Le continent malade de son leadership
Par Freddy Monsa Iyaka Duku
L'actualité
en Afrique reste dominée par la crise au Mali et ses conséquences sur
tout le continent. Et pourtant, il ne s'agit que d'une succession des
faits, depuis la République démocratique du Congo en passant par la
Somalie, la Côte d'Ivoire, la Sierre Leone, le Liberia, la Tunisie, la
Libye, l'Egypte, et nous en passons.
Une
façon de donner raison à ceux qui s'attardent désormais sur une
«nouvelle balkanisation de l'Afrique», posant ainsi un problème
fondamental : celui du leadership africain pour mieux gérer tous ces
conflits qui déstabilisent l'Afrique. L'Afrique est à un tournant
décisif de son histoire. Celui qui doit marquer la «Renaissance
africaine». Il est vrai qu'avec le vent de la démocratisation sur le
continent, une nouvelle ère avait commencé : celle d'une Afrique
nouvelle pour mettre ses potentialités au service de l'humanité, tracer
une nette ligne de démarcation entre l'Afrique simple réservoir de
matières premières et une Afrique compétitive tant sur le plan de la
gestion des ressources naturelles que de la promotion de l'être humain.
Une Afrique qui devrait avoir cette prétention de couper le cordon
ombilical avec un certain passé colonial, mais de promouvoir les
relations inter Etats pour la croissance mondiale et tendre vers la
mise en place d'un nouvel ordre mondial en passant par un nouvel ordre
économique international (NOEI). Mais cette Afrique-là était encore
dominée par de hautes personnalités africaines qui ont marqué leur
temps. En Afrique du Nord, on retenait des personnalités politiques
avec une grande force de persuasion, à savoir Nasser, Bourguiba, Ben
Bella et Boumediene, Hassan II. En Afrique australe, bien que
prisonnier, Nelson Mandela avait l'aura brillante, soutenu par Kenneth
Kaunda, Mugabe. En Afrique centrale, Mobutu et Bongo accusaient une
bonne stature. En Afrique de l'Est, Jomo Kenyatta, Julius Nyerere
émergeaient du lot. Enfin, en Afrique de l'Ouest, Kwame Nkrumah,
Houphouët-Boigny, Léopold Sedar Senghor étaient très écoutés, sans
oublier le Malien Modibo Keita. Grâce à leur perspicacité, à leur
patriotisme doublé de panafricanisme que naquit l'Organisation de
l'unité africaine, OUA, afin de canaliser les aspirations africaines.
Bien au-delà, Nasser et Nkrumah, ont été à la base de la création du
Mouvement des Non alignés aux côtes de l'Indien Ghandi, du Chinois Chou
en Laï et l'Indonésien Soekarno. L'Afrique avait des repères en ces
temps-là. Chaque sous-région se distinguait par un leadership fort qui
se ressentait au niveau continental.
Les mutations
Cependant, les impondérables de l'histoire ne manquent jamais de faire
des victimes. Celles de ces personnalités qui n'ont pas su lire les
signes du temps, avec la fin de la Guerre froide, la chute du Mur de
Berlin, ont été déboulonnés pour faire place à d'autres. C'est le cas
en Afrique du Nord de la mort de Nasser (Egypte) qui a laissé sa place
à Sadate, ensuite Moubarak, lequel sera balayé par le Printemps arabe.
Le Maroc garde sa stabilité avec la succession de Mohamed VI. En
Algérie, Bouteflika est en place. La Libye du bouillant Kadhafi subira
plus tard le même sort. L'Afrique centrale garde Denis Sassou Nguesso,
Paul Biya. En RDC, la transition est difficile avec le déboulonnement
de Mobutu, suivie de la mort de Laurent-Désiré Kabila, et Joseph Kabila
Kabange a pris les rênes de ce grand et prestigieux pays encore au
creux des turbulences. En Afrique de l'Est, une nouvelle génération de
dirigeants est en place avec l'arrivée de Museveni en Ouganda, Paul
Kagame au Rwanda, et Jikawa Kikwete en Tanzanie. La libération de
Nelson Mandela a permis l'émergence des personnalités importantes
telles que Thabo Mbeki et Jacob Zuma.
En Afrique de l'Ouest, il y a turbulence, car la succession de
Houphouët-Boigny se fait avec beaucoup de casses : Konan Bedié, Nguey,
Gbagbo, Ouattara, trop de présidents de la République en un laps de
temps. Au Sénégal, après le départ élégant d'Abdou Diouf, Wade a joué
un peu de la résistance avant de céder devant l'ouragan de l'histoire
sa place à Macky Sall. A dire vrai, toutes ces mutations ont
sérieusement affecté le leadership africain. Et l'une des preuves les
plus irréfutables est le remplacement de l'OUA par l'Union africaine.
Loin d'être un simple changement de dénomination, c'est toute la
philosophie des politiques africaines qui a été remise en cause.
Contrairement à l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), l'UA est de
plus en plus fragilisée, ne se fait pas entendre ni se faire respecter.
Un travail de sape, découlant justement de cette absence de leadership
en Afrique, se fait à partir de l'intérieur. Le profil du président de
la Commission africaine dévalué. Plus question de nommer un ancien chef
de l'Etat mais un «fonctionnaire» à qui l'on dicterait des ordres et
serait assujetti à ceux qui l'ont voté. C'est la guéguerre aujourd'hui
entre Jean Ping et Mme Nkosama Zuma. Si hier l'empoignade opposait les
«progressistes» aux «modérés» au sein de l'OUA, les «Francophones» et
les «Anglophones» se disputent la présidence de la Commission de
l'Union africaine. Exactement comme sur le plan de la politique
internationale où les Anglo-saxons s'emploient à prendre le leadership
mondial : guerres en Afghanistan, Irak Libye, RDC.
L'Afrique malmenée
Cette absence de leadership africain, avec une Union africaine
fragilisée, affecte tous les pays du continent. Les conflits internes
sont réglés en dehors du continent, sans consulter l'Union africaine.
Tel le cas en Libye. En Côte d'Ivoire, la présence occidentale a été de
beaucoup pour que l'on fasse la paix. En RDC, c'est la communauté
internationale qui a pris à bras-le-corps la gestion de la crise
jusqu'à l'organisation des élections en 2006. L'Afrique, dans ce cas
bien précis, est demeurée la grande muette.
Il en va de même de la gestion des ressources naturelles. Malmenée
politiquement, l'Afrique l'est aussi au plan économique. Plus grave,
les pays africains servent de couloirs, de points de passage pour le
commerce illégal des richesses, le trafic des armes. La crise
financière aidant, les pays riches sont désormais d'une virulence telle
que la moindre résistance coûte cher. Non inquiétés, ils sont devenus à
la fois des «faiseurs de guerre» et des «faiseurs de paix». C'est leur
feuille de route qui est avalisée. Sur ce point, Thabo Mbeki, cet
ancien président sud-africain s'est levé pour proposer des pistes de
solutions afin de consacrer la renaissance africaine et sortir des
sentiers battus du narcissisme, de victimisation. Il propose la défense
de la souveraineté nationale par «le respect des droits de l'Homme, que
le pouvoir vient du peuple et doit gouverner, l'adoption des politiques
nationales, l'existence des institutions nationales fortes et un
rapprochement des politiques nationales et régionales, entre les
organes nationaux et sous régionaux pour des solutions africaines aux
problèmes africains». Kofi Annan, cet ancien secrétaire général de
l'ONU, Ghanéen d'origine, est convaincu que le respect des droits de
l'Homme amène la paix, la sécurité qui sous-tendent tout processus de
développement durable. Enfin, Jules-Fontaine Sambwa, ancien gouverneur
de la Banque centrale du Congo, avait plaidé pour une «république de
valeurs» en s'appuyant sur la trilogie de l'envol : tolérance, respect
des droits de l'Homme et émergence d'un véritable Etat de droit. Toutes
ces pistes de solutions, ce schéma, cette trilogie d'envol appelle un
leadership tant au niveau national et, ensuite, continental. Ce n'est
qu'à ce prix, et à ce prix seulement que de la RDC au Mali, en passant
par la Côte d'Ivoire, le Nigeria qu'il y aura des solutions africaines
aux problèmes africains.
Avril 2012
Abonnez-vous à Slate Afrique
Retour à L'information
Retour
au sommaire
|