Elections Européennes
Peillon : "Le 25 mai, on peut passer d'une Europe de droite à une Europe de gauche"
Propos recueillis par Clément Quintard
A
une semaine des élections européennes, Vincent Peillon, tête de liste
socialiste pour la circonscription Sud-Est, défend une Union européenne
"plus fédérale". Interview.
Un
sondage Ifop publié fin avril le donnait à la traîne derrière l'UMP et
le Front national. Mais à une semaine des élections européennes, qui se
tiendront dimanche 25 mai, Vincent Peillon a l'impression que le débat
est enfin "en train de se nouer".
L'ancien ministre de l'Education nationale, devenu tête de liste
socialiste pour la région Sud-Est se refuse aujourd'hui à tout
commentaire concernant la politique gouvernementale. Nulle envie, par
exemple, d'avoir à revenir sur la réforme des rythmes scolaires qu'il a
initiée, et qui a provoqué sa sortie du gouvernement en avril dernier.
Ses prises de parole sont à présent tournées vers la remobilisation
d'un l'électorat de gauche encore traumatisé par les municipales de
mars, la lutte contre la poussée des europhobes, et la relance du
processus d'intégration européen. Interview.
A une semaine du scrutin, comment sentez-vous ces élections ?
- J'ai l'impression que le débat qui faisait auparavant totalement
défaut est en train doucement de se nouer... enfin, à une semaine du
scrutin ! C'est dommage, car ce que je constate c'est que plus on
parle d'Europe avec nos citoyens, plus ça les intéresse, et plus les
doctrines europhobes qui se nourrissent de l'ignorance reculent.
En France, ces élections européennes ont eu droit a un espace
extrêmement restreint sur l'agenda politico-médiatique. Entre les
municipales, le remaniement, les différents dossiers de politique
nationale, l'Europe n'a pas le débat qu'elle mérite.
Quand on mesure l'importance qui est la sienne dans nos vies
quotidiennes et sur notre destin collectif, c'est un déni de
démocratie. Comme ce refus de diffuser sur les chaînes de service
public le débat entre les candidats à la présidence de la Commission
européenne. Une chose est sûre : en refusant de parler d'Europe,
en refusant d'éclairer nos concitoyens, on contribue toujours à
l'avancée des idées europhobes et on dessert la démocratie.
Justement, le FN est devant votre liste dans les sondages, comment l'interprétez-vous ?
- Il faut toujours craindre que l'histoire se répète. Nous assistons à
une forme de somnambulisme propice à la montée du Front national. La
recette de ce parti est toujours la même depuis que l'extrême-droite
existe : il s'agit d'attiser les peurs, de désigner des boucs
émissaires, de propager la haine de l'autre.
Il n y a pas de nouveau FN. Ce sont Jean-Marie Le Pen et Bruno
Gollnisch qui sont candidats dans ma région, bref, le très vieux Front
national. Et Marine le Pen reprend leurs thèmes, avec cette obsession
de l'immigration, de l'étranger, qui a toujours été le fond de commerce
des racistes.
La préférence nationale par exemple... Imaginez que tous les pays
fassent cela. On voit déjà ce que cela peut donner au niveau européen,
où les nationalistes sont incapables de se mettre d'accord entre eux.
Mais ce qui est terrible, c'est la complaisance des uns et des autres à
ces thèmes. Alors qu'ils ne feront que 20% au plus au plan européen, ce
qui est déjà beaucoup trop, qu'ils n'ont aucune chance - et tant mieux
- de diriger l'Europe, qu'ils ne proposent aucune solution aux défis de
l'avenir, ils occupent le centre des commentaires et imposent presque
l'agenda médiatique.
L'heure est grave. Il y a une trahison des nouveaux clercs cathodiques
et des élites de papier, sans compter quelques politiques, à droite et
parfois à gauche qui ont une fâcheuse tendance à s'égarer au moins dans
le verbe et le ton.
Aucun républicain ne peut s'exonérer de sa responsabilité. Si le FN
arrivait en tête, c'est qu'ils ne se seront pas mobilisés. L'abstention
n'est pas une excuse. Le Front national se nourrit des démissions des
démocrates.
La plupart des citoyens qui s'abstiennent le font aussi parce qu'ils ne comprennent rien à l'Union européenne...
- J'ai en effet découvert pendant ma campagne que certains citoyens ne
savaient pas que l'Europe était gouvernée par la droite depuis dix ans.
Ou que le président de la Commission européenne est José Manuel Baroso.
On leur a bien caché.
L'Europe est donc victime de notre propre médiocrité. Mais elle n'est
pas la seule. Si on essayait en France d'informer les citoyens sur les
vrais sujets plutôt que de faire de l'affrontement médiatique
systématique, en opposant petites phrases à petites phrases, pensées
courtes à pensées courtes, je pense qu'on n'en serait pas là.
Il en va de l'Europe comme du reste : elle n'est ni mieux ni plus mal
traitée que notre économie ou notre école ou notre emploi. Le vrai
débat, l'enjeu du vote du 25 mai, c'est le choix entre une Europe de
droite, celle de Jean-Claude Junker et de José Manuel Barroso,
c'est-à-dire la continuité, où une Europe de gauche, avec Martin Schulz.
Ce débat entre la gauche et la droite, la droite française l'a esquivé
en permanence en n' assumant pas son bilan. On voit même Monsieur
Lamassoure faire campagne en réclamant qu'on lui donne le pouvoir qu'il
a déjà avec ses amis. Faut oser ! Il faut changer l'Europe, et donner
une majorité à la gauche pour le faire. Je souhaite d'ailleurs que
Martin Schulz propose à toute la gauche et aux écologistes une majorité
de progrès, claire et volontaire, capable de créer une nouvelle
dynamique européenne.
Le 25 mai, on ne vote pas pour ou contre l'Europe, on ne passe pas non
plus de l'ombre à la lumière. Mais on peut passer d'une Europe de
droite à une Europe de gauche. C'est l'enjeu du scrutin, et c'est sans
doute aussi un espoir qui peut mobiliser.
Quels "vrais sujets" souhaitez-vous porter à Bruxelles ?
- L'agenda restera économique et social. Pour sortir de la crise, il
faut une Europe plus fédérale et plus puissante : pilotage de
l'économie, budget, harmonisation sociale et fiscale, communauté
européenne de l'énergie, lutte contre l'évasion fiscale... L'Europe
souffre d'abord d'une absence d'Europe, d'un manque de puissance et
d'ambition. Quand on prône un repli sur les nations, c'est comme si on
voulait soigner quelqu'un de malade en proposant de l'achever.
C'est l'inverse dont nous avons besoin. Plus d'intégration passe par la
mise en place d'une taxe sur les transactions financières, d'un salaire
minimum, de politiques industrielles, mais aussi par le développement
d'une culture commune, d'un esprit public européen et d'un espace
public commun.
Pour ce qui me concerne, je continuerai aussi mon travail pour faire
que l'Europe se développe vers son Sud, de l'autre côté de la
Méditerranée, en favorisant les échanges et le développement.
19 Mai 2014
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