L'économiste Jeremy Rifkin juge le plan Juncker insuffisant
Par Daniela Vincenti traduit de l'anglais par Manon Flausch
L'Europe
devrait mobiliser bien plus de 315 milliards d'euros pour
transformer son économie, et lancer une société réellement verte. C'est
ce qu'a expliqué l'américain Jeremy Rifkin à EurActiv.
L'économiste
américain Jeremy Rifkin, qui doit participer à la conférence Momentum
for Europe, organisée par la Banque européenne d'investissement à
Berlin, appelle à un engagement plus large de la Commission européenne
en matière d'investissement.
Fonds structurels 2.0
« 300 milliards, ce n'est pas grand-chose, en réalité »,
estime-t-il. « Ce sur quoi il faut se concentrer, c'est la
repriorisation de l'investissement partout en Europe. Il s'agirait de
centaines de milliards d'euros. »
Selon cet auteur influent, dont le best-seller Troisième révolution
industrielle aurait servi de base à la transition de l'Allemagne vers
une économie faible en carbone, et convaincu la Chine de la nécessité
stratégique d'une politique climatique, la mission politique de l'UE
devrait être la restructuration de tous l'investissement européen, bien
au-delà des 300 milliards concernés par le plan Juncker.
« Il faut créer une nouvelle vision sur le moyen de relier toutes
les régions d'Europe à un nouvel Internet permettant les objets
connectés, il faut une troisième révolution industrielle pour le 21ème
siècle, qui puisse réellement intégrer l'Europe, en faire un lieu
unique, et augmenter drastiquement la productivité et l'emploi »,
poursuit-il.
Chaque région reçoit une certaine somme via les fonds structurels
européens. Le problème de ces fonds, c'est qu'une grosse partie de cet
argent est gaspillé, selon Jeremy Rifkin.
« Si vous avez une usine de ciment, vous pouvez par exemple
obtenir de l'investissement pour une route qui ne mène nulle part, qui
n'a aucun lien logique avec le reste de l'Europe », explique-t-il.
Au lieu de cela, chaque région devrait proposer un projet de création
de nouvelles infrastructures qui combine trois piliers interagissant
ensemble afin de permettre au système de fonctionner comme un tout, un
ensemble cohérent.
Ce système implique l'adoption de nouvelles technologies de
communication, afin de gérer plus efficacement l'activité économique,
de nouvelles sources d'énergie afin d'alimenter plus efficacement
l'activité économique, et de nouveaux moyens de transport, afin de
faire circuler plus efficacement l'activité économique.
L'économie européenne ralentit, la productivité s'essouffle et le
chômage demeure obstinément trop élevé. « L'UE se trouve
aujourd'hui dans une espèce de flou, sans vision claire de la prochaine
étape de sa vie », juge l'économiste.
La révolution Juncker ?
Même si le plan Juncker ne suffira pas à faire redémarrer réellement
l'UE, le nouveau président de la Commission a commencé à créer une
nouvelle vision pour la prochaine étape du voyage européen, estime
cependant Jeremy Rifkin, également auteur d'un ouvrage intitulé Le rêve
européen.
L'UE doit son succès à sa capacité d'anticiper et d'imaginer une série
d'idéaux sociaux et économiques qui ont motivé les États membres et les
citoyens à poursuivre leur voyage commun. Ces idées s'illustrent par le
traité de Maastricht et la création d'une union politique,
l'introduction de l'euro et l'union monétaire, l'élargissement, les
objectifs 20-20-20 et la transition vers une économie faible en
carbone, rappelle-t-il.
« Aujourd'hui, l'Europe prépare le terrain d'une troisième
révolution industrielle. L'Internet de la communication numérisée
rejoint un Internet de l'énergie renouvelable numérisée et un Internet
de transport et de logistique automatique numérisé, afin de créer un
super-Internet des objets connectés (IdO) », ajoute-t-il, assurant
qu'entre 2015 et 2020, cet IdO générerait un marché unique intégré de
hautes technologies digne du 21ème siècle.
L'Allemagne, le Danemark, la France et l'Italie ont déjà commencé cette
transition. « Angela Merkel le comprend, François Hollande le
comprend, Jean-Claude Juncker le comprend », assure Jeremy Rifkin.
« Nombre d'autres dirigeants les rejoignent, mais ce n'est que le
début. »
Ils comprennent, selon l'économiste, que si nous ne faisons pas cette
transition, nous serons coincés et ne parviendrons pas à passer à une
Europe intégrée.
« Si quelqu'un a une autre proposition, j'aimerais qu'il me
l'explique, mais je peux vous dire que les télécommunications,
l'industrie du câble, l'électricité, l'électronique grand public, les
transports et la construction, tous ces secteurs sont prêts. Ils voient
les portes ouvertes par l'Internet des Objets, qui connectera tout le
monde en Europe », insiste le spécialiste.
L'Allemagne montre la voie
En décembre, l'Allemagne a adopté des résolutions ambitieuses en
matière de politique énergétique. Ces résolutions se centrent sur
l'introduction de mesures d’incitation fiscale pour les rénovations de
bâtiments énergiquement efficaces, sur le renforcement du programme de
rénovation CO2 et sur la dynamisation des appels d'offres
concurrentiels pour les projets d'économie d'énergie. Ces priorités
seront soutenues par des centaines de millions d'euros de financements.
Dans l'ensemble, les mesures de financement et l'investissement privé
associé s'élèveront à un volume d'investissements total de 70 à 30
milliards d'euros. « [L'Allemagne] a engagé 80 milliards d'euros à
l'Internet de l'énergie, pour que les citoyens puissent générer leur
propre énergie et se débarrasser des énergies fossiles. Il s'agit d'un
montant important pour les quatre premières années. À présent, ils se
sont aussi engagés à promouvoir l'Internet logistique sans
conducteur », note Jeremy Rifkin.
Un supercontinent numérique
Une telle révolution présente également des bénéfices géostratégiques,
puisque la Chine semble s'être embarquée sur cette même voie. Il existe
donc une perspective de collaboration avec la Chine en ce qui concerne
la création d'un espace économique intégré unique comprenant les terres
eurasiennes.
Ces derniers mois, le président chinois, Xi Jinping, a appelé à la
création d'une nouvelle ceinture économique de la route de la soie, une
initiative de hautes technologies eurasienne qui permettrait de
connecter l'Eurasie dans un marché intégré homogène de Shanghai à la
mer d'Irlande. « Nous commençons à voir la possibilité d'un
supercontinent rassemblant l'Asie et l'Europe », ajoute Jeremy
Rifkin.
Un optimisme prudent
L'économiste est toutefois conscient que le jeu est loin d'être gagné,
et que des événements dramatiques, une mauvaise gouvernance ou une
simple malchance pourraient mettre cette transition à mal.
« Cependant, si nous parvenons à tenir bon, nous pourrions voir
[d'ici 30 ou 40 ans] la naissance d'un nouvel espace politique et
commercial eurasien unique. Et, avec un peu de chance, cet espace
s'élargira également aux autres régions du monde », espère-t-il.
« Je veux être absolument clair : ce n'est que le début de
cette conversation, ce sera difficile, c'est un pari sur le long terme,
mais il y a une nouvelle génération de dirigeants en Chine et e, Europe
qui comprennent cette idée. Ils commencent à concrétiser cette nouvelle
vision d'une Europe numérique et d'une Eurasie numérique »,
conclut-il.
PROCHAINES ÉTAPES :
• 2-3 mars : Conférence Momentum for Europe
• Mi-2015 : Le nouveau Fonds
européen pour les investissements stratégiques devrait être
opérationnel.
• Mi-2016 : La Commission évaluera
les avancées découlant du Plan Juncker, y compris au niveau des
gouvernements nationaux.
LIENS EXTERNES:
Union européenne
Commission européenne : Un plan d’investissement pour l’Europe (26 novembre 2014)
Commission européenne : EU launches Investment Offensive to boost jobs and growth (26 novembre 2014) (en anglais)
Banque européenne d'investissement : Conférence Momentum for Europe (en anglais)
Banque européenne d'investissement : Investment and Investment Finance in Europe in 2015 (en anglais)
14 Mars 2015
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