Sauver l'Europe...
Par Philippe Tibi, professeur de finance et de stratégie à l’Ecole Polytechnique, Président de Pergamon Campus
La BCE a sauvé l’euro, qui veut sauver l’Europe ?
La
BCE a sauvé l’euro, mais elle ne peut sauver une Europe orpheline d’un
leadership et d’une incarnation politiques. Il y a trois ans, le
« whatever it takes » de Mario Draghi avait ancré
l’irréversibilité de la monnaie unique. La politique non
conventionnelle de la BCE a ensuite dévalué l’euro et permis de
financer l’économie à des taux d’intérêt extrêmement bas.
Elle conclut sur un succès une stratégie qui l’a conduite à l’extrême
limite de son mandat. La BCE sera donc le moteur essentiel de la
croissance en 2016. Une croissance malheureusement trop faible (1,6%)
et trop tardive pour redresser la crédibilité politique de l’Europe.
Notre continent est affaibli depuis huit ans par le délitement de son
économie et l’incapacité de ses gouvernements à concevoir un projet
collectif de sortie de crise. Le sauvetage de l’euro n’aura
pourtant eu de sens que si la construction politique européenne sort
renforcée de la crise.
L’Europe est en difficulté car elle ne tient plus sa promesse de
prospérité et de solidarité. L’Etat-providence recule car il était
partiellement financé par des déficits budgétaires désormais
étroitement contrôlés. La hausse des inégalités insécurise les classes
moyennes. Le chômage massif des jeunes entretient une véritable crise
de l’avenir, tout comme la difficulté de financer les investissements
productifs dans des sociétés vieillissantes et attachées à la
protection du capital.
L’effondrement du rêve européen se traduit évidemment dans les urnes.
Chaque élection atteste des progrès d’oppositions cimentées par le
rejet de ses paradigmes fondateurs. A l’Est, Les gouvernements hongrois
et polonais ne cachent pas leur tropisme pour une démocratie
« illibérale ». A l’Ouest, la scène politique est souvent
caractérisée par la fragmentation électorale et le succès des
souverainismes régionalistes et nationaux. L’UE est présentée comme une
machine technocratique asservie à une mondialisation oublieuse des
intérêts des peuples. Elle est devenue un sujet de surenchère
électorale et n’est défendue que du bout des lèvres par des partis de
gouvernement.
Ces dissensions intra-européennes affaiblissent l’Union face aux défis
extérieurs. L’Europe n’est pas angélique. Elle est habituée à la
brutalité des rapports de force dans les négociations internationales.
Mais son pacifisme ne l’a pas préparée à envisager l’option militaire,
un domaine délégué à l’OTAN depuis 1945. C’est-à-dire à une Amérique
dont la politique étrangère a désormais pivoté vers le Pacifique. Sans
armée, sans doctrine diplomatique, l’Europe peine à penser la
conflictualité, qu’il s’agisse de l’endiguement des ambitions russes ou
de la situation en Syrie. Sa « désécularisation » ne la
prépare pas à comprendre les conflits religieux au Proche-Orient. La
crise des réfugiés évolue donc de façon chaotique et c’est justement
pour cela qu’elle est devenue un sujet existentiel pour l’Union
Européenne.
L’UE ne survivra pas au status quo. Elle est minée par l’échec
économique et l’irruption de la tragédie dans l’histoire de nos
démocraties. Faute de volonté politique et d’entente au sein du couple
franco-allemand, elle s’est à tort reposée sur la BCE pour relever les
défis de la crise. Les autorités politiques doivent désormais affronter
l’enjeu principal : la définition de l’Europe du 21ème siècle. Un
enjeu qui devrait d’ailleurs inciter à la mobilisation des entreprises
et les citoyens européens.
Sans une mobilisation large de ses sociétés civiles, rien qui ne soit
de l'ordre d'un renouvellement sociétal salvateur. Il s'agit d'associer
les citoyens à la prise de décision. De développer des économies
locales, circulaires, écologiques, où les individus reprennent les
rènes de leurs vies et insulflent à leur communauté un dynamisme
nouveau. Nous recommandons chaudement le César du Film Documentaire
Demain dont les analyses et solutions sont particulièrement perninentes
dans le contexte ambiant. (NDLR).
9 Mars 2016
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