Jean-Claude
Juncker veut sensibiliser les Européens à « l’état de
l’Union » Par
Camille Le Tallec, à Strasbourg
Le
président de la Commission veut faire de son discours annuel, mercredi
9 septembre, un moment fort de la démocratie en Europe, à l’image
de ce qui se fait aux États-Unis. Son programme est en partie dicté par
les dossiers brûlants qui ont fait apparaître au grand jour les
faiblesses de l’Union, notamment sur la Grèce et la crise des migrants.
La Commission et le Parlement européens veulent peser face aux États
membres.
Le
Parlement européen a concocté une vidéo bande-annonce digne d’un roman
à suspense. La Commission, de son côté, a mis en ligne un site Internet
dédié au « Discours sur l’état de l’Union » que son Président
Jean-Claude Juncker tient mercredi 9 septembre devant les
eurodéputés, réunis en plénière à Strasbourg.
Ce qui n’est encore qu’une pâle copie du discours que le président
américain prononce chaque année fin janvier, début février devant le
Congrès, doit sortir de l’ombre. Et symboliser l’ambition commune des
deux institutions : « faire bouger l’Europe », selon les mots
du chef de l’exécutif européen.
Devant les eurodéputés, Jean-Claude Juncker devra dresser un premier
bilan de son action depuis les élections européennes de mai 2014, et
présenter ses principales orientations pour les mois à venir.
Un programme en partie dicté par les dossiers brûlants, qui ont fait
apparaître au grand jour les faiblesses de l’Union : la zone euro s’est
déchirée sur la réponse à apporter à la crise grecque – certains
responsables envisageant une sortie du pays de l’union monétaire – et
la recherche d’une réponse commune à la crise migratoire s’est heurtée
aux logiques nationales.
L’HYPOCRISIE DES
ÉTATS MEMBRES EN MATIÈRE D’ACCUEIL DE RÉFUGIÉS
« Dans les négociations avec la Grèce, la Commission s’est engagée
politiquement, souligne Fabian Zuleeg, directeur de l’EPC, un centre de
recherche sur la politique européenne. Elle a par exemple appelé à
voter oui au référendum en Grèce, faisant entendre la voix de l’Europe.
Ça correspondait à une attente des États membres. »
En prenant ses fonctions, Jean-Claude Juncker avait annoncé une
Commission « très politique ». Une évolution qui s’observe
aussi, selon Fabian Zuleeg, dans le rôle moteur joué par l’institution
en faveur d’un approfondissement de l’Union économique et monétaire ou
dans ses efforts pour ouvrir le dialogue avant le référendum
britannique sur l’appartenance à l’UE.
Dans son discours, mercredi 9 septembre, Jean-Claude Juncker doit
présenter un nouveau plan pour l’asile. Il devrait recommander aux pays
de l’Union européenne d’accueillir 120 000 demandeurs d’asile
arrivés en Italie, en Grèce et en Hongrie, alors que les chefs d’État
et de gouvernement européens n’ont pas réussi, pendant l’été, à tomber
d’accord sur l’accueil de 40 000 personnes.
Offensif, Jean-Claude Juncker a dénoncé leur « hypocrisie ».
Et quand de nombreuses voix reprochent à Bruxelles de ne pas être à la
hauteur des enjeux, la Commission répond que « le blocage vient
des États membres ».
MARTIN SCHULZ,
ALLIÉ DE JEAN-CLAUDE JUNCKER
Il s’agit de défendre le mode de décision supranational aux côtés de
l’intergouvernemental du Conseil européen. « Son ambition de long
terme est de rééquilibrer les pouvoirs, observe Marco Incerti, du CEPS,
un centre de réflexion bruxellois. Il est à l’initiative, présent dans
des débats où il n’est pas toujours le bienvenu, mais la réalité
demeure : ce sont les États membres qui déterminent ce qui peut être
fait. »
Une prudence partagée par Fabian Zuleeg. « Il reste à voir si
cette crise va pousser les États à mieux coopérer, souligne-t-il. Le
danger, c’est que la Commission fasse des promesses qu’elle ne pourra
pas tenir. »
Au Parlement, la grande coalition des conservateurs et des
sociaux-démocrates salue la méthode Juncker. « La Commission a été
courageuse [sur le dossier migratoire], estimait hier Gianni Pittella,
président du Groupe des Socialistes et Démocrates. Elle a ravivé
l’espérance ».
Le président du Parlement européen Martin Schulz est un allié du chef
de l’exécutif dans cette bataille pour un rôle accru des institutions
supranationales, et les plus optimistes veulent croire que l’acuité des
crises actuelles leur confère une force nouvelle.
« JEAN-CLAUDE
JUNCKER USE DE SA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE DANS SES RAPPORTS AVEC LE
CONSEIL EUROPÉEN »
« Jamais les défis pour l’Europe n’ont été si énormes, estime
Manfred Weber, président du groupe du Parti populaire européen (centre
droit). Nous devons proposer des solutions et démontrer la valeur
ajoutée de l’Europe. Les problèmes européens ont besoin de solutions
européennes. »
Pour les députés, le discours sur l’état de l’Union et le débat qui
s’ensuit est un jalon important du contrôle démocratique qu’ils
exercent sur la Commission. Le rendez-vous lance la rentrée politique
européenne depuis 2010, mais c’est le premier prononcé par un président
de la Commission élu par le Parlement. De haute lutte, les eurodéputés
avaient obtenu l’an dernier que l’exécutif européen revienne à la tête
de liste du parti ayant remporté le plus de sièges.
« Jean-Claude Juncker joue le jeu, observe Marco Incerti. Il use
de sa légitimité démocratique dans ses rapports avec le Conseil
européen et il a beaucoup consulté pour préparer ce discours. »
« Les contacts entre les deux présidents sont
quasi-quotidiens », confirme Armin Machmer, porte-parole de Martin
Schulz. En prenant ses fonctions, l’an dernier, Jean-Claude Juncker
avait d’ailleurs dramatisé cet enjeu : « Ceci est la Commission de
la dernière chance » pour rapprocher les citoyens de l’Europe.
Croissance
meilleure que prévu dans la zone euro
La croissance de la zone euro a été légèrement meilleure que prévu
(+ 0,4 %) au deuxième trimestre, a indiqué hier l’Office
statistique de l’Union européenne, Eurostat, qui a également rehaussé
le chiffre du premier trimestre à 0,5 %.
Lors de sa première estimation mi-août, Eurostat avait fait état d’un
chiffre de 0,3 % pour le deuxième trimestre, contre 0,4 % pour le
premier. « Le PIB a augmenté dans tous les États membres pour lesquels
les données sont disponibles pour le deuxième trimestre, sauf en France
où il est resté stable », contre + 0,7 % au premier, a indiqué
l’Office.
La révision à la hausse de la croissance au premier trimestre est
notamment due à l’inclusion de l’Irlande, qui a tardé à livrer de bons
chiffres (+ 1,4 %).
Addendum par Le
Point
« Ce n'est pas l'heure d'avoir peur » : le président de la Commission
européenne Jean-Claude Juncker a demandé mercredi aux Européens de
faire preuve d'audace et de solidarité en répartissant immédiatement
160 000 réfugiés dans l'UE, des propositions qui sont loin de faire
l'unanimité. La chancelière allemande Angela Merkel a martelé pour sa
part qu'elle voulait une répartition « contraignante » des réfugiés,
quitte à bousculer sérieusement les plus réticents de ses partenaires
européens.
Ces divergences entre pays de l'UE se traduisent de manière très
concrète pour les réfugiés, notamment syriens, qui continuent d'affluer
par dizaines de milliers en passant par les Balkans : accueillis sous
les vivats en Allemagne, ils se heurtent plus au sud, parfois
violemment, aux policiers hongrois qui bloquent la frontière avec
l'Autriche. Jean-Claude Juncker a souhaité que les 28 États membres de
l'UE se mettent d'accord dès la semaine prochaine sur la répartition
des 160 000 réfugiés évoqués, au risque de bousculer les pays réticents.
L'Allemagne en première ligne
Ce chiffre correspond à l'addition d'une précédente proposition de
répartir 40 000 réfugiés arrivés sur le sol européen avec une nouvelle
proposition d'urgence portant sur 120 000 personnes qui se trouvent
actuellement en Italie, en Grèce et en Hongrie. Cherchant à convaincre
l'UE de dépasser ses divisions, Jean-Claude Juncker en a appelé aux
grandes valeurs du projet européen. « Il est temps de faire preuve
d'humanité et de dignité », a-t-il lancé devant les députés réunis dans
l'hémicycle du Parlement européen à Strasbourg. Il a appelé à des
actions « audacieuses et déterminées », assurant : « Nous avons les
moyens d'aider ceux qui fuient la guerre. »
Jean-Claude Juncker a aussi spécifiquement demandé que la religion des
réfugiés, venus de pays à grande majorité musulmane, ne soit pas un
critère de choix, alors que certains élus en France ont fait savoir
qu'ils ne voulaient accueillir que des chrétiens. L'option des quotas
avait d'avance été jugée encore trop timide par l'Allemagne pour faire
face à la pire crise migratoire en Europe depuis 1945, alors que
certains pays de l'Est la trouvent inacceptable. Cette méthode place
l'Allemagne en première ligne (environ 26 % du total), suivie de la
France (20 %) et de l'Espagne (12 %).
La Hongrie érige
une clôture
Angela Merkel a appelé ses partenaires européens à ouvrir plus grand
leurs portes aux dizaines de milliers de réfugiés qui se pressent aux
portes de l'Europe. La proposition de la Commission européenne ne peut
être qu'un « premier pas », a estimé la chancelière, très en pointe sur
le dossier et qui a fini par rallier le président français François
Hollande à la solution des quotas. Chef de file des opposants à une
politique d'ouverture, le Premier ministre hongrois Viktor Orban vient,
lui, d'annoncer qu'il comptait accélérer le renforcement de la clôture
érigée le long de sa frontière avec la Serbie pour tenter de contenir
le flux des migrants.
Plus déterminés que jamais, des centaines de migrants ont forcé à
plusieurs reprises le cordon de la police hongroise à la frontière avec
la Serbie. « Nous ne voulons plus vivre dans des camps en Hongrie ou
ailleurs, les conditions sont horribles, il fait trop froid, tout est
sale, et ça sent mauvais », lançait dans la nuit une jeune Syrienne
originaire de Damas, qui tentait avec d'autres de forcer le passage
près du village frontalier hongrois de Rözske, à 170 km de Budapest.
D'autres scandaient : « Nous voulons partir, laissez-nous passer », en
entonnant devant des policiers hongrois des « Germany, Germany », un
pays devenu leur Terre promise.
La Maison-Blanche critiquée
En Allemagne, les spécialistes estiment que l'arrivée d'une vague
d'immigration massive va entraîner une « charge financière et une
transformation massive de la société ». Mais l'afflux de migrants va
aussi contribuer à enrayer le déclin démographique et sera crucial pour
le marché du travail en manque de main-d'oeuvre. Devenue le lieu
emblématique de cet « exode », selon les termes du président du Conseil
européen Donald Tusk, la petite île grecque de Lesbos a reçu à elle
seule 20 000 candidats à l'exil, soit le quart de sa population.
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a exhorté les dirigeants
européens à se montrer solidaires des réfugiés « qui ont le droit de
chercher asile sans subir aucune forme de discrimination ». Il
organisera le 30 septembre, à New York, une réunion sur ce dossier. La
Maison-Blanche, critiquée pour son manque de réactivité face à la crise
des réfugiés syriens, a indiqué qu'elle envisageait de nouvelles
mesures pour y répondre. Le Premier ministre australien Tony Abbott a
annoncé que son pays allait accueillir 12 000 réfugiés supplémentaires
en plus des 13 500 qu'il accepte chaque année. Le Venezuela s'est dit
prêt pour sa part à en accueillir 20 000.