indispensable. Si on
veut à la fois redresser notre économie, stimuler l'emploi et réduire
nos dépenses, l'équilibre général du pacte me semble bienvenu. Pour
autant, le dialogue est toujours utile.
Depuis 2012, y a-t-il une phase trop fiscale ?
L'impôt a été lourd, c'est vrai, mais les déficits qu'il fallait
combattre l'étaient aussi. Il faut que nos entreprises se sentent
appuyées, ce sont elles qui créent des emplois. Nous devons encourager
les investissements en France et la venue d'investissements étrangers.
Les entreprises et les emplois ne tombent pas du ciel. Dans un monde où
désormais tout est mobile, cela nécessite des taux de fiscalité et de
cotisation comparables aux pays concurrents.
Les entreprises créent l'emploi. Est-ce une évidence dans la bouche des socialistes ?
Oui. Défendre à la fois les entreprises, les entrepreneurs, les
salariés, les emplois, c'est le BA-ba pour toute personne raisonnable.
Il y a quelques archaïsmes au Parti socialiste ?
Evitons les caricatures. Peut-être existe encore ici ou là, comme on
dit chez les diplomates, une « marge de progression ». Mais pour
l'immense majorité, chacun comprend qu'on ne peut distribuer que les
richesses qui sont produites. Efficacité économique et justice sont
toutes les deux nécessaires.
Vous vous êtes fait
cette semaine le défenseur du travail du dimanche. Ne craignez-vous pas
de heurter votre famille politique, déjà en partie divisée sur les
mesures du plan Valls qui sera voté mardi ?
J'évoquais uniquement les zones très touristiques. Si les Galeries
Lafayette étaient ouvertes le dimanche à Paris, leur président s'engage
à recruter 600 personnes, à faire travailler seulement les volontaires
et pour un salaire double. Cela mérite qu'on en discute, non ?
26 Avril 2014
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