Brexit : la longue marche de David Cameron
Par Marc Roche
Autrefois
eurosceptique tiède, David Cameron, pris au piège de son référendum sur
une sortie de l'UE, est aujourd'hui le chef de file des "anti-Brexit".
L'accord
entre Londres et Bruxelles sur la réforme de l'Union européenne est à
l'ordre du jour du Conseil européen des 18 et 19 février
prochains. En cas de succès, le référendum sur le maintien du
Royaume-Uni au sein de l'UE devrait avoir lieu le 23 juin. À l'heure
qu'il est, le Premier ministre britannique David Cameron peut se
demander comment il en est arrivé là. En effet, dix ans plus tôt, le
même David Cameron, nouveau leader de l'opposition conservatrice
déchirée par ses divisions, s'était engagé dans un souci d'unité à
« cesser de considérer l'Europe comme responsable de tous les
maux ».
Que s'est-il passé en l'espace d'une décennie ? En 2007, pour être
élu Premier ministre, le leader de la droite britannique s'engage à
organiser un référendum sur le traité de Lisbonne. Mais il a d'autres
chats à fouetter et oublie vite cette promesse. D'ailleurs, à l'inverse
de la France, le référendum n'est pas du tout dans les mœurs de la
politique outre-Manche. Signé le 13 décembre 2007 entre les vingt-sept
États membres, le document de Lisbonne, instituant la majorité
qualifiée, la charte des droits fondamentaux ou la jurisprudence de la
Cour de justice, est ratifié par le nouveau chef du gouvernement
travailliste, Gordon Brown, en 2008.
Montée des eurosceptiques
Aux élections de mai 2010, les Tories ratent la majorité absolue, à la
surprise générale. David Cameron devient Premier ministre dans une
coalition avec les libéraux-démocrates de Nick Clegg. Sous la pression
de cet allié centriste très pro-européen, le programme de la
législature passe sous silence la promesse d'un référendum. Mais,
hostiles à cette cohabitation, les eurosceptiques très influents au
sein du nouveau groupe parlementaire conservateur ne cessent de tailler
des croupières à David Cameron. Les rebelles lui infligent camouflet
sur camouflet. Par ailleurs, surfant sur l'hostilité des campagnes
britanniques à l'afflux d'immigrants des pays de l'Est, le parti
populiste, xénophobe et virulemment anti-européen Ukip progresse
électoralement au détriment des Tories.
Pour David Cameron, il y a urgence. En vue d'éviter une guerre civile
dans son parti, en janvier 2013, au cours d'un discours-clé, l'hôte du
10 Downing Street annonce la tenue d'une consultation au plus tard en
2017. À ses yeux, ce référendum doit permettre de mettre fin aux
tiraillements sur l'Europe au sein de sa majorité. Ces désunions sur
l'aventure communautaire ont fait tomber ses deux prédécesseurs
conservateurs, Margaret Thatcher et John Major. Son credo : les
intérêts économiques et sécuritaires du Royaume-Uni seront mieux servis
à l'intérieur d'une Europe « réformée ». Il est persuadé
qu'une victoire ne sera qu'une simple formalité. Mais le Royaume-Uni,
entre-temps, a viré à l'euroscepticisme.
Rapprochement avec les partenaires européens
David Cameron n'entend pas, comme Blair, vouloir mettre le Royaume-Uni
« au cœur de l'Europe ». Instinctivement, ce prototype de la
gentry anglaise est favorable à laisser le royaume aux marges de l'UE.
Son hostilité de longue date à l'adhésion à la monnaie unique ou à
l'espace de Schengen témoigne de cet euroscepticisme tiède. La campagne
des élections législatives du 7 mai 2015 bat son plein. Tous les
instituts de sondage prédisent une absence de majorité et une nouvelle
coalition. Dans ce cas, Cameron espère que le référendum sera reporté
aux calendes grecques, voire carrément abandonné. À la surprise
générale, les Tories remportent le scrutin haut la main. Il s'est pris
à son propre piège.
Devant la montée des partisans du Brexit, David Cameron est conscient
qu'il a besoin plus que jamais de l'aide de ses partenaires européens
pour obtenir les réformes promises. La clé de sa stratégie d'ouverture
est Angela Merkel, qui veut à tout prix maintenir le Royaume-Uni dans
l'UE. Deuxième axe de cette offensive diplomatique, l'amélioration de
ses relations avec François Hollande. Les rapports sont exécrables en
raison de la proximité entre David Cameron et Nicolas Sakozy. Les
attentats de Paris et l'autorisation des frappes aériennes par la Royal
Air Force en Syrie scellent le rapprochement.
Le 10 Downing Street doit aussi se rabibocher d'urgence avec
Jean-Claude Juncker. Londres avait milité activement contre sa
nomination à la présidence de la Commission européenne. Cameron a dû
présenter ses excuses en personne pour le contenu d'un article du
quotidien populaire britannique The Sun sur de prétendues sympathies
nazies du père de l'ex-Premier ministre luxembourgeois. Après ce geste,
le duo est réconcilié.
Retour à la case départ
Il reste les pays de l'Est, dont Londres avait facilité l'accès à l'UE.
Par la suite, le Royaume-Uni s'en était détourné face à l'afflux de
travailleurs polonais et baltes, puis roumains et bulgares. Et, à la
surprise du Foreign Office, la persévérance de David Cameron, ses
talents de négociateur et son pragmatisme ont permis d'atténuer et
peut-être même de vaincre les réticences de Varsovie, de Bucarest ou de
Sofia en matière de droits sociaux.
Hier eurosceptique tiède, David Cameron est aujourd'hui le chef de file
des « anti-Brexit ». Dix ans après son appel, à la fin de la
guerre fratricide entre conservateurs à propos de la construction
européenne, voici donc David Cameron revenu à la case départ. On
devrait savoir à l'issue du prochain Conseil européen, et ensuite du
référendum, si son avenir est glorieux ou bien s'il se sera contenté de
tourner en rond.
15 Février 2016
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