Schengen à l'épreuve : enjeux et perspectives politiques
Par Yves Bertoncini et António Vitorino
António
Vitorino et Yves Bertoncini analysent les racines civiques et
diplomatiques de la crise de l’espace Schengen afin d’évaluer son
ampleur et d’identifier les possibilités d’en sortir au cours des mois
à venir. Leur Policy paper combine trois séries de constats et de
recommandations politiques :
1. Schengen sous le feu croisé de visions politiques divergentes
- Alors que les Européens s’accordent à percevoir le terrorisme
islamique comme une menace, certains d’entre eux perçoivent les
demandeurs d’asile comme des "victimes" et d’autres comme une menace.
- "Schengen" se trouve pris entre deux feux, d’une part des
représentations politiques nationales qui surestiment le potentiel réel
de protection des frontières, et d’autre part des représentations
pro-européennes qui minimisent la dimension sécuritaire de l’accord
fondateur et la dimension populaire de la libre-circulation.
- La dénigration de Schengen est utilisée par les autorités nationales
pour se décharger de leurs propres défaillances et responsabilités au
regard de l’évolution de la crise des réfugiés et face aux menaces
terroristes.
2. Une crise de solidarité, mais surtout une crise de confiance, sur le point d’être endiguée ?
- La construction de centres d’accueil ("hotspots") a le mérite de
répondre au déficit de solidarité mais aussi au déficit de confiance
entre les États membres de l’espace Schengen, comme le projet de "Corps
européen de gardes-frontières" ;
- La menace terroriste déclenche dans les pays européens une solidarité
plus instinctive, qui facilite l’adoption de mesures de sécurité au
niveau de l’UE, mais comment est-il possible de parvenir à un échange
fluide et fructueux d’informations entre des États européens qui
continuent à s’espionner mutuellement ?
- On assiste à une course contre la montre, qui pourrait s’achever en
2018, entre l’européanisation du contrôle des frontières extérieures et
la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières nationales,
qui constitue une "application" et non une "suspension" du code
Schengen ;
- Les Européens vont-ils persister dans une attitude visant à maintenir
les droits associés à l’appartenance à l’espace Schengen (plus de
liberté et de coopération policière et judiciaire) tout en acceptant de
supporter les charges supplémentaires qui en découlent (en termes à la
fois de solidarité et de contrôle des frontières) ?
3. Plus d’Europe aux frontières, mais surtout au-delà : une question de souveraineté
- La création de "hotspots" et la relocalisation des demandeurs d’asile
doivent être présentées comme des outils de gestion de crise justifiant
l’exercice partagé de la souveraineté, afin de leur permettre d’être
plus efficaces et de jouir d’une plus grande légitimité.
- Il est nécessaire d’agir dans le cadre d’un espace de "souveraineté
partagée" au sein duquel la libre circulation s’applique à tous, y
compris les terroristes djihadistes et les réseaux de trafic d’êtres
humains, mais pas suffisamment aux policiers et aux informations dont
ils disposent.
- La pression va continuer à s’exercer sur l’espace Schengen jusqu’à ce
que les Européens se montrent capables de prévenir et de contrôler les
crises se déroulant dans leur voisinage : agir à nos frontières ne
sera pas efficace, seule "l’Europe puissance" peut contribuer à sauver
Schengen.
António Vitorino et Yves Bertoncini concluent leur Policy paper en
soulignant qu’il est bien trop tôt pour annoncer la mort de "Schengen",
tout comme il était bien trop tôt pour annoncer le "Grexit" en 2015, et
qu’il est même possible que la crise de l’espace Schengen ait une issue
similaire à celle de la crise de la zone euro, conduisant alors à
davantage de solidarité et de contrôle de l’UE.
4 Mars 2016
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