Lettre
d'Afrique au futur président français
Par Patrice Nganang
Dans une lettre ouverte, le
romancier camerounais Patrice Nganang souhaite que le vainqueur de la
présidentielle française soit un véritable ami de la démocratie en
Afrique.
Monsieur
le futur président,
Dans quelques jours, les électeurs français vous auront élu comme leur
nouveau président. Indistinct encore parmi ces candidats qui
bataillent, vous aurez bien vite la signature du pouvoir. Il est tout
aussi certain que vous aurez devant vous une question qui ne se pose
plus avec autant d’acuité dans les palais d’anciennes puissances
coloniales africaines. Cette question, la voici: quelle doit être la
politique africaine à adopter? Une question bien française, s’il
en est encore. Une question qui est d’autant plus brulante aujourd’hui.
Avec l’effondrement du Mali, l’espace démocratique en Afrique
d’expression française s’est réduit à trois pays en réalité: le
Benin, le Niger et le Sénégal. Un bien maigre palmarès que vous
voulez, nous avons lu, encourager. C’est sans doute le signe que vous
souhaitiez émettre lors de vos entretiens au sujet de l’Afrique.
Le
triangle de l’infamie
Pourtant, tout est question de perspective. Votre erreur, Monsieur le
président serait, pour ce qui concerne l’Afrique, d’être aveuglé par le
cache-sexe que sont ces trois pays démocratiques, car l’espace
francophone est devenu le temple de la tyrannie en Afrique. Ce serait
une erreur fondamentale de jugement parce que l’Afrique bouge, change,
évolue, se démocratise, s’enrichit, certes.
Comparées à celles des pays d’expression anglaise, arabe ou portugaise,
les populations d’Afrique d’expression française n’ont jamais été aussi
rançonnées et prises en otage par des tyrans qu’aujourd’hui. Quand
comparés aux pays non-francophones, les pays dits francophones n’ont
jamais été aussi pauvres qu’aujourd’hui.
Et finalement, du génocide sur les Tutsi rwandais en 1994 à celui qui
eut lieu en République démocratique du Congo et à la guerre récente en
Côte d’Ivoire, ces pays n’ont jamais été autant plombés par des
conflits armés et dévastés par la violence d’Etats devenus assassins.
Jamais, depuis les indépendances africaines, la langue française n’a
autant été synonyme de tyrannie, de pauvreté, et de violence pour les
Africains.
Ces trois éléments sont liés comme une malédiction, car ils constituent
le véritable triangle de l’infamie qui devrait être votre préoccupation
première pour ce qui concerne l’Afrique: ils devraient définir votre
politique africaine donc. Faire de la politique c’est prévoir, nous
dit-on, bref c’est anticiper sur le futur par la manufacture patiente
et raisonnée aujourd’hui, de la réalité de demain.
Voir
mourir la Françafrique
Le meilleur politique, c’est un général de la paix. Pourtant quelle
paix peut être cultivée quand les pays d’expression française
réunissent aujourd’hui en Afrique un grand nombre de dictatures? Avec
le Cameroun, où par un coup d’Etat constitutionnel, le 9 octobre 2011,
Paul Biya, après trente ans passés au pouvoir, a imposé au peuple un
mandat de sept ans, mandat plus long que le vôtre, l’espace francophone
est ainsi en tête de liste en terme de durée au pouvoir en Afrique.
Avec le Togo, le Gabon que vous célébrez, et la RDC, il nous offre, en
plus, des dynasties en pleines Républiques! De pays où la limite du
nombre de mandats à la présidence aura été gommée, la plupart sont
d’expression française: le Gabon, le Togo, l’Algérie, le Burkina Faso,
le Tchad, le Cameroun, le Sénégal. Votre politique serait empoisonnée,
si elle croyait que telle ignominie durerait encore plus longtemps
quand dans le voisinage, la Zambie, le Ghana, l’Afrique du sud, le
Nigeria, le Mozambique se démocratisent systématiquement !
C’est que, les pays africains d’expression française sont aussi les
plus pauvres du continent! Comment croire que par un coup de malchance
impériale, durant le dépeçage de l’Afrique en 1884, la France seule se
soit retrouvée avec les pays les plus damnés de la terre? Un regard
rapide sur la classification des pays du monde basée sur le bien-être
des populations vous montrerait qu’en bas de l’échelle, c’est le
français qui est leur langue commune d’expression: Tchad, Mali, RDC,
Cameroun, RCA, etc. La culture est cette valeur symbolique qui,
longtemps, a été miroitée par la politique française en Afrique, et
reprise par les premières générations de politiciens
africains depuis Léopold Sédar Senghor.
Ventre
affamé n’a point d’oreille
De quelle culture peut-on parler à un être qui a faim? Car, c’est
évident: un système politique qui écrase la classe moyenne sous le
poids de la bureaucratie, qui est centralisé à outrance au point de
légiférer à Paris les choses les plus importantes pour tout Etat
—monnaie, armée—, répète les mêmes tares du système soviétique où le
diktat de Moscou faisait loi. Tel système est plantation de la misère.
Tel système ne peut que répéter l’erreur du sud esclavagiste des
Etats-Unis, parce qu’il condamne les classes productrices à la
fainéantise en faisant de l’Etat la seule matrice du bien être.
Nous savons que l’effondrement du royaume esclavagiste est inscrit dans
la paupérisation de l’esclave. Mais nous savons aussi, Monsieur le
futur président de France, que le royaume esclavagiste français en
Afrique se maintient grâce à des milliers de soldats français
stationnés ici et là sur le continent: au Sénégal, au Tchad, au Gabon,
en Côte d’Ivoire. Nous savons que n’était ce soutien militaire, les
tyrans, ces commandeurs qui maintiennent des peuples en servitude,
seraient déjà balayés par les populations: et cela, le cas de la Côte
d’Ivoire et du Mali, ces deux pays où les contrats militaires avec la
France n’avaient pas été fermes, nous le montre.
Une Afrique francophone militarisée par la France ne peut pas être
démocratique. C’est parce qu’il se sait protégé par le parapluie
militaire français qu’un Paul Biya peut impunément exécuter ses
concitoyens comme il l’a fait en février 2008; c’est parce qu’il se
sait à l’abri derrière un triangle militaire français qui va du Tchad
au Gabon et au Congo, qu’il peut se passer impunément du vote de ses
concitoyens, tripatouiller la Constitution du Cameroun à sa guise,
écrire un Code électoral qui fait une moquerie des 70% de Camerounais.
C’est parce qu’il sait que Paris interviendra militairement pour le
soutenir qu’il passe plus de la moitié de l’année dans un hôtel en
Suisse aux frais d’une population camerounaise jamais autant paupérisée.
Un
nouveau discours de La Baule
Il est temps pour la France de s’accommoder d’une Afrique démocratique.
L’Africain libre n’a aucune raison de haïr la France. Bien au
contraire, c’est quand la France soutient les tyrans qu’elle devient
haïssable! François Mitterrand, a pu, avec un peu de volonté, donner
une impulsion significative au mouvement démocratique en Afrique en
1990, en retirant au-dessus de la tête de quelques tyrans, le parapluie
qui leur faisait transformer l’Afrique en un jardin sanglant.
De même au Caire après avoir pris le pouvoir, le président américain,
Barack Obama, a secoué les palmiers de la tyrannie qui pendant des
décennies étranglait le monde arabe: Hosni Moubarak, l’ex-président
égyptien devant qui il tint son discours du Caire est actuellement en
prison, lui qui, il y a deux ans se disait pharaon et préparait son
fils à la succession.
Monsieur le futur président de France, nous vous savons heureux
des succès de la démocratie: l’heure en Afrique francophone n’est pas à
la célébration, mais à la destruction systématique de la tyrannie et à
fabrication d’un futur de liberté effective.
Nous vous savons attentif aux élans de démocratie et aux droits humains
quand ils se manifestent: nul autre espace que celui qui partage le
français avec vous n’est autant assoiffé de démocratie qu’aujourd’hui.
De vous, nous attendons donc plus que de l’indignation devant les
tyrannies qui étranglent le Cameroun et les autres pays francophones.
De vous, nous attendons un retrait du soutient trop évident que Paris a
toujours accordé à certains dictateurs africains. De vous, nous
attendons un retrait militaire en Afrique. Mais, de vous, nous
attendons également des gestes forts ainsi qu’un soutien concret à la
société civile africaine torpillée par des années de dictature et de
corruption.
Les tyrans d’Afrique francophone seront anéantis s’il leur manquait la
couverture rassurante du président de France. Nous attendons de vous
plus que le refus de les recevoir à l’Elysée ou de leur rendre visite.
Monsieur le futur président de France, soyez plus que le Mitterrand de
La Baule; soyez plus que l’Obama du Caire: soyez un ami de la
démocratie en Afrique.
Patrice Nganang, est un
romancier camerounais.Son dernier ouvrage, Mont Plaisant, est paru aux
éditions Philippe Rey.
Avril
2012
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