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Vers une Solution à la Crise des « gilets jaunes »
Atlantico - Avec Nicolas Goetzmann - 05 décembre 2018
Le
virage de la croissance qui pourrait aider Emmanuel Macron (tout en
restant libéral) s’il osait faire son 1983 à l’envers. Dans l'impasse
de l'opposition entre le gouvernement et les Gilets jaunes, c'est
l'absence de proposition crédible pour une politique alternative,
permettant de lier les intérêts de l'ensemble de la population, qui est
révélée au grand jour. Et pourtant, une solution existe.
Mettre
un point final aux 35 années qui ont suivi et accompagné le tournant de
la rigueur de 1983 et instaurer une véritable politique de retour de la
croissance en France. Voici l'enjeu politique qui découle de
l'émergence du mouvement des Gilets jaunes. Parce qu'au regard des
circonstances, la population ne peut se contenter de simples mesures de
compensation, et la réponse doit être double. Apporter une proposition
économique de grande ampleur tout en réconciliant l'ensemble des
Français au travers d'un projet d'avenir commun.
Plein emploi, hausse des salaires, investissements, innovations, essor
de la productivité, optimisme…ce virage de la croissance paraît
étonnamment illusoire dans une France qui a oublié depuis longtemps de
quoi il s'agit. Parce que l'idéologie fait des dégâts, et la logique de
"désinflation" initiée en 1983 a été poussée si loin que la population
est aujourd'hui majoritairement convaincue que la stagnation et le
chômage de masse sont une forme de calamité, de fatalité. En dépit de
la multitude d'exemples étrangers nous démontrant le contraire.
Pourtant, loin d'être techniquement inaccessible, une ambition de fort
dynamisme économique consiste simplement à utiliser l'ensemble des
leviers dont dispose un gouvernement dans un objectif unique ; celui
d'une croissance conforme au potentiel du pays. Assembler les étages
d'une fusée dont la direction est claire, le développement économique
maximal. Ce virage est le Graal recherché par la planète occidentale
post-crise de 2008 et dont les premières moutures offrent déjà des
résultats probants. Les Etats-Unis et leur "croissance à haute pression
" en sont l'exemple actuel le plus frappant, le Japon en est un autre,
et la France dispose de sérieux atouts pour répondre avec plus de
succès encore aux défis rencontrés, notamment du point de vue de la
justice sociale.
Mettre l'intégralité des leviers économiques au service de la
croissance, c'est déjà les identifier par ordre d'efficacité, de
puissance, et en allumer les mèches de façon concomitante pour un
résultat rapide et soutenable, tout en injectant un souffle politique
de grande ampleur dans l'opinion.
La politique monétaire
Le premier levier, sans lequel tout serait inutile et insignifiant,
consiste à redonner à la France et à la zone euro un niveau d'activité
conforme à son plein potentiel. Au cours des 10 dernières années, le
pays a subi une perte sèche de son rythme annuel de croissance de 60%,
ce qui est à l'origine de la baisse du pouvoir d'achat des Français au
cours de cette décennie perdue. (La croissance nominale moyenne entre
1999 – naissance de l'euro- et 2008 – avant crise- était de 4.1%, cette
moyenne a alors chuté de 60% sur les 10 dernières années pour atteindre
1.64% entre le T3 2008 et le T3 2018). La modification du mandat de la
Banque centrale européenne en lui ordonnant de suivre un objectif de
plein emploi conduirait mécaniquement la politique monétaire dans une
trajectoire de soutien à une accélération économique sans précédent en
Europe depuis 40 ans. Une révolution idéologique qui permettrait -à
l'instar des Etats-Unis- d'atteindre rapidement un rythme de croisière
soutenu de l'activité économique, et ce, jusqu'à ce que le plein emploi
continental soit atteint et que la croissance des salaires redevienne
une chose "normale" pour l'ensemble du monde du travail. Les
entreprises pourraient alors compter sur un marché intérieur européen –
le plus grand au monde – robuste, ce qui leur donnerait les mêmes
avantages que connaissent leurs concurrentes américaines..
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Parce
qu'il semblerait que l'on ait oublié que le meilleur moyen de retrouver
du pouvoir d'achat n'est pas de payer moins d'impôts, mais de voir ses
revenus augmenter avec un emploi, dont le salaire progresse de façon
sensible et régulière. Pour ceux qui doutent de la puissance d'une
telle arme au niveau européen, il suffit de constater le résultat de la
politique menée par la Fed aux États Unis (3.7% de chômage), de la
Banque d'Angleterre au Royaume Uni (4.1% de chômage malgré le Brexit)
ou de ce que fait la Banque du Japon depuis 2012 (2.4% de taux de
chômage). Les récalcitrants peuvent avoir beau jeu de penser qu'une
telle réforme ne serait jamais acceptée par l'Allemagne et les pays du
nord de l'Europe, il se trouve que le processus de désintégration
européenne en œuvre depuis le Brexit, le ralentissement économique
constaté actuellement dans l'ensemble de la zone euro, et la
perspective de sanctions commerciales en provenance des Etats-Unis,
devraient conduire l'ensemble des dirigeants européens à réfléchir un
peu. Les effets d'une modification de la politique monétaire européenne
sont les suivants : hausse du niveau d'activité (potentiel de doubler
la croissance de la demande française connue depuis 10 ans, simplement
en retrouvant le rythme connu avant crise), baisse du chômage jusqu'au
plein emploi, hausse du niveau d'emploi, hausse du chiffre d'affaires
des entreprises ce qui entraine également une hausse des niveaux
d'investissements ; de l'investissement et de la productivité ; le
cercle vertueux est alors en marche. Et sans avoir à attendre des
années pour en mesurer les effets.
Mais cette révolution de la croissance en Europe aurait également un
autre effet. Puisque les États ont un système fiscal indexé sur la
croissance économique, les rentrées fiscales augmentent
proportionnellement, ce qui vient ouvrir mécaniquement de nouvelles
perspectives budgétaires, ce qui est le second levier à actionner pour
une stratégie totale de croissance.
Le Levier budgétaire et fiscal
Ici encore, l'échelle européenne doit être envisagée en priorité, parce
que le déficit public de l'ensemble de la zone euro est actuellement de
0%, alors que le continent est toujours incapable de se sortir de la
crise dans laquelle il est plongé. À titre de comparaison, le déficit
public américain est proche de 4% du PIB (et pourtant le PIB américain
augmente bien plus vite qu'en Europe…). Le point essentiel est que dans
un contexte de fort soutien monétaire à l'activité, une croissance des
dépenses publiques peut être conciliée avec la réduction du niveau de
dette. Pour cela, il suffit que la croissance nominale (qui dépend de
l'action de la Banque centrale) soit supérieure aux déficits, ce qui
est largement à portée de main à l'échelle européenne. Parce que le
meilleur outil contre la dépense publique est la croissance, c'est ce
que nous ont appris les lendemains de 1945, ou la dette atteignait des
niveaux comparables à ce que nous constatons actuellement et que les 30
glorieuses ont fait fondre comme neige au soleil. A l'inverse, et en
prenant la France pour exemple, il est encore utile de regarder les
conséquences sur la dette du décrochage de la croissance française par
rapport à son rythme d'avant crise (c’est-à-dire 4% par an en termes
courants) : la cause principale de l'élévation du niveau de dette du
pays est donc bien la trop faible croissance.
En d'autres termes, la responsabilité de la progression de la dette
français incombe principalement aux serreurs de vis en tout genre, tout
comme l'explosion de la dette japonaise des années 90 et 2000 écrase
les épaules coupables des déflationnistes locaux.
Ces deux volets, monétaires et budgétaires, d'échelle européenne,
auront pour résultat de placer le train de la croissance sur les rails
à un niveau soutenu, reste alors à la France de mettre en œuvre une
politique entièrement consacrée à la croissance avec les outils dont
elle dispose.
L'investissement public dans les infrastructures est une piste
prioritaire d'un tel programme. En supportant la croissance à court
terme et en permettant une hausse de la croissance potentielle, les
dépenses d'infrastructures sont également un vecteur d'emploi de
qualification intermédiaire répondant à la demande du marché du travail
actuel. C'est notamment ce que préconise le FMI, ou encore l'institut
Brookings, ou d'autres encore. Les différentes analyses publiées sur ce
sujet précisent que le coût budgétaire de l'investissement se trouve
neutralisé par l'apport de moyen long terme qu'il donne au pays. Ici
encore, la question de la dette n'est pas à considérer comme un écueil.
Il est également à rappeler que les taux d'intérêts payés par l'État
sur sa dette sont à un plus bas historique (0.7% pour un emprunt à 10
ans).
L'investissement public dans la recherche technologique mais également
pour la transition écologique afin de donner un socle de recherche
étatique de grande ampleur aux enjeux économiques de demain doit
également être une priorité. C'est ce qu'on appelle une politique
industrielle. Parce l'innovation n'est pas une mission que peuvent
assurer les start-ups, les grandes avancées technologiques étant
principalement le fait de l'investissement public, comme internet fut
le fruit du travail du secteur militaire américain, ou comme Space X
est financé par la NASA. Plutôt que de miser sur la sempiternelle
baisse du coût du travail dont on constate aujourd'hui les effets sur
la fracturation sociale du pays, les entreprises françaises pourront
alors compter sur un secteur technologique de haut niveau, source
d'innovation, dont elles seront les premières bénéficiaires, pour
monter en gamme et entrer en concurrence avec le reste du monde sur des
bases ambitieuses. Quand l'objectif n'est plus de faire moins cher,
mais mieux, ce qui suppose une remise à zéro d'une pensée
"compétitivité" mortifère.
En étayant ces propositions d'un éventail de mesures ayant toutes pour
seul objectif de relever la croissance du pays, la France peut trouver
une place de premier de la classe au niveau mondial. La conjonction
d'une politique de forte croissance, couplée au maintien de l'État
providence est la clé pour réussir à sortir de l'ornière occidentale
des 35 dernières années, entre chômage de masse et progression des
inégalités. D'autres pays ont commencé cet effort, la France peut
apporter sa propre marque à une question qui traverse l'ensemble des
pays occidentaux et qui a notamment été révélée par le graphique dit de
"l'éléphant" réalisé par l'économiste Branko Milanovic- ancien patron
de la recherche économique de la Banque mondiale- et actualisé par le
dernier rapport sur les inégalités mondiales , permettant de comprendre
comment les classes moyennes et populaires occidentales ont été les
grandes perdantes de ces dernières décennies (dont la progression des
revenus ont été les plus faibles au cours des 35 dernières années au
niveau mondial).
Mais l'impasse ne pourra être faite sur les mesures concrètes. Le
gouvernement est allé trop loin dans la rupture politique pour éviter
un réel effort immédiat à consacrer aux revenus des personnes qui
composent les rangs des soutiens aux Gilets jaunes. Que cela soit par
le biais de la prime d'activité et ou d'aides sociales exceptionnelles,
il est essentiel que le travail mené sur le front économique coagule
avec la perception politique de ce qui est mis en place, pour que
l'ensemble de la population se sente intégrée au changement de régime
économique du pays.
L'enjeu, pour la France en Europe, n'est pas de jouer les seconds rôles
permanents dans la cour des mauvais élèves comme elle pris l'habitude
de le faire. L'enjeu est de faire la France un modèle de dynamisme dans
une économie à haute pression dans un système de croissance pour tous.
5 Décembre 2018
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