ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
L’université française à la croisée des chemins

Par Eric Charbonnier




L’enseignement supérieur - et plus particulièrement l’université - est à un tournant de son existence. Il doit réussir sa transformation pour rester compétitif sur un marché de l’éducation de plus en plus mondialisé et concurrentiel.

Aujourd’hui, être diplômé de l’enseignement supérieur ne suffit plus et il est devenu nécessaire pour chaque filière universitaire de proposer un accès facilité aux nouvelles technologies, de dispenser des formations de qualité (parfois en langue anglaise) et, surtout, de procurer aux étudiants des débouchés à la hauteur de l’investissement qu’ils ont consenti pour obtenir leurs diplômes. Or, ce n’est malheureusement pas toujours le cas en France, car même si le diplôme universitaire protège indéniablement son détenteur du chômage, il ne conduit pas nécessairement à la qualification escomptée par les étudiants sur le marché du travail.



Pourtant, la France avait réussi sa première transformation dans les années 60 en comblant le retard qu’elle avait sur un grand nombre de pays de l’OCDE en matière de niveau d’éducation de sa population. Cette évolution tenait en partie à la création des IUT en 1966 mais aussi au développement fulgurant des filières universitaires et des grandes écoles dans les années 80. Traduit en chiffres, 43 % (contre 39 % en moyenne OCDE) des jeunes français de 25-34 ans sont aujourd’hui diplômés de l’enseignement supérieur, contre seulement 19 % (24 % en moyenne OCDE) chez les 55-64 ans, ce qui est bien au-dessus des objectifs fixés par la Commission européenne (voir graphique 1).

Graphique 1. Proportion de diplômés de l'enseignement supérieur dans la population (2011)



Source : OCDE- Regards sur l’Éducation (2013)

Seulement voilà, aujourd’hui le contexte a changé. La crise économique empêche tout investissement public supplémentaire alors même que le financement des universités françaises repose principalement sur des fonds publics, ce qui peut faire redouter une érosion de la qualité des formations étant donné que les étudiants seront toujours plus nombreux dans les années à venir. Qui plus est, de nouveaux pays émergents comme la Chine ou la Russie rattrapent à grand pas leur retard et entrent aujourd’hui dans la compétition internationale. Enfin, le processus de Bologne, avec l’harmonisation des durées des programmes (Licence/Master/Doctorat), facilite grandement la mobilité des étudiants, ce qui d’une part constitue un atout car la France est toujours attractive, mais qui d’autre part, peut vite devenir un handicap si, à l’avenir, le manque de moyens pousse les meilleurs étudiants à aller chercher mieux ailleurs.



L’université est donc à un tournant de son histoire et doit se réformer pour devenir plus performante et finalement parvenir à associer une meilleure qualité des programmes et de l’enseignement dispensé, une plus grande équité sociale dans l’accès au savoir, et un financement plus efficient et diversifié qu’il ne l’est aujourd’hui. Cet article identifie huit leviers qui pourraient être activés pour améliorer la situation actuelle:

1         Améliorer l'équité dans l’accès aux formations du supérieur

Le système français doit être moins inégalitaire vis-à-vis des possibilités d’accès aux formations du supérieur qu’il offre aux jeunes des milieux défavorisés ou aux moins qualifiés (qui, d’ailleurs, sont souvent les mêmes). Certes, les inégalités se font sentir en France dès le début de la scolarité obligatoire pour finalement perdurer dans le supérieur mais il est anormal que les jeunes dont les parents sont les moins qualifiés n’aient que 38 % de chances d’aller à l’université alors que cette probabilité est supérieure à 50 % dans huit pays européens, à savoir au Danemark, en Espagne, en Irlande, en Islande, aux Pays-Bas, au Portugal, au Royaume-Uni et en Suède.



Il faut donc renforcer les mécanismes pour promouvoir l’équité dans l’accès à l’enseignement supérieur et, dans ce sens, des initiatives comme les « cordées de la réussite » (http://www.cordeesdelareussite.fr/) sont positives mais encore insuffisamment répandues sur l’ensemble du territoire.

 2        Renforcer les dispositifs d’orientation entre le lycée et les filières du supérieur et ouvrir la réflexion sur la sélection dans les filières universitaires

Aujourd’hui, 75 % des bacheliers technologiques qui s’inscrivent dans une formation universitaire n’atteindront pas le niveau de la licence. Plus globalement, 64 % des jeunes commençant une formation universitaire obtiennent un diplôme sans réorientation, tandis que 15 % doivent choisir une nouvelle voie avant de réussir et que le reste de ces jeunes (21 %) abandonnent tout bonnement leurs études.



Une politique efficace ne saura passer uniquement par la réduction des taux d’échec dans les premières années universitaires et par le développement de mécanismes pour assurer une meilleure orientation entre le lycée et les universités. Parmi les autres dispositifs envisageables, il faudra nécessairement ouvrir une véritable réflexion sur la sélection à l’entrée des filières universitaires à fort taux d’échec. Les grandes écoles et les formations courtes techniques de type IUT ou STS sont sélectives alors que la plupart des filières universitaires ne le sont pas, ce qui est assez atypique par rapport aux autres pays de l’OCDE. Ce fonctionnement entraine bien souvent chez certains étudiants une orientation par défaut vers l’université, qui fait suite à des rejets de leurs autres candidatures dans les filières plus sélectives, plutôt que de refléter une véritable orientation voulue et assumée.

3        Augmenter les frais d’inscription de certaines filières universitaires à fort débouchés

Il apparaît que l’université française manque cruellement de moyens, surtout lorsqu’on la compare avec les autres établissements du supérieur en France (grandes écoles, classes préparatoires, IUT/STS) ou même simplement avec les universités des pays asiatiques ou anglo-saxons. Dans ces pays-là, les universités ont bien mieux réussi qu’en France à créer des partenariats avec les entreprises et ont davantage de ressources à leur disposition car les frais d’inscription sont plus élevés qu’en France et les systèmes d’aide aux étudiants également plus développés.



À l’exception des pays nordiques, ce type de système devient courant dans la plupart des pays de l’OCDE et ne présente pas de taux d’accès ou une équité moindre par rapport à ceux de la France. Celle-ci pourrait donc très bien emprunter cette voie en gardant une politique de frais d’inscription relativement modérés pour les licences, tout en augmentant nettement les frais d’inscriptions sur les masters dont les débouchés sur le marché du travail sont abondants. L’Irlande et un certain nombre de pays européens ont choisi cette politique pour augmenter les ressources à disposition des universités.

4       Renforcer la participation des entreprises dans le financement des universités et élargir les débouchés de certaines filières

La contribution des entreprises au financement des établissements de l’enseignement supérieur atteint ou dépasse 10 % en Australie, au Canada, en Corée, aux États-Unis, en Israël, au Japon, aux Pays-Bas, en République slovaque, en République tchèque et au Royaume-Uni. Ces exemples pourraient être utiles à la France.



Une telle approche impliquerait de renforcer les compétences managériales au sein des universités et d’engager une réflexion pour élargir les débouchés de certaines filières universitaires (voir le point n°5). Selon les statistiques nationales, plus de 35 % des diplômés d’un master sont surqualifiés par rapport à l’emploi qu’ils occupent 5 ans après l’obtention de leur diplôme en France.

5        Repenser le contenu de certains programmes jugés trop académiques

On assiste ces dernières années en France, mais aussi dans d’autres pays de l’OCDE, à une « privatisation » de l’enseignement supérieur. Des chefs d’entreprise - comme Xavier Niel - préfèrent ainsi créer leurs propres universités pour former eux-mêmes les étudiants à des métiers manquant de diplômés sur le marché du travail (comme les métiers du numérique en France) plutôt que de subventionner des filières universitaires. C’est un véritable signal d’alarme pour l’université, qui doit trouver des solutions pour rendre les programmes de certaines filières moins académiques, plus attractifs et donc plus ouverts aux besoins du marché du travail.



La France pourrait ainsi s’inspirer du modèle américain où certaines filières en manque de débouchés, telles que les sciences humaines ou la psychologie, ont inclus dans leurs programmes des options plus techniques que l’étudiant peut choisir et qui lui permettront à la fin du cursus d’élargir ses possibilités d’emploi.

6       Repenser la formation des enseignants universitaires

Améliorer la qualité des programmes suppose également de réfléchir au statut et à la formation des enseignants travaillant dans les universités. En France, les enseignants sont bien souvent également des chercheurs et n’ont pas forcement pour première compétence la transmission du savoir aux étudiants car la recherche « pure et dure » a constitué le domaine majeur de leurs études.



Est-on forcément un bon enseignant si on est un bon chercheur? C’est loin d’être évident et il conviendrait de redéfinir les contours du métier d’enseignant universitaire et pourquoi pas d’envisager de permettre aux étudiants agrégés d’enseigner dans toutes les filières universitaires et non uniquement dans les classes préparatoires aux grandes écoles. En tout cas, il est regrettable de constater que l’amélioration de la formation des enseignants du primaire et secondaire est un objectif prioritaire du gouvernement actuel alors qu’aucun débat similaire n’est lancé pour l’enseignement supérieur.

7        Réfléchir aux frais d’inscription pour les étudiants en mobilité internationale et aussi créer des incitations pour les retenir sur le marché du travail

La France est un pays attractif pour les étudiants en mobilité internationale. Ainsi, un étudiant sur trois titulaires d’un doctorat en France est en mobilité internationale.  Mais finalement, la France ne tire pas grand parti de cette main d’œuvre de haut niveau pour combler certains vides sur le marché du travail. D’autres pays ont mis en place des politiques beaucoup plus agressives pour retenir les étudiants étrangers après l’obtention du diplôme.



Ainsi, l'Australie ouvre grand les portes aux étudiants internationaux et leur offre même, depuis 2012, la possibilité de rester travailler dans le pays deux à quatre ans après avoir décroché leur diplôme. De même, la Finlande et la Norvège ont amendé leur législation relative à la naturalisation afin de prendre en compte les années de résidence en qualité d’étudiant lors de l’évaluation de l’éligibilité à la citoyenneté, tandis que le Canada facilite l’octroi de la résidence permanente pour les diplômés en mobilité internationale. Seuls quelques pays comme les États-Unis et, plus récemment, le Royaume-Uni, rendent plus difficile l’entrée des étudiants en mobilité internationale sur leur territoire.



Les étudiants en mobilité internationale peuvent également apporter des ressources supplémentaires aux universités s’ils paient des frais d’inscription plus élevés que les ressortissants nationaux. Et la plupart des pays de l’OCDE s’orientent, contrairement à la France, vers ce type de fonctionnement. Alors certes, il est important de conserver les accords historiques et le partenariat avec les pays africains francophones mais il pourrait être envisagé par exemple d’augmenter les frais pour les étudiants d’autres nationalités comme ceux d’Asie par exemple.

8       Développer des formations pour les adultes à l’université

La France délaisse sa formation professionnelle depuis trop longtemps. Qui plus est, cette formation s’adresse à ceux qui ont déjà un bon niveau d’éducation, ou bien aux plus jeunes. Ainsi, 57 % des diplômés du supérieur ont suivi en France une formation professionnelle contre seulement 19 % pour ceux qui n’ont pas de diplôme. De même, seulement 16 % des 55-64 ans ont suivi une formation professionnelle (27 % en moyenne OCDE), contre 48 % des 25-34 ans (50 % en moyenne OCDE).



L’université doit donc, en partenariat avec l’État, donner davantage de possibilités aux adultes de parfaire leurs connaissances, tout en ouvrant de nouvelles filières ou bien en s’engageant plus activement sur le marché à distance en télé-enseignement (MOOCs). Proposer ces formations nécessite un investissement au départ mais les bénéfices peuvent être importants pour tous : pour les adultes qui pourront beaucoup plus facilement se former tout au long de la vie, pour les entreprises qui pourront bénéficier de cet outil et pour l’université qui pourra recevoir des ressources supplémentaires des entreprises afin de former ces employés.



Conclusion

Vous l’aurez compris, l’université française a des défis importants à relever dans les prochains mois, et le gouvernement doit se positionner rapidement pour lancer son projet de refondation de l’université et plus globalement de l’enseignement supérieur. Dans ce sens, il faut accueillir positivement la création de la Commission sur la "Stratégie nationale de l'enseignement supérieur" (http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid76975/la-strategie-nationale-de-l-enseignement-superieur-stranes.html) qui aura pour mission principale de faire des propositions d’ici juin 2014. Il faut juste espérer que ses recommandations seront ensuite prises en compte et mises en œuvre.



29
Avril 2014

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