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Editorial du « Monde » :
Le refus du Front national Par Jérôme Fenoglio (Directeur du "Monde") LE MONDE | 24.04.2017 à 10h09 • Mis à jour le 24.04.2017 à 20h38 |
La
présence du FN au second tour de l’élection présidentielle et la
défaite des candidats Les Républicains et du Parti socialiste font
peser une menace inédite.
Le
bouleversement du paysage politique provoqué par le premier tour de la
présidentielle, dimanche 23 avril, allie deux caractéristiques
d’apparence contradictoire : à la fois prévisible et radical, attendu
et néanmoins surprenant. Il était prévisible parce que les instituts de
sondage, irréprochables tout au long de cette campagne, avaient annoncé
la physionomie du second tour depuis plusieurs semaines.
Dans le cas d’Emmanuel Macron, cette perspective est récente, elle a
grandi à chacun des nombreux coups de théâtre de cette période, dont le
candidat a su profiter avec talent. Pour ce qui est de Marine Le Pen,
les choses se dessinent depuis plus longtemps. La vie politique
française se structure depuis plus de deux ans autour de cette
certitude que la présidente du FN occuperait l’une des deux places
convoitées, et que tous les autres devraient se battre pour la seconde.
C’est arrivé, comme prévu, malgré une mauvaise campagne de la candidate
FN, et un score en retrait par rapport aux différentes élections depuis
2012. Mais il ne faudrait surtout pas que la banalisation de ce
résultat relativise la gravité de la blessure infligée à la nation.
Pour la première fois, le FN vient de dépasser les 20 % de voix à une
élection présidentielle. Sa candidate y a établi le record de suffrages
de son parti, avec 7,6 millions d’électeurs, soit
2,8 millions de plus que son père au premier tour de la
présidentielle de 2002. Pour la deuxième fois en quinze ans, un parti
nationaliste et xénophobe, manipulé par un clan familial cynique et
affairiste, se qualifie ainsi pour l’échéance majeure de notre système
politique.
Un refus sans faille du FN
Cette récurrence devrait à la fois alerter sur l’état de notre
démocratie, et déclencher, comme en 2002, un refus sans faille.
Pour Le Monde, cette réaction ne souffrira pas la moindre ambiguïté.
Nous avons redit, avant le scrutin, que le Front national est
incompatible avec chacune de nos valeurs, avec notre histoire et notre
identité. Logiquement, nous souhaitons donc la défaite de Marine Le Pen
et appelons pour cela à voter en faveur d’Emmanuel Macron.
Mais le pire, le plus dangereux, le plus irresponsable pour l’avenir de
notre pays, serait de considérer que ce prévisible-là est acquis, que
la victoire du candidat d’En marche ! ne souffre pas l’ombre d’un
doute. Une comparaison devrait suffire à convaincre de la fragilité de
ce pronostic. Emmanuel Macron se lance dans cette deuxième partie de
campagne avec 62 % des intentions de vote (selon Ipsos
Sopra-Steria) là où Jacques Chirac avait conclu la sienne à 82,2 %
des suffrages. Vingt points se sont évaporés en quinze ans. Comme se
sont volatilisés les appels à manifester de 2002 ou la notion même de
« front républicain » opposé au FN.
C’est le défi que rencontrent les dynamiteurs de système : ils
doivent se mouvoir dans un environnement où plus rien n’est stable. Le
souffle de l’irruption fulgurante d’Emmanuel Macron a causé
d’innombrables dégâts dans les formations majeures de la politique
française. Les deux partis de gouvernement et d’alternance sont pour la
première fois absents en même temps du second tour, ce qui n’était
jamais arrivé à la droite. Le PS a chuté à un score qui le renvoie aux
heures les plus difficiles de la SFIO, il y a plus d’un demi-siècle. La
droite, pour n’avoir osé tirer la conclusion qu’un candidat discrédité
éthiquement ne pourrait se qualifier politiquement, subit une
humiliation d’autant plus cuisante qu’elle est infligée par un ancien
ministre de François Hollande, président honni dans ce camp, allié à
l’autre repoussoir, François Bayrou.
Surmonter la colère
De l’ampleur de ces déconvenues ont fatalement jailli beaucoup de
rancœur et d’amertume. Benoît Hamon a su les surmonter pour lancer un
appel digne en faveur de l’ancien ministre de l’économie. Mais à
droite, les choses semblent beaucoup moins faciles à digérer. Nombre de
dirigeants, et d’éditorialistes, font mine de croire que le résultat
est certain, pour se dispenser de donner une consigne claire. Beaucoup
d’électeurs conservateurs auront sans doute du mal à surmonter leur
colère, tant ils ont été chauffés à blanc par un François Fillon,
appuyé par les militants de Sens commun, qui n’a pas hésité à tirer
toutes les ficelles des extrémismes – incluant complotisme et mise en
cause des médias et de la justice – dans sa fuite en avant.
Emmanuel Macron devra également tenir compte de l’ampleur de la
protestation sociale mise en avant par le très bon score du leader des
Insoumis, Jean-Luc Mélenchon. Rompant avec toutes les traditions de la
gauche, celui-ci a refusé, dimanche soir, d’appeler à voter pour
l’adversaire du FN. Nul doute qu’un nombre non négligeable de ses
électeurs seront tentés par la même attitude. Pour les convaincre de
changer d’avis, le candidat centriste ne devra surtout pas commettre la
même erreur que Hillary Clinton, qui n’avait tiré aucune conséquence de
la longue résistance que lui ont opposée les électeurs de Bernie
Sanders. Pour rappel, la candidate démocrate était donnée comme
triomphatrice certaine face à Donald Trump, à deux semaines du vote
américain.
Le risque d’une abstention massive, un dimanche d’élection qui tombera
au milieu du pont du 8 mai, est également loin d’être négligeable.
Emmanuel Macron a donc moins de quinze jours pour démontrer à tous ces
électeurs réticents qu’il a pris la mesure du choc subi par le système
politique français.
24 Avril 2017
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