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La fraternité, l'oubliée de la République
Par Sophie Péters
La
marche républicaine du 11 janvier en réponse aux attentas contre
Charlie Hebdo aura rappelé une chose essentielle : l'attachement du
peuple français aux valeurs républicaines. Mais si l'Egalité et la
Liberté tiennent le haut du pavé dans les débats d'idées et les
mobilisations, il semble que la Fraternité, dernier volet du triptyque
républicain ait quelque peu été oublié. Un oubli que des associations
ont décidé de réparer en lançant tous les 11 du mois un temps
privilégié pour faire grandir la fraternité. Première édition : le 11
mars dernier.
Façon
de poursuivre l'élan populaire exprimé lors des manifestations du 11
janvier, les Etats Généraux du Pouvoir Citoyen (EGPC) appellaient sous
l'égide du philosophe Abdenour Bidar, auteur de "Plaidoyer pour la
Fraternité" à une marche pour la fraternité tous les 11 du mois. Le 11
mars la Place de la République à Paris devait donc voir se réunir tous
ceux qui oeuvrent pour réactiver le vivre ensemble. Parmi eux :
Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de
l'action sociale décentralisée et président du collectif Appel à la
fraternité, Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la
laïcité, Jean-Baptiste de Foucauld, responsable de l'association le
Pacte Civique, Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de
France, Dominique Balmary, président de l'Union nationale interfédérale
des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux
(Uniopss), et le philosophe Patrick Viveret.
« La grande marche républicaine du 11 janvier a montré qu'il y a
dans notre pays une fraternité nationale évidente, explique Jean-Louis
Sanchez. Mais pour que cette fraternité puisse vivre, il faut que
les pouvoirs publics encouragent les initiatives locales et
associatives, il faut que le vivre ensemble soit au cœur des actions
politiques ».
Redonner des repères à une société individualiste
Les signataires de l'appel souhaitent l'instauration d'une semaine
annuelle consacrée à la fraternité afin de redonner des repères et le
goût du dialogue à une société marquée par l'hyper-individualisme. Une
semaine que les différentes communes utiliseraient pour mobiliser les
citoyens autour de projets concrets. Et au cours de laquelle citoyens
et autorités pourraient discuter de ce qui fonde la vie collective et
des moyens de pérenniser les initiatives bénévoles les plus porteuses.
« Il y a dans notre pays beaucoup d'expériences qui sont des
réussites, estime Jean-Louis Sanchez. Mais elles restent anecdotiques,
faute d'encouragements suffisants ».
Faute aussi de médiatisation nécessaire pour leur donner plus
d'ampleur. Car toute une part du problème sociétal contemporain porte
sur le rapport à l'autre. Malmenés par des médias qui décrivent le
monde comme hostile et nous rappellent sans cesse la difficulté de
notre cohabitation sur la planète, nous développons une méfiance de la
différence et un leitmotiv qui rend l'autre responsable de notre triste
sort.
L'émancipation des individus, clé de la fraternité ?
Ce repli sur soi est d'autant plus favorisé par les théories du
développement personnel qui ont pris le travers de miser sur une toute
puissance de l'individu, parangon de la performance. Moins de
collectif, plus d'individualisme. Moins de fraternité, plus de violence
dans la société. Moins de communautés, plus de communautarisme. La peur
qui gangrène nos sociétés fait le lit des communautarismes qui
enferment sur un repli sur soi avec toutes les violences qu'elles
charrient. A l'inverse les communautés permettent une émancipation des
individus en s'appuyant sur des valeurs qui ouvrent au partage.
A quoi ressemblerait la fraternité au travail par exemple ? A moins de
sarcasmes et d'autoritarisme qui ne font qu'imposer le silence par la
peur. Les bons ingrédients ? La confiance et l'empathie. Non, nous ne
rêvons pas. Il existe des entreprises où l'on donne aux salariés la
liberté de travailler de la façon dont ils se sentent les plus
efficaces et sont encouragés à le partager avec le reste de l'équipe.
Du dialogue, naissent les propositions. Les conflits de personnes
peuvent s'apaiser dans l'échange. La Fraternité au travail bannit la
suspicion et le contrôle. Et réinvestit l'énergie dans le partage et le
sens du bien commun. "Le vrai débat est difficile, reconnaît le
philosophe Patrick Viveret. C'est une vraie prise de risque car il nous
conduit à bouger nos frontières mentales et plus encore émotionnelles.
Tant que chacun ne fait pas un travail de discernement il trouvera à
bon droit dans les postures inhumaines d'autrui dont il est victime des
raisons suffisantes pour ne pas s'interroger sur sa propre part
d'inhumanité. C'est bien tout l'enjeu de construire politiquement un
espace qui place l'esprit de fraternité au cœur des enjeux du vivre
ensemble inter humain, du con-vivere, pour réussir comme le propose le
manifeste convivialiste reprenant une phrase célèbre de Marcel Mauss à
apprendre à "s'opposer sans se massacrer".
"Il faut trouver du sacré partageable"
Puissent les terribles évènements de ce début d'année nous encourager à
accepter nos désaccords sans conflits et à revisiter la question du
sacré. "Il faut cesser d'amuser le chaland en réduisant ce conflit à
des questions socio-économiques, géopolitiques car, à travers cette
affaire de Charlie Hebdo, on retrouve la question fondamentale qui a
agité toute la culture humaine : que sacralise-t-on ensemble ?", écrit
Abdennour Bidar dans son "Plaidoyer pour la Fraternité" parue au
lendemain des attentats.
"Si on ne met pas au cœur de la vie humaine une conception de la
transcendance, on n'arrivera jamais à faire société. La modernité est
ramenée à cet enjeu malgré elle, après une période au cours de laquelle
elle pensait pouvoir reléguer la religion aux oubliettes et fabriquer
de la civilisation humaine avec du sociopolitique et du
technoscientifique, du pain et des jeux".
Conclusion du philosophe : "Il faut trouver du sacré partageable". Et
de citer Paul Ricœur qui à la fin de "Soi-même comme un autre" a cette
formule magnifique : « dans chaque civilisation, il y a des valeurs qui
sont candidates à l'universalité. »
Dans un même élan, il propose que les représentants de toutes les
grandes cultures examinent autour d'une table les candidatures à
l'universalité. Au risque sinon de tomber dans ce que Wilhem Reich
nommait "la peste émotionnelle", en se laissant embarquer dans une
double logique de guerre extérieure et intérieure, la première
alimentant d'autant plus la seconde.
23 Mars 2015
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