FRANÇOIS HOLLANDE « Rénover en profondeur les relations avec l'Afrique »
Propos recueillis par Zyad LIMAM et Richard MICHEL
Entretien exclusif avec le candidat
socialiste à l’élection présidentielle française. Des réponses de bon
sens, tout en équilibre, en prudence, et qui préservent l’avenir...
Jeudi
16 février 2012, 10 h 15. Un matin bien frais, au cœur du 7e
arrondissement parisien, à quelques mètres de l’Unesco. Bienvenue dans
le siège de campagne de François Hollande, candidat socialiste à
l’élection prési- dentielle, qui se déroulera les 22 avril et 6 mai
2012. Le staff est aux cent coups. Les bureaux sont étonnamment
modestes. Pas de clinquant, juste quelques affiches du candidat avec
son slogan : « Le changement, c’est maintenant ». Les policiers de la
République ont fait leur apparition dans son entourage. Ils sont là
pour assurer la sécurité du candidat. Le directeur de campagne, Pierre
Moscovici, arrive. Il salue les visiteurs. Le chef de cabinet fait les
cent pas dans les couloirs. La res- ponsable de l’organisation raconte
les péripéties du dernier meeting. On voit passer les proches, les
amis, les élus. L’as- sistante de François Hollande, particulièrement
attentive, nous informe qu’il aura quelques minutes de retard. La
veille, on est rentré, vraiment, dans le vif du sujet. Le président
Sarkozy s’est déclaré candidat. Les hostilités sont ouvertes...
Officiellement. Hollande nous reçoit. Aminci, élégant, à l’aise, le
candidat paraît être un homme simple, assez facile d’accès, « normal »,
comme il le dit lui-même. Il lui manque peut- être encore ce
je-ne-sais-quoi d’aura, que seul le vrai pouvoir attribue. On sent
aussi un homme de raison, de compromis. Et surtout une personnalité
affirmée dont l’ambition est clai- rement établie. Depuis longtemps.
Devenir président... Reste que, au-delà des frontières de l’Hexagone,
l’homme est peu connu. Que sait-on du regard porté par François
Hollande sur le continent africain? Quelle analyse a-t-il des
événements marquants qui s’y sont déroulés? S’il est élu, quelle sera
sa politique africaine? Interview donc, avec un politique réa- liste,
prudent et ambitieux, conscient des « déceptions afri- caines ». Et
soucieux, pour le moment, de retisser des liens plus transparents, plus
égalitaires avec le continent...
AM
: Contrairement à d’autres socialistes, on vous sent moins « voyageur
», moins tourné vers l’international, vers le Sud... Est-ce une réalité
?
FRANÇOIS
HOLLANDE : J’ai été pendant dix ans premier secrétaire du Parti
socialiste [PS]. Cela m’a permis d’acqué- rir une solide expérience des
relations internationales. J’ai rencontré au fil des années, en France,
à l’étranger, un grand nombre de chefs d’État sur l’ensemble des
continents. En moins d’un an, je me suis rendu en Algérie et en
Tunisie, mais aussi en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Belgique...
Je prévois d’effectuer encore plusieurs déplacements d’ici à l’élection
présidentielle pour répondre aux nombreuses invi- tations qui me sont
adressées. Il est vrai toutefois que la crise de la zone euro m’a
conduit à consacrer mes déplacements les plus récents aux pays qui
partagent notre monnaie, mais mon intérêt pour le Sud est réel et
sincère.
Les socialistes ont-ils encore un regard particulier sur les questions Nord-Sud, sur les problèmes de développement ?
Nous
sommes des humanistes et des internationalistes. Les enjeux de
solidarité et de lutte contre la pauvreté nous inter- pellent
particulièrement. Mais nous sommes aussi lucides : nous sommes
conscients que les problèmes économiques, environnementaux ou
sécuritaires qui affectent nos voisins ont des répercussions en France.
Les différences avec la droite sont réelles. À titre d’exemple, je ne
suis pas, pour ma part, favorable à ce que les projets de développement
soient conditionnés à la signature d’accords migratoires. J’observe
d’ailleurs que ce gouvernement, après avoir mis en œuvre cette
conditionnalité spécifique à travers un ministère de l’Immigration, de
l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, a fait
machine arrière. Alors que la création de ce ministère était l’une des
promesses les plus symboliques du candidat de l’UMP en 2007, il a
finale ment été supprimé après moins de trois ans d’existence ! C’est
un symbole d’inconstance parmi d’autres, mais il illustre le besoin
d’une nouvelle forme de présidence, plus stable, plus cohérente.
La
droite traditionnelle a déserté le terrain africain où elle était
pourtant bien introduite. Mais on n’entend guère plus les socialistes
sur les problématiques de ce continent. Et cela depuis le fameux
discours de La Baule...
Avec
ce discours, François Mitterrand a posé les bases du développement du
multi-partisme en Afrique francophone. Nous devons toutefois
reconnaîtrequelesrésultats ne furent pas à la hauteur des espérances
soulevées. Lionel Jospin s’est ensuite beau- coup investi pour
moraliser les relations entre la France et l’Afrique. Mais je veux
surtout regarder vers l’avenir : je pense qu’une rénovation en
profondeur des relations avec l’Afrique est possible, c’est mon
engagement que de mettre en œuvre cette vision. C’est pourquoi, dans
mon discours d’in- vestiture, j’ai évoqué la nécessité de répudier les
« miasmes de la Françafrique ».
On
a beaucoup reproché aux socialistes leurs liens avec l’ancien président
ivoirien Laurent Gbagbo. Étiez-vous proche de lui en tant que premier
secrétaire du PS? Quel peut être le rôle de la France aujourd’hui avec
la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara ?
Soyons
précis sur ce dossier important. Dès octobre 2004, j’ai considéré que
Laurent Gbagbo avait transgressé un certain nombre de principes et en
ai conclu que la meilleure position pour le PS était de prendre ses
distances avec lui. Les relations entre le PS et son parti, le Front
populaire ivoirien [FPI], ont alors été interrompues. Le PS est ensuite
resté neutre lors de l’élection de 2010 et a reconnu, à la suite des
conclusions de la mission de certification des Nations unies, la
victoire d’Alassane Ouattara. La suite des événements n’a donc fait que
conforter la prise de position qui avait été la mienne dès 2004.
Aujourd’hui, la coopération civile et économique entre la France et la
Côte d’Ivoire doit s’intensifier. Je considère en revanche que la
présence militaire française n’y est plus nécessaire, en dehors de la
mission de protection de nos res- sortissants.
Êtes-vous
partisan d’un pré carré francophone ? D’un lien spécial entre Paris et
les pays africains de l’ex-empire d’expression française ?
Je
n’aime pas l’expression pré carré, qui renvoie à une histoire
postcoloniale dont certains épisodes ne sont guère glo- rieux. La
relation entre la France et ses partenaires africains doit se faire
entre égaux, sans rapports de subordination. En revanche, il est
évident pour moi que la France doit être plus présente aux côtés des
États démocratiques et francophones d’Afrique qu’elle ne l’est
aujourd’hui. La réduction drastique du budget destiné à la solidarité
et aux dons, sacrifiés au profit notamment des prêts bonifiés profitant
aux pays émergents, a relégué la France à un rang insuffisant en
Afrique franco- phone. Cela doit incontestablement changer.
On
vous a vu à Tunis pendant la primaire de votre parti. Quel est votre
sentiment sur la révolution tunisienne? Sur les révolutions arabes ?
Je
suis effectivement allé en Tunisie pour saluer cette révolution de la
dignité. Le nouveau gouvernement doit désormais s’atte- ler à répondre
aux attentes sociales très fortes du pays, notamment celles des jeunes
et des régions dites « de l’intérieur ». C’est pourquoi j’ai regretté
que l’aide promise par le G8 reste encore insuffisante. Cette aide ne
doit pas être étalée sur cinq ans : elle doit venir dans des délais
bien plus brefs pour éviter que des frustrations sociales trop grandes
ne conduisent à la remise en ques- tion des acquis de la révolution.
Les espoirs soulevés par les révolu- tions arabes, et notamment par la
jeunesse, sont immenses. Mais des dérives sont possibles. La France,
avec ses partenaires européens et l’ensemble de la communauté inter-
nationale, se doit d’apporter son entier soutien à tous ceux qui se
battent pour la liberté et les droits fondamentaux. Elle doit aussi
rester très vigilante sur le respect de ces droits par les nouveaux
gouvernements élus.
L’islamisme est-il « soluble dans la démocratie »?
L’alternative
entre dictature et islamisme a été posée comme une évidence par les
despotes arabes pour justifier la répression infligée par leurs
régimes. Le Printemps arabe nous a montré tout au contraire
l’aspiration des peuples à la démocratie et à la liberté. Mais
l’instauration de la démocratie est un processus de long terme, parfois
difficile et qui peut connaître des phases de recul. La France doit
soutenir avec confiance la construction de la démocratie dans les pays
en transition. Mais elle doit le faire aussi avec la plus grande
vigilance sur les droits fondamentaux. Sur le fond, je reste persuadé
que la démocratie et le pluralisme sont les seuls remparts contre tous
les extrémismes.
Êtiez-vous partisan de l’intervention en Libye ?
Elle
était légitime et nécessaire dans le cadre fixé par le Conseil de
sécurité. Je l’ai pleinement soutenue. Les consé- quences de cette
intervention doivent désormais faire l’objet d’une forte attention,
notamment en matière de désarmement.
La
France, avec Nicolas Sarkozy, a mené deux opérations militaires en
Afrique : en Côte d’Ivoire et en Libye. Votre sentiment sur cette
politique?
Ces
opérations étaient nécessaires pour éviter des pertes civiles
considérables, c’est pourquoi je ne m’y suis pas opposé. Concernant la
Libye, je regrette néanmoins que Nicolas Sarkozy ait jugé
indispensable, au début de son mandat, d’accueillir en grande pompe le
colonel Kaddafi à Paris. Cette visite a, je crois, choqué beaucoup de
Français. L’intervention en Côte d’Ivoire doit également nous inviter à
réfléchir à la présence militaire française en Afrique. De telles
opérations doivent impliquer davantage l’Union africaine, et il serait
plus sage, à l’avenir, que les forces françaises soient plei- nement
intégrées à celles de l’ONU plutôt que maintenues dans ce statut «
parallèle » un peu étrange qu’avait la force Licorne. Nous devrons, de
manière plus générale, repenser les objectifs et les modalités de la
présence militaire française en Afrique.
En tant que premier responsable de l’État, seriez-vous plutôt « marocophile » ou « algérophile » ?
Le
président de la République française n’a pas à choisir entre deux pays
selon ses goûts. Le Maroc et l’Algérie sont deux grands pays, que je
connais bien, et auxquels je conti- nuerai d’accorder toute mon
attention.
Peut-on envisager une relation apaisée et nouvelle avec l’Algérie ? À quelles conditions ?
Les
relations franco-algériennes actuelles ne sont pas à la hauteur de ce
qu’en attendent le peuple français et, je le crois, le peuple algérien.
Nous avons un avenir commun à dessiner, autour de la Méditerranée,
notre mer commune. Je souhaite que 2012 soit l’occasion d’un nouveau
départ. Pour cela, nous devons avoir le courage de regarder le passé
avec lucidité et, surtout, nous devons nous tourner vers l’avenir.
Êtes-vous partisan du concept d’Euro-Méditerranée ?
L’Union
pour la Méditerranée a échoué. Cette initiative unilatérale de Nicolas
Sarkozy est entachée par la complai- sance à l’égard des dictateurs
dans le monde arabe. La France doit maintenant prendre toute sa part
dans la définition d’un avenir commun pour les pays méditerranéens à
travers un projet politique, économique, social. Elle doit le faire
avec nos partenaires européens.
Auriez-vous une ou deux bonnes idées réalistes pour faire avancer le processus de paix au Moyen-Orient ?
Il
ne faut pas relâcher les efforts en faveur de la paix au Proche-Orient.
L’impasse dure depuis trop longtemps. Je lan- cerai, avec mes
partenaires européens, une initiative en faveur de la reprise des
négociations, car c’est la seule voie pour abou- tir à la paix entre
deux États.
Les
élites afro-arabes critiquent beaucoup une France qui ferme ses
frontières, qui refuse les visas, qui renvoie les étudiants chez eux...
Une France qui s’isole...
Je
partage votre constat : le gouvernement français actuel a nui à l’image
de la France par une politique de visas humi- liante et parfois
arbitraire qui engendre, au-delà des seules élites, un sentiment de
déception ou d’éloignement chez des populations pourtant très
francophiles. Comme je l’ai déjà exprimé dans le passé, nos principes
ne doivent pas dépendre des circonstances ou varier avec le vent.
L’immigration légale représente près de 200000 personnes chaque année
en France : elle est en partie familiale, et en partie écono- mique. Le
gouvernement veut paradoxalement faire peser des mesures restrictives
sur l’immigration économique, en rupture avec le principe d’immigration
choisie qu’il avait lui-même mis en avant! Je propose de mon côté un
débat annuel au Parle- ment pour fixer le volume de cette immigration
économique, en liaison avec les secteurs professionnels concernés.
Enfin, les étudiants étrangers qui viennent en France constituent une
chance pour nous, et je rejette totalement le principe de la circulaire
du ministre de l’Intérieur, qui vise justement à éloi- gner du
territoire français ces forces vives, ces jeunes diplômés qui ne
demandent qu’à travailler. Il faudrait également que, chaque année, en
liaison avec les universités, le Parlement puisse fixer un nombre
d’étudiants à accueillir.
Comment définir la puissance française au XXIe siècle ? La France a-t-elle encore un rôle à jouer dans le monde ? Lequel ?
La
France, moteur incontournable de la construction européenne, membre
permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a une voix
spécifique, une influence certaine et une éminente responsabilité. De
la relance de l’Europe, du réé- quilibrage de la mondialisation dépend
notre avenir à tous.
Avril 2012
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