La France, ce pays qui crée des start-up à la chaîne !
Par Nathalie Villard



Qui l'aurait cru ? A elle seule, la région parisienne abrite 12.000 jeunes pousses, plus que Londres ou Berlin. De nouvelles pépinières ouvrent tous les jours, dont, bientôt, celle de Xavier Niel.

EUn muffin avec un smoothie ?», propose le jeune barbu à lunettes d'intello derrière son comptoir. Pour les accros au café tartine, mieux vaut rejoindre le troquet d'en face. Car à la cafétéria du Numa, QG de jeunes entreprises du numérique, le petit déjeuner est plutôt californien. Comme dans toutes les «pépinières» de ce quartier parisien rebaptisé Silicon Sentier, en clin d'œil à la Silicon Valley de San Francisco, berceau des Google, Facebook, Amazon...

«Paris compte aujourd'hui 4.000 start-up, 12.000 avec la banlieue. C'est plus que Londres ou Berlin», détaille Jean-François Galloüin, professeur à l'Essec. Et avant même que la Halle Freyssinet, le plus grand incubateur du monde, financé par Xavier Niel, n'ouvre ses portes en 2016. «Dans la révolution digitale, la France s'est hissée dans le peloton de tête», confirme le patron de Free, également actionnaire via son fonds Kima de centaines de jeunes pousses innovantes dans une trentaine de pays. En tête, vraiment ? Au pays des 35 heures, du Code du travail de 3.000 pages et des prélèvements obligatoires record ? Eh oui, car si nos entrepreneurs traînent toujours ces boulets, elles en ont sous le pied. «Jamais notre écosystème de l'innovation n'a été aussi favorable à l'émergence de champions», analyse Patrick Robin, ex-entrepreneur en série et fondateur d'Avolta Partners.



Xavier Niel présente son futur incubateur

Déjà, de plus en plus de start-up voient le jour. Au Numa, par exemple, qui accueille et conseille une vingtaine de jeunes pousses tous les quatre mois, le nombre de postulants a quadruplé depuis 2013. Les investisseurs aussi croulent sous les dossiers. «On a reçu 600 projets en 2014, 200 de plus qu'un an avant», détaille Jérôme Masurel, de 50 Partners, dont l'écurie compte une quinzaine de pépites du numérique. Bien sûr, peu passeront dans la catégorie poids lourds. Car là où, en une décennie, les Etats-Unis ont vu émerger des baobabs, la France est encore le pays des bonsaïs, incapables d'atteindre une taille critique sans se faire racheter ou s'exiler. Mais ça change. Qui aurait parié, en effet, il y a deux ans encore qu'un BlaBlaCar (covoiturage) , un Criteo (ciblage publicitaire) , un Neolane (logiciels de marketing) ou un Sigfox (objets connectés) réussiraient à lever des dizaines de millions d'euros pour s'attaquer aussi rapidement au marché mondial ? «Il faut frapper vite et fort, remarque Nicolas Celier, d'Alven Capital. C'est la seule solution pour faire main basse sur un nouveau marché.»

Mais quelle mouche les a donc piqués, tous ces entrepreneurs ? Plusieurs, en fait. D'abord, les mentalités ont évolué. Notamment chez les jeunes diplômés. «Une carrière dans un grand groupe ne les fait plus rêver, ils veulent tous lancer leur boîte», constate Marc Fournier, professeur à l'ESCP. Résultat, on ne compte plus le nombre de jeunes polytechniciens, par exemple, qui optent pour l'adrénaline de la création d'entreprise. A plusieurs parfois, comme les cinq fondateurs de PriceMatch, dont ils sont en train de faire, un an après sa création, le leader européen du yield management (optimisation des tarifs) dans l'hôtellerie. Ces grosses têtes hésitent d'autant moins qu'entre les icônes de l'ancienne et de la nouvelle économie il n'y a pas vraiment photo. Les Xavier Niel, Pierre Kosciusko-Morizet (PriceMinister),  Jacques-Antoine Granjon (Venteprivee. com) ou Marc Simoncini (Meetic) font davantage rêver que beaucoup de patrons du CAC 40. Pas seulement parce que ces rois du Net ont fait fortune à 40 ans.



«La jeune génération veut avant tout changer le monde, bousculer les usages, casser les rentes des acteurs historiques», analyse Oussama Ammar, associé de l'incubateur The Family. Sans épargner aucun secteur, qu'il s'agisse de la banque, des taxis, du voyage, de l'optique, etc. Et puis, une fois n'est pas coutume, les opérations de communication de Bercy autour de la French Tech contribuent à gonfler la cote de nos jeunes pousses. Comme en janvier dernier, au Consumer Electronics Show de Las Vegas (Lire aussi : Le Top des innovations françaises au salon CES 2015 de Las Vegas ). Transformés en super VRP des technos made in France, Emmanuel Macron et sa secrétaire d'Etat au numérique, Axelle Lemaire, ont embarqué 120 entreprises - la plus grosse délégation - rassemblées sous un même pavillon arborant un coq rouge géant. De puis, il ne se passe pas une semaine sans qu'un magazine étranger ne vienne se pencher sur ce nouveau «french paradox». Ensuite, l'entrepreneuriat fait d'autant plus rêver qu'il est plus accessible et mieux financé. D'une part, la technologie s'est considérablement démocratisée. Qu'il s'agisse de créer un site Web, une appli pour téléphone mobile, d'acheter une machine à commande numérique, une imprimante ou un logiciel 3D, «les coûts ont été divisés par dix en cinq ans», souligne Nicolas Bellego, à Paris Incubateurs. D'autre part, pour les innovations exigeant beaucoup de R & D avant d'être commercialisées, «la France est devenue un paradis fiscal», répète à l'envi Xavier Niel.

Ce n'est pas le fondateur d'Evercontact, Philippe Laval, qui le démentira. Entre le statut de jeune entreprise innovante, le crédit d'impôt recherche et les aides de la Banque publique d'investissement (Bpifrance), ce pionnier de la mise à jour des carnets d'adresses électroniques a touché 3 millions de l'Etat sur les 5 investis durant ses trois années de recherche. Or ces coups de pouce sont d'autant plus efficaces que le rapport coût- qualité des ingénieurs français est l'un des meilleurs au monde. «Même si le marché américain représente 80% de nos ventes, notre R & D restera toujours en France», confirme Mohammed Boumediane, fondateur d'HTTPCS, un des leaders mondiaux de la cybersécurité, détenteur d'une quinzaine de brevets.

Mais cet entrepreneur de Montpellier ne s'est pas contenté d'aides. Il a aussi été hébergé par le Business Innovation Center (BIC) de la métropole languedocienne. Stratégie marketing, soutien logistique, réseautage... comme les 300 autres incubateurs répartis dans les grandes villes de France, car toutes s'y sont mises, le BIC aide les jeunes pousses à grandir. «Cela permet de se concentrer sur l'étape d'après : la recherche d'investisseurs», renchérit Florian Douetteau, fondateur de Dataiku (gestion de données), qui a levé 3 millions d'euros en janvier dernier. Or, là aussi, troisième bonne nouvelle, l'horizon s'est bien dégagé. «Si son business model est bon, là où une start-up mettait un an à trouver des fonds à la fin des années 2000, elle peut aujourd'hui boucler un tour de table en quelques mois», note Nicolas Celier, associé d'Alven Capital. Avec, pour les sommes inférieures à 100.000 euros, le succès phénoménal du crowdfunding. En 2014, 46 plates-formes ont collecté 152 millions d'euros auprès des particuliers (Découvrez une plate-forme qui permet de prêter aux entreprises et de recevoir de 4 à 10% d'intérêts) , 100% de plus qu'en 2013. S'ils restent encore très frileux par rapport à leurs homologues américains ou britanniques, les business angels, aussi, sont plus nombreux : 4.442 en 2014, selon France Angels, investisseurs dans 305 entreprises.



«Le coup de massue fiscal du gouvernement Ayrault, heureusement corrigé depuis, en a fait fuir plus d'un», nuance Hamadi Lanouar, de l'observatoire MyFrenchStartup. Pour les mises plus importantes, les fonds de capital-risque prennent le relais. La France en compte une centaine (Partech, Alven Capital, Serena Capital, Avolta Partners... ), qui ont investi l'an dernier 1,2 milliard d'euros, soit le deuxième meilleur score européen derrière les Anglais. Dernier guichet, et de loin le plus généreux : Bpifrance. A elle seule, la banque publique, comme actionnaire cette fois et via différents fonds, a injecté «645 millions d'euros dans 150 entreprises innovantes en 2014», précise Cécile Brosset, directrice du nouveau BPI Le Hub, chargé de trouver aux start-up des débouchés commerciaux dans les grands groupes.

Il était temps de les remuer, ces poids lourds de l'industrie et des services. «Ils sont encore peu perméables à «l'open innovation», qui permet de développer une technologie avec des intervenants externes», regrette Marie-Vorgan Le Barzic, DG de Numa. Mais, là encore, ça bouge. Certains comme Renault, la SNCF, Axa, Sodexo ou JCDecaux créent leur propre incubateur. D'autres se dotent d'un fonds d'investissement, comme GDF Suez Corporate Ventures, qui vient de rentrer au capital de Redbird, premier opérateur français de drones civils, à hauteur de 2 millions d'euros. Enfin, tout aussi prometteur, Paris a été retenu par Microsoft pour y implanter un de ses six Ventures Accelerators en dehors des Etats-Unis. «En deux ans, nous avons accompagné une cinquantaine de start-up, se félicite sa directrice, Roxanne Varza. Dont certaines d'une envergure mondiale.» Alors...


10 Juin 2015

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