|
Comment la France prépare son offensive européenne
Par Marc VIGNAUD
Arnaud
Montebourg a beau ne plus être au gouvernement, la France poursuit son
offensive au niveau européen pour assouplir la politique de rigueur
engagée en réponse à la crise de la dette européenne.
Jeudi, lors de son discours devant les ambassadeurs,
François Hollande a de nouveau longuement plaidé pour "une
réorientation de l'Europe" et demandé l'organisation d'un sommet de la
zone euro à cette fin. Et samedi, il réunira les chefs d'État
sociaux-démocrates pour tenter d'imposer ses vues à une Allemagne
réticente.
Berlin craint que Paris ne cherche à s'exonérer de son obligation de
réduire ses déficits. Après avoir obtenu un délai de deux ans en 2013,
François Hollande s'était engagé devant ses partenaires à revenir sous
la barre fatidique des 3 % du pacte de stabilité et de croissance avant
fin 2015.
Les 3 % ne seront pas atteints fin 2015
Il ne fait effectivement aucun doute que la France n'atteindra pas 3 %
de déficit à la fin de l'année prochaine. L'effondrement des
perspectives de croissance en 2014 et 2015 remet en cause les
prévisions de recettes espérées par Bercy pas plus tard qu'en avril
dernier. Mais François Hollande n'a aucunement l'intention de compenser
le manque à gagner en augmentant l'effort déjà considérable de 21
milliards d'euros de réduction des dépenses l'année prochaine. Et il
s'est engagé à ne pas augmenter les impôts non plus. Avant la
présentation de son budget 2015, le chef de l'État demande donc la
reconnaissance de "circonstances exceptionnelles", qui permettent à un
État d'obtenir un délai, même lorsqu'il n'a pas réalisé les efforts
minimaux requis par ses pairs pour réduire son déficit.
Pas question pour autant de parler formellement de demande de délai.
Paris jure qu'il respecte les règles budgétaires européennes. Jeudi
soir, à l'issue d'une réunion de travail commune à Paris, Michel Sapin
s'est montré d'une prudence de Sioux sur le sujet devant le gardien de
l'orthodoxie budgétaire, son homologue des Finances allemand, Wolfgang
Schäuble. "Dans l'esprit du président, [le sommet] doit permettre de
parler de l'Europe, de la faible inflation, et c'est dans ce cadre-là
que chaque pays aura à prendre ses décisions", a expliqué le Français
lors d'une conférence de presse commune devant son homologue allemand
inflexible.
300 milliards d'investissements publics et privés
Pour faire bonne figure, Michel Sapin et Wolfgang Schäuble ont préféré
insister sur le seul sujet où leurs positions paraissent conciliables :
la relance de l'investissement. Mais ceux qui attendent des chèques
publics massifs en Allemagne en seront pour leurs frais. Berlin veut
seulement préparer le terrain à une dynamisation des investissements
privés.
Au niveau européen, la France réclamait 1 200 milliards sur 5 ans,
après l'échec de son plan de relance de 120 milliards de 2012. Elle ne
devrait obtenir que 300 milliards, chiffre évoqué par le nouveau
président de la Commission, le conservateur Jean-Claude Juncker. "Il ne
suffit pas d'avoir un chiffre pour avoir un résultat", a balayé Michel
Sapin. Le ministre français reconnaît que le projet ne prévoit pas de
relancer massivement l'investissement public, mais plutôt de mobiliser
les fonds européens pour soutenir le financement privé de projets dans
le domaine de l'énergie et du numérique. Concrètement, la France espère
généraliser le soutien aux levées de fonds d'entreprises par le biais
d'émissions d'obligations soutenues par la Banque européenne
d'investissement (BEI). Laquelle pourrait être recapitalisée une
nouvelle fois par les États pour démultiplier sa force de frappe
financière.
Relancer la titrisation pour relancer la croissance ?
Les deux ministres travaillent également sur la relance d'une
"titrisation" saine. À l'origine de la crise des "subprimes" aux
États-Unis, cette technique financière permet aux banques de sortir de
leur bilan les prêts qu'elles accordent aux petites et moyennes
entreprises en les revendant sur les marchés à d'autres investisseurs.
Mené prudemment, son développement pourrait permettre de relancer le
crédit aux entreprises.
Mais pour Berlin, la croissance ne pourra venir que lorsque chacun des
États de la zone euro aura réformé son économie. Selon Wolfgang
Schäuble, la France ne pourra pas se contenter de baisser les charges
et les impôts des entreprises. "Il faut impérativement produire des
réformes structurelles visant le marché du travail", a-t-il plaidé
devant les patrons, en clôture de l'université d'été du Medef. La
réaction à la proposition d'Emmanuel Macron, devenu depuis ministre de
l'Économie, de déroger aux règles de temps de travail et de
rémunérations dans les entreprises en cas de signature d'un accord
majoritaire, illustre la difficulté que le gouvernement aura à avancer
sur le sujet.
30 Août 2014
Abonnez-Vous au Monde
Retour
à la France
Retour au Sommaire
|