Beaucoup s’interrogent sur le rôle de la Francophonie. Que leur répondez-vous ?
Cette interrogation est légitime. Les pays membres de l’espace
francophone partagent les mêmes valeurs et peuvent échanger des
informations, se mobiliser et mener des actions précises aux Nations
unies ou ailleurs. Ils ont cette capacité, mais l’exercent-ils
suffisamment ? A mon avis, non. Il faut changer cela.
« C’EST FANTASTIQUE QU’UNE ORGANISATION BASÉE SUR LA LANGUE DEVIENNE UNE SORTE DE MINI-ONU »
Envisagez-vous d’élargir le nombre de pays membres de plein droit ou observateurs de l’OIF ?
Cette question devra être débattue par ses membres. Il y a
effectivement de plus en plus de pays qui veulent adhérer, et c’est une
bonne chose. Reste à s’entendre sur les raisons de cette attractivité,
sur les enjeux géopolitiques. Il faudrait qu’on décide de qui est
membre à part entière, de ce que cela signifie à la fois en termes
d’obligations et de droits [sur les 84 Etats membres, 54 le sont
de plein droit, 4 sont associés et 26 sont observateurs]. Je crois
qu’il y a une petite gestion à faire. Mais c’est fantastique de voir
qu’une mini-organisation basée sur la langue se retrouve comme une
sorte de mini-ONU. L’union fait la force.
Faut-il voir dans le
soutien que vous avez reçu d’Emmanuel Macron un réchauffement des
relations entre la France et le Rwanda, que vous avez qualifiées de
« compliquées » ?
Il y a clairement une nouvelle volonté, avec le gouvernement du
président Macron, d’aller de l’avant avec le Rwanda. La relation reste
compliquée, mais il n’y a pas d’ennemis perpétuels. Les questions liées
à l’histoire prennent du temps. Il en faut pour recréer de la confiance
entre la France et le Rwanda. Cela passe par les individus, les
leaderships respectifs. Pour nous, le président Macron est un homme qui
n’est pas lié par l’histoire négative de la France au Rwanda. Il a
aussi une approche très pragmatique de certaines questions, ce qui est
aussi le cas de M. Kagame.
Mais M. Kagame
a mis plusieurs fois en cause le rôle direct de la France dans la
préparation politique du génocide. Une nouvelle ère est-elle en train
de s’ouvrir ?
On l’espère. Dans six mois, nous allons commémorer le
25e anniversaire du génocide. Plus de la moitié de la population
du Rwanda est née après. On passe donc à une nouvelle étape, mais un
génocide n’est pas une petite affaire. Pour le Rwanda, il a toujours
été question d’essayer de trouver des forces politiques en France qui
ne soient plus dans la logique du déni, mais qui souhaitent gérer cette
histoire difficile avec nous. On espère que cette ère-là est arrivée.
On est prêts à y travailler et on espère que côté français aussi.
Si vous êtes élue,
allez-vous encourager la nomination d’un ambassadeur de France à
Kigali, où le poste est vacant depuis 2015 ?
Mes obligations se situeront dans le cadre de la Francophonie. Mais si
je suis consultée en tant que secrétaire générale de l’OIF, alors je
donnerai mon point de vue. J’ai traité cette question avec les
prédécesseurs du président Macron, sur le plan bilatéral et en tant que
cheffe de la diplomatie. A l’exception de la période qui a suivi le
génocide et pendant quelques années avec l’administration de
M. Sarkozy, il n’y a pas eu d’intérêt de la France à normaliser
les relations diplomatiques. Si les choses avancent, pourquoi ne pas
accréditer un ambassadeur ? C’est lié à cette volonté d’avancer,
de changer les choses. Les discussions continueront entre le prochain
ministre rwandais des affaires étrangères et la France. En réalité, ça
dépendra de la France.
« L’ANGLAIS EST LA LANGUE DE LA TECHNOLOGIE, DE LA RECHERCHE, DES RÉSEAUX SOCIAUX… »
Depuis 2010 au
Rwanda, les cours ne sont plus enseignés en français mais en anglais,
« la langue qui rendra nos enfants plus compétents et servira
notre vision de développement du pays », selon M. Kagame.
Votre présence à la tête de l’OIF peut sembler contradictoire…
Ce n’est pas une contradiction. L’anglais est aujourd’hui la langue de
la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux
sociaux… C’est une réalité. Par ailleurs, l’essentiel de l’activité
économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est, son premier
partenaire commercial étant le Kenya. Il est donc normal et
pragmatique, pour un pays enclavé, de donner une prépondérance à la
langue anglaise. Il n’y a pas de contradiction à donner plus de place à
l’anglais tout en restant un pays francophone. Plusieurs pays sont dans
la même situation mais, pour le Rwanda qui est membre de l’OIF depuis
sa création, ça prend toujours des proportions différentes.
Mi-septembre, plus
de 2 000 prisonniers, dont la célèbre opposante Victoire
Ingabire, ont été relâchés par anticipation. Faut-il y voir un lien
avec votre candidature ?
Honnêtement, cela n’a rien à voir ! Les dossiers de ces personnes
ont été étudiés et la décision de les libérer a été prise. C’est une
bonne chose si cela peut aider ma campagne.
Le rôle d’une
secrétaire général de l’OIF est de dénoncer les atteintes aux droits
humains à l’intérieur de l’espace francophone. Si vous êtes élue, ne
risque t-on pas de vous reprocher d’avoir occupé des fonctions majeures
dans un gouvernement dans lequel ces droits n’étaient pas toujours
respectés ?
Les droits humains ne sont pas réservés à quelques pays et pas à
d’autres. Ce sont des aspirations que tout le monde a. Il y a toujours
des améliorations à faire dans les droits et libertés. Mon pays a une
histoire particulière, dans le sens où, depuis la fin du génocide, il a
eu des relations difficiles avec les organisations des droits humains.
Bien avant que les morts du génocide ne soient enterrés, celles-ci
voulaient déjà des élections. Dès le début, les relations ont été
compliquées. Après vingt-cinq ans, c’est toujours le cas. Mais s’il
fallait dans chaque pays membre évaluer la question des droits humains,
je pense que le Rwanda serait bien placé. On peut reprocher à chaque
pays quelque chose sur la question des libertés.
Mais les rapports de plusieurs ONG étaient accablants en 2017…
On me reproche ces rapports depuis déjà plusieurs années. Cela ne
m’empêche pas de me présenter comme candidate, et c’est aux pays
membres de juger. Je crois qu’il y a parfois une confusion entre
moi-même, le Rwanda et le président du Rwanda. Je suis candidate, j’ai
des ambitions et il faudra me juger sur mon bilan.
11 Octobre 2018
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