Le Renouveau ou la Faillite : la France doit choisir !
Par Arnaud Malfoy, analyste financier, New York
La
politique économique (ou son absence) en France a toujours fait l'objet
de débats ô combien passionnés qui font perdre de vue malheureusement
les progrès réalisés par nos voisins depuis une trentaine d'années.
Tout
le monde conviendra que l'économie française est en grande difficulté.
Les fermetures d'usines déchainent évidemment les passions, une foule
de ministres sont "scandalisés" et, dotés de leur super pouvoirs,
croient pouvoir empêcher ces licenciements à tout prix. Il serait
peut-être temps qu'ils s'attaquent non pas aux conséquences mais aux
causes de cette débandade économique.
Tout d'abord, rappelons que le capitalisme est constamment en
mouvement, et qu'il n'est pas anormal que des entreprises fassent
faillite, cela est même nécessaire, dans la mesure où les entreprises
non compétitives sont remplacées par d'autres plus performantes comme
l'explique Schumpeter avec son concept de destruction créatrice. Il est
également totalement anormal que l'Etat intervienne pour favoriser
certains acteurs économiques, cela encourage la création de monopoles
ou d'oligopoles très dommageables au niveau du prix ou de la qualité de
service rendu pour le consommateur.
Il est facile de voir par exemple que l'introduction d'un nouvel acteur
dans la téléphonie mobile a permis en quelque mois de réduire
drastiquement la facture téléphonique en France. On oublie trop souvent
qu'une saine concurrence est la meilleure façon de garantir et
d'améliorer le pouvoir d'achat. Cela permet également un grand
dynamisme économique qui pousse à la création d'emplois et de nouveaux
champions nationaux. N'est-il pas curieux qu'il n'y ait pas eu une
seule nouvelle entreprise intégrant le CAC 40 pendant les 30 dernières
années... Où sont les Google, Facebook ou Amazon en France ? Nous
sommes dans une économie de rente qui n'est pas du tout adaptée à la
mondialisation.
D'où viennent les raisons d'un tel marasme et quelles sont les
solutions qui pourraient être apportées ? Tout d'abord, un chiffre
essentiel : 56%, c'est la part astronomique du secteur public dans le
PIB, seul le Danemark nous dépasse, presque un record du monde ! Ceci
ne serait pas si grave si l'on pouvait se prévaloir d'une
administration efficace, d'un secteur publique en pointe dans la
recherche, l'enseignement supérieur ou investissant avec succès dans
les secteurs d'avenir comme les énergies renouvelables, les réseaux de
communications ou les biotechnologies. Las, il n'en est rien, dans tous
les classements internationaux, nous n'avons fait que régresser
dramatiquement au fil des ans, les gouvernements successifs ont voulu
occuper l'espace médiatique avec des centaines de pseudo reformes
extrêmement complexes qui souvent étaient déjà modifiées ou abandonnées
avant même qu'elles soient mises en place ou évaluées.
Prenons le cas de l'éducation (primaire, secondaire et supérieur), son
budget représente un tiers des recettes fiscales de notre pays et
pourtant nous pointons à la 22ème place dans le dernier classement
PISA, loin derrière la Finlande ou la Corée du Sud, alors que ces
derniers dépensent moins par élève. Pire encore, une étude de la Cour
des comptes souligne que 40% des élèves sortant du primaire ne maitrise
pas la lecture, l'écriture ou le calcul.
Que s'est-il passé ? Au lieu d'augmenter le niveau général des élèves
nous avons réduit dramatiquement le niveau de nos diplômes (afin de
faire en sorte que tout le monde puisse obtenir par exemple le
baccalauréat), fait des expérimentations bien malheureuses
(mathématiques modernes, méthode globale pour l'apprentissage de la
lecture...), réduit les programmes à la portion congrue ou encore
dévalorisé continuellement le prestige et l'autorité des enseignants au
profit des élèves et parents. Cette baisse de niveau entraine
mécaniquement un taux d'échec extrêmement élevé à l'université, et ceux
qui réussissent malgré tout à obtenir un diplôme sont malheureusement
bien souvent en grande difficulté pour trouver un emploi à la sortie,
du fait d'un écart criant entre les enseignements et les qualifications
demandées par les entreprises ainsi que de la réputation bien dégradée
de nos universités (à part la Sorbonne ou Dauphine) par rapport aux
grandes écoles. Là encore, l'Etat n'a pas joué son rôle et maintient le
monde éducatif en vase clos sans entretenir de liens avec le monde de
l'entreprise. Enfin, nos professeurs travaillent peu d'heures par
semaines (15 heures en moyennes contre 43 heures en Allemagne) ce qui
explique que l'enseignement secondaire soit 62% (!) plus onéreux en
France comparé à l'Allemagne pour des résultats similaires.
Evidemment certaines parties de notre système conservent de très
grandes qualités, comme nos grandes écoles, qui sont enviés dans le
monde entier, cependant cela ne concerne pas la majorité des diplômés.
Pour reconquérir notre place dans le haut du classement, il s'agirait
tout d'abord de remobiliser les professeurs, qu'ils retrouvent une
rémunération à la hauteur de ce métier pour ainsi attirer les meilleurs
mais qu'en contrepartie, ils s'investissent plus, fassent plus d'heures
ce qui permettra une plus grande efficacité et de faire des économies.
Il faut également revoir de fond en comble la pédagogie dans les IUFM,
renforcer la discipline, responsabiliser les élèves, donner beaucoup
plus de liberté aux établissements scolaires pour développer des
méthodes d'enseignements plus efficaces (lecture, langues
étrangères...) et introduire un système de benchmarking qui permettra
d'étendre des innovations performantes locales au niveau national.
Enfin, le monde éducatif doit s'ouvrir sur son environnement extérieur,
multiplier les partenariats avec les entreprises, développer
l'apprentissage et introduire plus de flexibilité dans son
fonctionnement.
Ensuite, notre système administratif faussement décentralisé cumule les
défauts en empilant une myriade de strates avec les communes (36 000
comparé à ... 14 000 en Allemagne avec 20 millions d'habitants
supplémentaires !), les communautés de commune, les cantons, les pays,
les départements, les régions et l'Etat ! Vous comptez bien, il y a 7
structures dans le millefeuille administratifs (à comparer aux 3
niveaux des Etats Unis par exemple). Ceci conduit évidemment à un
croisement des compétences, et des doublons ainsi qu'un manque
d'efficacité patent au niveau du service rendu. La comparaison est sans
appel par rapport à l'Allemagne, la France en effet emploie 60% de
fonctionnaires en plus. Il serait logique de fusionner de très
nombreuses communes, supprimer les cantons, pays et départements et de
regrouper les régions en six super « Länder » aux pouvoirs étendus en
matières de développement économiques. Ceci procurerait de très grandes
économies et multiplierait l'efficacité des services rendus.
Par ailleurs, la France est également en retard pour l'automatisation
de sa gestion et des taches administratifs sur internet, les pays
Scandinaves, Baltes ou certains pays asiatiques comme Singapour ont
depuis des années simplifiés grandement les services rendus aux
particuliers en simplifiant et en intégrant l'ensemble des procédures
sur internet. Il suffit de 30 secondes pour payer ses impôts à
Singapour par Internet par exemple.
En outre, dans les pays Scandinaves, l'ensemble des dépenses des élus
et de l'Etat sont disponibles de manière claire sur internet ce qui
accroit considérablement la transparence de l'Etat et le contrôle de la
population sur ses élus. Dans le classement de Transparency
International qui mesure la perception de la corruption dans
l'administration publique et le monde politique, la France se classe à
la 25éme place, alors que Singapour et la Finlande caracolent en tête
de classement. Là encore, la France perd des points en termes
d'attractivité économique et renforce dans la population un sentiment
de corruption des élites qui fait le jeu des extrêmes.
Continuons notre revue des handicaps francais avec notre droit fiscal
et social, non seulement extrêmement complexe mais qui évolue en plus
constamment ce qui représente un véritable cauchemar pour les
entreprises qui doivent pouvoir se baser sur un environnement juridique
stable afin de pouvoir investir dans de bonnes conditions. Par exemple,
le droit du travail comporte un record de 3200 pages, et dont la
conséquence est un marché du travail extrêmement rigide et un taux de
chômage de 10% (fortement sous évalués du fait des temps partiels subis
non comptabilisés). En effet, les employeurs ont peur d'embaucher
sachant que si l'économie ralentit, ils seront dans l'impossibilité de
licencier. En parallèle, les salariés sont divisés en deux catégories,
d'une part les insiders qui bénéficient d'un contrat permanent, de
nombreux avantages et une quasi sécurité de l'emploi, et les outsiders
qui enchainent les contrats précaires sans espoir d'obtenir ce fameux
CDI.
Il s'agirait donc de simplifier le code du travail, avoir un seul
contrat de travail (plutôt que les 38 existants), flexibiliser le
travail, réduire le salaire minimum trop élevé (qui réduit l'emploi
pour les jeunes et écrase l'échelle des salaires), et faciliter les
licenciements économiques. Trop souvent en France, lorsqu'une
entreprise est en difficulté, il est souvent trop tard, car les mesures
de réductions de personnel sont trop longues et coûteuses (avec en plus
le souci de grèves paralysantes voir de séquestration de la direction)
ce qui au final pousse l'entreprise à la faillite alors qu'elle aurait
pu survivre en réduisant les dépenses de personnel dès les premières
difficultés rencontrées.
Mais c'est en matière fiscale que nous nageons dans un univers
totalement ubuesque, 20% des articles du code fiscal sont modifiés
chaque année ! Tant et si bien que même l'administration admet que le
code fiscal est devenu inintelligible. La complexité et l'instabilité
fiscale et juridique ont un coût non négligeable pour les entreprises
puisqu'il représente 3% à 4% du PIB. C'est autant d'investissements qui
ne seront pas réalisés. Mais à la complexité s'ajoute le poids de la
taxation. Notre droit fiscal comporte de nombreux écueils comme des
assiettes trop restreintes (plus de 50% de la population ne paie pas
l'IR par exemple), de trop nombreuses niches fiscales (qui coûte 65
milliards d'euros par an) et des impôts trop focalisés sur le travail
et pas assez sur la consommation. Ceci alors que toutes les études ont
par ailleurs démontré qu'il était plus efficace pour l'économie de
réduire les dépenses que d'augmenter la pression fiscale. Faisons clair
et efficace, ne pourrions-nous pas simplifier notre fiscalité avec
seulement 3 taux de 10%, 20% et 30% pour l'IR, l'IS, et la TVA (la
variation de cette dernière se ferait en fonction de l'impact
écologique des produits) avec l'assiette la plus large possible, sans
aucune niche fiscale et supprimer tout autre formes de taxation. Cela
permettrait une augmentation du taux de marge des entreprises, et donc
à terme de leur investissements avec des créations d'emplois à la clé.
Quant à notre système de protection sociale qui est plébiscité à raison
par une majorité de français, il n'a guère évolué depuis sa mise en
place, et est devenu hors de prix. Comment se fait-il que l'Allemagne
qui possède un système d'assurance maladie similaire ait un budget
excédentaire pour des performances similaires alors que notre déficit
de la branche maladie sera encore de 15 milliards d'euros cette année !
Le système d'assurance maladie a en effet fait sa mue en Allemagne,
l'encadrement y est plus strict, l'usage des générique généralisé, les
remboursements basées sur ces derniers, des hôpitaux publiques qui ont
amélioré leur performance en se basant sur les cliniques privées... De
même, au niveau de la retraite, il est tout de même incroyable qu'avec
le vieillissement de la population et l'allongement de l'espérance de
vie, l'âge de départ à la retraite soit encore situés à 60 ans dans le
secteur privé et même moins dans le secteur public, alors que dans le
même temps il est de 67 ans en Allemagne ! Par ailleurs, nos
allocations chômage sont bien trop généreuses et ne devrait être qu'un
palliatif limité à un an (contre jusqu'à 3 ans aujourd'hui) et
inférieur au salaire minimum, cela renforcerait la motivation des
chômeurs pour retrouver un emploi rapidement et réduirait le coût pour
la collectivité (la différence au niveau des charges sociales est par
exemple de 2 points de PIB avec l'Allemagne).
Enfin, l'Etat non content d'imposer une pression fiscale presque
confiscatoire trouve le moyen de n'avoir jamais équilibré son budget
depuis 1974 et d'avoir vu sa dette passer de 20% à 90% ce qui
aujourd'hui le met en danger de banqueroute alors que les intérêts de
la dette seuls représentent d'ores et déjà la totalité des recettes de
l'impôt sur le revenu ! Ceci inquiète au plus haut point les
investisseurs nationaux et internationaux, notamment après la perte de
la note AAA par S&P et réduit encore leur visibilité et donc leur
propension à investir. Il suffirait que les marchés financiers perdent
confiance dans la capacité de la France à rembourser sa dette pour que
les taux d'intérêt augmentent sensiblement. Ce fort besoin en
financement de la part de l'Etat mais également des collectivités
territoriales (encore renforcé par la faillite de Dexia) entraine une
raréfaction des crédits à destination du secteur privé qui réduit
d'autant leurs investissements et la création d'emploi.
Au niveau du développement économique, l'Etat français est probablement
un anti modèle (on se souvient de la vague de nationalisations au début
des années 80, de Renault, de la quasi faillite d'Air France ou encore
des péripéties bien couteuses pour les contribuables du Crédit
Lyonnais). Par ailleurs, nos entreprises sont en règle générale
spécialisées dans le moyen de gamme, qui est sévèrement concurrencé par
les pays émergents. Cette situation n'est pas inéluctable et d'autres
pays l'ont brillamment prouvé. Prenons l'exemple de pays comme la Corée
du Sud (un des pays les plus pauvres au monde dans les années 60 et
aujourd'hui ayant un PIB par habitant tout juste inferieur a la France)
et Singapour (dont le PIB par habitant est presque égal à 2 fois celui
de la France). Ces pays combinent une économie de marché libérale avec
une planification économique par l'Etat en partenariat avec les
entreprises. L'Etat dresse une stratégie pour l'avenir en misant sur
les futurs secteurs porteurs, en effectuant une remontée des filières
de production, un remplacement progressif des importations et une
montée en gamme.
L'Etat investit également de façon importante dans la recherche
scientifique afin de renforcer la capacité des entreprises à innover.
Il y a une vraie cohérence de stratégie entre l'Etat et les
entreprises. C'est ainsi que la Corée du Sud a investi massivement dans
l'industrie lourde dans les années 70 (et est aujourd'hui leader par
exemple dans la fabrication de navires) ou dans les technologies de
l'information dans les années 90 avec des champions nationaux comme
Samsung. Singapour s'est lui également lancé avec succès dans
l'électronique, la chimie, dans le domaine financier (notamment en
gestion de fortune) ou les bio technologies, et tire profit d'être le
premier port au monde en terme de volume ainsi que d'une main d'œuvre
très bien formée. Il est intéressant de noter que l'un des rares
secteurs en expansion en France est celui du luxe, secteur où le prix
est secondaire et où l'image du produit conditionne le reste. Par
ailleurs, il est également étrange de constater que nous n'ayons pas
créer un véritable secteur moteur dans les énergies renouvelables, mis
en place une politique ambitieuse de rénovation des logements par
l'intermédiaire de nouvelles normes plus drastiques, ce qui aurait
permis de créer des centaines de milliers d'emplois, réduire notre
consommation d'énergie (et donc notre dépendance aux importations
d'énergie) et progressivement obtenir un avantage compétitif dans ce
secteur (à l'instar des pays scandinaves ou de l'Allemagne).
La France est donc aujourd'hui à la croisée des chemins, soit elle
refuse la mondialisation, se renferme sur elle-même ou fait le minimum
d'ajustements pour tout juste garder la tête hors de l'eau et le déclin
voir la faillite est assuré. Soit elle renait, se réforme radicalement,
tire parti de la mondialisation, et de ses qualités indéniables (son
infrastructure, ses ingénieurs et scientifiques de haut niveau, une
géographie au cœur de l'Europe et de grandes entreprises mondialement
connues) et devient un vrai moteur économique en Europe.
(Les opinions développées dans cet article sont propres à l'auteur)
(*) Arnaud Malfoy est diplomé de l'ESC Bordeaux avec une specialité en
Finance, Arnaud Malfoy travaille dans les services financiers depuis 7
ans, vivant tour à tour à Montréal, Londres et New York. Après avoir
débuté dans la filiale leasing de Renault en Angleterre, il rejoint
comme analyste la platforme de trading électronique Tradeweb à la City
de Londres puis au siège à New York où Il est désormais Vice President
au sein du departement Info Management. Passionné par l'économie, la
géopolitique, et les cultures étrangères, il organise régulièrement des
évènements de networking cosmopolites à New York.
2 Juin 2013
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