Les démocraties plus efficaces que les régimes autoritaires ?
Une intense propagande chinoise se développe visant à faire accroire
que les décès survenus en Occident sont dus à l'inorganisation et au
désordre des régimes démocratiques. Elle est goulument relayée par la
Russie et d'autres rivaux, heureux de rabaisser l'image de l'Europe.
Elle trouve un écho au sein même de l'Union européenne auprès de ses
adversaires traditionnels, pourtant désormais moins nombreux, ou chez
les propagateurs du sentiment du déclin.
Ils
se sont donc lancés dans une propagande effrénée contre l'inefficacité
des régimes démocratiques et, au passage, l'Union européenne. Cette
action a trouvé des relais dans des pays surpris par l'ampleur et la
rapidité de la contagion. Les mesures autoritaires prises par les
Chinois ont déteint d'ailleurs sur les pays occidentaux démunis de
tests et de matériels de protection et la hâte avec laquelle ils ont
décrété le confinement de leur population traduit cette influence. Mais
la sévérité des autorités chinoises, qui ont poussé à la mort les
lanceurs d'alerte et fait respecter leurs décisions par la force et la
contrainte, ne sont pas transposables dans les démocraties.
Au contraire, les critiques, les contestations, le scepticisme des
populations européennes envers leurs gouvernements ne les ont pas
empêché d'être exemplaires et d'accepter le confinement, de se
mobiliser dans des élans de générosité et de solidarité
particulièrement remarquables. Les démocraties sont en train de
démontrer leur extraordinaire vitalité. Les personnels de santé font
preuve d'abnégation et se mettent en danger au nom de l'intérêt général
et pour sauver ne serait-ce qu'une vie, d'autres, fonctionnaires,
employés du secteur privé, sont à leurs postes de travail, pour
répondre aux besoins des populations : nourriture, transports,
sécurité, tous les secteurs d'activité voient se multiplier les gestes
de mobilisation. Non, les citoyens de " la vieille Europe " n'ont rien
à envier à personne quand il faut servir l'intérêt collectif. La
recherche est dopée par l'urgence et pourrait vite déboucher sur des
résultats concrets, les entreprises multiplient les initiatives pour
rattraper un retard de fournitures d'équipements et de produits qui
sera comblé finalement très vite et que l'Etat n'avait pas su
anticiper.
D'autres
régimes autoritaires, après avoir tenté les mêmes manœuvres, sont en
train de démontrer leurs limites. La Russie et l'Iran, mais, plus
grave, la Corée du Nord, risquent d'enregistrer à leur tour, de
nombreux décès dus à leur nature. Ne tolérant ni la liberté de penser,
de chercher ou de critiquer, ils étouffent la créativité et la
recherche concurrentielle de l'excellence.
Les
démocraties, comme les autres, ont été prises au dépourvu par la
fulgurance de la contagion du virus Covid-19, mais, lorsqu'il sera
temps d'analyser leurs réactions, il apparaîtra qu'elles ont fait
preuve d'une exceptionnelle réactivité et d'une résilience qu'on ne
leur connaissait pas. Les gouvernements et les parlements ont été
capables de décider et de voter dans des délais inhabituels des mesures
d'une ampleur exceptionnelle, près de 4 000 milliards € en Europe, deux
fois plus qu'aux Etats-Unis, pour soutenir leurs populations et leurs
économies. Les pouvoirs publics constitutionnels ont su adapter en un
temps record des procédures et des règles issues parfois de décennies,
voire de siècles d'expérience et de traditions.
La
supériorité des régimes démocratiques est déjà démontrée. La liberté
individuelle permet le meilleur, les libertés collectives l'organisent.
Les démocraties, qui autorisent l'excellence par la concurrence et le
respect de la personne, vont très vite montrer par les résultats, leur
réelle efficacité.
Il
faut donc faire échec aux mensonges d'une propagande opportuniste, qui
utilise la détresse des victimes à des fins idéologiques.
Quand le virus emprunte les routes de la soie
Le Pr Sansonetti du Collège de France[1] a démontré que la propagation
du Covid-19 a suivi exactement les routes aériennes les plus
fréquentées. Parti de Chine, où s'est opéré le " saut d'espèces ",
c'est-à-dire la contamination d'êtres humains, à cause de règles
d'hygiène non respectées ou de traditions comme la vente d'animaux
vivants, le virus s'est répandu comme une trainée de poudre jusqu'en
Europe avant de continuer jusqu'en Amérique et de se répandre ensuite
partout dans le monde.
Gravement
mis en cause pour sa longue négation de la propagation rapide du virus
sur son territoire, le gouvernement chinois s'en est trouvé beaucoup
plus ébranlé qu'il ne le laisse paraître. Toute la promesse du Parti
communiste est d'assurer la sécurité et la prospérité de ses citoyens
qui, en contrepartie, lui abandonnent leur liberté d'expression. Les
mensonges récurrents de ses dirigeants, qui ont nié l'épidémie,
l'opacité dans laquelle ils ont entouré le nombre de victimes et
l'origine même du mal, les pressions exercées sur l'Organisation
mondiale de la Santé pour qu'elle ne déclare que trop tardivement
l'état de pandémie, cachent un lourd échec du système autoritaire et
centralisé chinois et de son actuel leader. On ne connaîtra
vraisemblablement jamais le nombre exact de décès survenus en Chine,
mais diverses sources crédibles l'estiment déjà supérieur à tous les
morts enregistrés dans le monde du fait du Covid-19. Et l'on découvrira
peut-être que l'épidémie couvait depuis le début de l'automne et avait
été soigneusement cachée le plus longtemps possible.
C'est
tout le projet chinois visant à devenir la première puissance mondiale,
qui est questionné, en interne comme à l'extérieur. Malgré les
restrictions aux libertés, les réseaux sociaux chinois laissent
entrevoir une insatisfaction croissante. L'émotion avait été grande
après le décès du Dr Li Wenliang, cet ophtalmologiste qui avait alerté
sur l'apparition du virus et avait été arrêté par la police sous
l'accusation de " répandre des rumeurs en ligne " et de " gravement
perturber l'ordre social ".
A
l'extérieur, l'image de la Chine s'est gravement dégradée parce que la
contamination par un virus venu d'une espèce animale met en lumière des
pratiques d'hygiène qui sont loin de répondre aux critères d'un pays
développé. La négation de la gravité de la situation interne confirme
que pour les dirigeants du pays, l'image du Parti communiste passe
avant la santé de ses habitants, parce que la Chine est lancée dans une
course à la suprématie mondiale et doit démontrer sa prétendue
supériorité. Les pressions qu'elle a exercées sur l'Organisation
mondiale de la santé renforcent la défiance à son égard.
Enfin,
la course du virus, qui épouse les routes de la soie, met en cause
l'ensemble du projet " La ceinture et la route ", qui vise à entourer
la Chine de pays qui paient " tribut à l'empire ", car chacun voudra
désormais relocaliser le maximum de ses productions, plutôt que de se
laisser séduire par des crédits extérieurs abondants.
C'est
d'abord pour la Chine que le Covid-19 est une mauvaise nouvelle. Elle
sortira de cette crise vraisemblablement appauvrie et son image
durablement écornée. Malgré les déclarations récentes, elle ne verra
pas son outil industriel redémarrer à plein régime avant longtemps. Son
confinement n'est pas terminé ; le bilan de l'épidémie est loin d'être
stabilisé. Cela explique la double attitude des dirigeants de Pékin
tentant à la fois de jouer la coopération internationale et de
développer une agressive propagande au nom de la prétendue efficacité
de son modèle.
Les Européens doivent éviter d'entrer dans ce jeu au moment où les Etats-Unis se replient sur eux-mêmes.
Les Américains ne veulent-ils plus conduire les affaires du monde ?
Beaucoup a été écrit sur le repli des Etats-Unis, leur nouvelle
priorité pour le Pacifique et leur regard désormais détourné de
l'Europe pour se concentrer sur leur compétition principale avec la
Chine. Cette crise sanitaire confirme cette orientation et en marque
une nouvelle fois les conséquences. Le président américain, qui préside
actuellement le G7, aurait eu l'occasion de réaffirmer le leadership de
la première puissance mondiale et, en même temps, de l'Occident, s'il
avait confirmé la réunion de Camp David le 7 juin prochain. Il a décidé
au contraire de la remplacer par une visioconférence et l'on voit bien
que sa priorité est surtout électorale. Il cheminait tranquillement
vers une réélection, fort de son discours isolationniste et
nationaliste. La rapidité de la diffusion du virus aux Etats-Unis
l'oblige à sur-réagir, d'autant plus que, dans son style inimitable, il
a longtemps nié la gravité du Covid-19. Les Etats-Unis pourraient bien
enregistrer le plus grand nombre de victimes de cette pandémie en
Occident.
En
tireront-ils la leçon que seule une coopération internationale de
grande ampleur est capable de venir à bout de cette épidémie et qu'ils
sont les mieux placés, disposant d'alliés dans le camp de la liberté,
pour en prendre l'initiative ? Rien n'est moins sûr. Considéreront-ils
que leur alliance avec l'Europe permettrait une action coordonnée,
peut-être des avancées scientifiques partagées et la mise en oeuvre de
coopérations multilatérales indispensables, par exemple, aux pays
pauvres qui vont devoir affronter le virus ? Ce serait une bonne
nouvelle mais elle est loin d'être certaine.
Les
formidables capacités d'innovation de l'Amérique sont désormais
sollicitées. L'avance prise par ses géants du numérique va se trouver
confortée pour longtemps. Aux relations sociales déjà en mutation se
substituent le monde virtuel et la communication par les réseaux. De
gigantesques profits sont à attendre pour ceux qui les commercialisent
et les monétisent. Mais l'affaire n'est pas qu'une question de profit !
L'Europe y verra-t-elle une opportunité pour investir ce champ
d'activités dans le respect des libertés individuelles?
L'Europe dans l'entre-deux
Une fois de plus l'Europe aura commencé par perdre la bataille de la
communication. Comme d'habitude et toujours aussi vite, les
commentateurs se sont empressés de crier haro sur l'Union européenne.
Il faut reconnaître qu'il y avait de quoi. Le premier mouvement des
Etats membres a été de fermer leurs frontières et d'annoncer, chacun de
leur côté, de gigantesques plans de soutien nationaux à leurs
économies. Plus grave encore, les Italiens attendaient de leurs
partenaires quelques gestes forts de solidarité, tant était violente
l'attaque de la maladie et nombreux les décès qu'elle engendrait. Les
Européens et les institutions communes n'ont pas su, une fois encore,
choisir les mots et les actes qui traduisent une véritable solidarité
entre Etats. Le " premier mouvement " a été vraiment négatif. Il a
montré combien, ces dernières années, s'est dégradé le sentiment
d'appartenance à un même ensemble politique. Le " second mouvement " a
été plus raisonnable.
Avec
retard, mais finalement pas si tardivement que cela, la coopération
entre Européens s'est organisée. D'abord au niveau central puis ensuite
entre Etats ou régions. La Banque centrale européenne, après une
première hésitation, a su se montrer à la hauteur. Son plan, prêt à
injecter jusqu'à 750 milliards € dans l'économie européenne, est à la
mesure des périls. Il s'ajoute aux mesures déjà en vigueur pour
constituer un filet de 890 milliard € de sécurité qu'aucun Etat membre
européen, même le plus riche, ne peut s'offrir.
Puis
les Etats se sont coordonnés et ont, à peu près tous, adopté les mêmes
mesures visant à garantit la survie de leurs concitoyens et de leurs
entreprises. Plus de 4 000 milliards € paraissent ainsi avoir été
mobilisés.
Les
institutions communes, la Commission et le Parlement, ont agi à leur
niveau. 37 milliards d'euros ont été immédiatement réorientés des fonds
structurels, la politique d'aides d'Etat a été réformée à titre
provisoire, et la Commission a proposé d'activer la clause dérogatoire
générale du pacte de stabilité et de croissance, ce que le Conseil
européen a entériné. Les frontières extérieures ont été fermées. Pour
faire face aux besoins, les règles de 3% du PIB de déficit et de
limitation de l'endettement public à 60% du PIB sont mises entre
parenthèses. L'urgence est sanitaire et la Commission, qui n'a pas de
véritable compétence en la matière, s'est mobilisée avec le peu de
moyens dont elle dispose, dans son domaine d'activités : facilitation
des mouvements de marchandises indispensables, fabrication en urgence
de matériels médicaux nécessaires, constitution de stocks, financements
du rapatriement de ressortissants et de la recherche d'un vaccin pour
140 millions d'euros, etc.
Cette
fois-ci, les leçons de la crise de 2008 semblent avoir eu raison de la
lenteur de procédures encore trop diplomatiques et l'on peut escompter
dans le futur une mutualisation accrue des moyens sanitaires au niveau
de l'Union. En revanche, il faudra beaucoup de temps et d'énergie pour
retrouver une véritable solidarité entre Européens. Le refus des
Pays-Bas et de l'Allemagne, lors du Conseil européen du 26 mars,
d'envisager des emprunts communs et de laisser chaque Etat membre faire
face aux énormes et durables besoins financiers pour éradiquer le
virus, montre l'ampleur du chemin à parcourir pour que l'Europe se
sente vraiment européenne et que les Européens aient réellement le
sentiment d'appartenir à la même communauté. 9 Etats membres avaient
appelé à la création d'emprunts communs, des " coronabonds " pour
lutter contre la pandémie[2].
Le
cri d'alarme lancé par Jacques Delors donne une idée du caractère
dramatique pris par ces débats : " le manque de solidarité fait courir
un danger mortel à l'Union européenne - Le microbe est de retour ".
L'acrimonie des propos tenus à cet égard par plusieurs chefs d'Etat et
de gouvernement le confirme. L'Union est vraisemblablement à un
tournant important. Le surmontera-t-elle ? Il sera difficile, cette
fois-ci, de se contenter d'un pâle et complexe compromis, alors que
plus de 20 000 Européens ont perdu la vie du fait de l'épidémie.
Lorsqu'il s'agit de vie ou de mort, tout le reste est relatif et l'émotion, souvent légitime, emporte tout sur son passage.
Nos vies ont déjà changé
L'impact de la pandémie sur la vie des citoyens et leurs relations sera
durable. Il est déjà sensible. La peur habite tous les foyers et
bouleverse les comportements. Le confinement produit des effets qui ne
sont pas tous encore perceptibles. Eriger des murs entres les êtres
après les avoir construits entre les Etats et les peuples, c'est
franchir un degré de plus dans l'individualisme. L'exode urbain auquel
ont donné lieu les mesures de confinement en est un bon exemple. Il a
été spectaculaire en France, qui compte plus de 3,4 millions de
résidences secondaires, un record en Europe. Il s'est opéré au mépris
de toute mesure de sauvegarde et a dû contribuer à la diffusion du
virus. Il s'est opéré tout naturellement avant d'être critiqué et que
certains envisagent des mesures d'interdiction.
Les
gouvernements ont obtenu des citoyens des restrictions de la liberté
d'aller et venir sans précédent en période de paix. Dans quelques pays,
dont la Corée du Sud, les meilleures techniques numériques ont été
utilisées pour contrôler les déplacements des contaminés et plusieurs
démocraties, en Europe et aux Etats-Unis s'interrogent sur la
pertinence de leur utilisation, ce qui fait dire à Yuval Noah Harari
que le contrôle des citoyens va désormais s'intéresser à ce qu'ils sont
" sous la peau "[3], c'est-à-dire ce qui concerne leur état de santé.
Or,
l'un des principes de l'Etat de droit, c'est que les restrictions aux
libertés individuelles, outre leur proportionnalité et leur motivation,
doivent être limitées dans le temps. Le seront-elles vraiment ? La
lutte contre le coronavirus Covid-19 va mobiliser toute une série de
techniques nouvelles auxquelles les gouvernements vont prendre goût.
Il
n'y aura pas que des effets négatifs à cette utilisation contrainte.
Les relations de travail ont recours, depuis le confinement, aux
visio-conférences, remplaçant les déplacements et diminuant les
contacts humains directs. Ceux-ci sont d'ailleurs modifiés par le
risque de contagion et l'habitude se prend de ne plus se serrer la
main, de se parler à distance respectable et d'éviter de se croiser de
trop près !
La
peur d'une seconde vague de contagion et la perspective de ne pas être
débarrassés avant de longs mois du risque de contagion, vont modifier
les comportements des citoyens de manière durable. Elles génèrent de
l'anxiété, des troubles du comportement, une angoisse profonde et des
questionnements existentiels. On aurait tort, donc, de sous-estimer
l'impact de la situation présente sur le comportement des citoyens.
Quelles en seront les conséquences sociales, politiques et économiques
?
Les économies marquées durablement
L'arrêt total des économies est sans précédent. La crise qu'il va créer
sera vraisemblablement d'une ampleur inégalée depuis un siècle et l'on
prévoit déjà pour l'année en cours une contradiction des richesses
nationales de 10 à 15%, dépendant à l'évidence, de la durée du
confinement. Les Etats et les Banques centrales ont ouvert des
facilités de financement tout à fait exceptionnelles, tirant les leçons
de la crise précédente et rendant un hommage posthume à J.M. Keynes et
Franklin D. Roosevelt. Le " New deal " est dans toutes les têtes et
nourrit tous les espoirs. Le premier choc passé, la production
recommence avec l'espérance de pouvoir retrouver son rythme antérieur
au mois de mai prochain.
Les
montants mis à la disposition des économies - 2 000 milliards $ aux
Etats-Unis, plus du double en Europe - alourdissent des dettes
publiques déjà énormes et répandent l'idée fausse selon laquelle elles
ne seront, de toutes façons, pas payées. Déjà certains, s'interrogeant
à juste titre sur le modèle économique globalisé, en tire la conclusion
qu'une opportunité s'est ouverte d'accélérer la transition écologique.
Il
est vrai que le mouvement de relocalisation, qui a commencé il y a
quelques années, pourrait s'amplifier, mais on ne saurait trop mettre
en garde contre des espoirs ou des illusions. Avant tout il est urgent
de remettre en route le moteur économique. Sans création de richesses,
il n'y aura ni redistribution ni " verdissement " et effacer les pertes
actuelles va prendre beaucoup de temps et d'énergie. Une vision plus
stratégique des chaines d'approvisionnements sera certainement au cœur
des préoccupations des dirigeants, mais on mesure combien il leur
faudra de courage et d'imagination pour y parvenir. L'exemple des
médicaments est, à cet égard, spectaculaire. Tout le monde souhaite que
la recherche pharmaceutique soit davantage financée et que les
meilleurs médicaments soient le plus disponibles possible. Mais ce sont
bien les gouvernements successifs qui, pour limiter les dépenses de
santé, ont imposé la production de médicaments génériques bon marché,
c'est-à-dire essentiellement fabriqués dans des pays aux faibles coûts
salariaux, principalement en Asie. Alors qu'ils avaient la possibilité
de maîtriser les prix par le biais des politiques de sécurité sociale,
et en concertation avec l'industrie, ils ont créé la dépendance, voire
la pénurie, comme on a pu le constater avant même la présente crise
sanitaire. La relocalisation des activités productives n'est donc pas
aussi simple qu'il y parait et elle entraîne des conséquences
certaines. En tout état de cause, la crise sanitaire actuelle pousse à
penser en termes plus stratégiques.
Des incertitudes stratégiques plus fortes
Les penseurs stratégiques n'ont pas été étonnés par la crise engendrée
par le Covid-19. Plusieurs d'entre eux avaient souligné ce risque dans
des études. Aux Etats-Unis, le National Intelligence Council l'avait
envisagé dès 2008 et les différents livres blancs français sur la
défense l'avaient aussi identifié depuis 2013. La possibilité d'un
virus violent à forte contagion figure, depuis plus de 10 ans, dans la
revue des risques susceptibles de menacer les Etats. Ce n'est donc pas
" une surprise stratégique " au sens convenu du terme. En revanche sa
probabilité a été sous-estimée et la forme qu'a prise la contagion a
surpris les systèmes de santé et de protection nécessaires pour
l'enrayer. Au passage on notera avec angoisse combien ce risque est
plus élevé encore, alors que le terrorisme et les provocations de
certains Etats se font plus nombreux. Nul ne semble prêt à affronter
une guerre chimique ou bactériologique, même contre un groupe restreint
qui s'y aventurerait.
Le
plus préoccupant, dans cette période d'instabilité, pourrait venir
d'une attitude " opportuniste " de tel ou tel acteur, profitant de la
désorganisation des administrations étatiques, pour pousser ses
avantages ou prendre des gages. Les démocraties seraient-elles en
mesure d'y répondre ? Si la posture des forces armées semble assurée,
le risque a augmenté d'une déstabilisation régionale ou d'un
enchaînement d'actions agressives volontaires ou mal maîtrisées, aux
conséquences graves.
***
Jamais
peut-être depuis longtemps, la nécessité de dialogue et de coopération
entre Etats n'a été aussi indispensable pour résoudre la présente crise
sanitaire et réduire les risques qui en découlent sur les plans
politiques, sociaux, économiques et stratégiques. Or l'esprit de
coopération et encore plus l'idée de solidarité ont connu un recul
flagrant au cours des années qui viennent de s'écouler.
L'Union
européenne, qui en est le chantre et l'exemple, doit se montrer
exemplaire en son sein et tenter, sur la scène internationale, d'en
être l'artisan. La résolution de la crise actuelle en dépend. La
tempête que nous vivons exige de réduire la toile, de louvoyer
peut-être, de changer de cap sous la pression des éléments, mais en
aucun cas de lâcher la barre. Avec, comme en mer, la certitude qu'après
le très mauvais temps revient toujours le calme et la sérénité.
[1] Conférence du Pr Philippe Sansonetti du 16 mars 20020 : https://college-de-france.fr
[2] Belgique, Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal, Slovénie
[3] Financial Times 24 mars 2020