Il faut accompagner l’émergence de l’Afrique politique
Par Richard Attias
Quelles
leçons tirer de la crise malienne? Si la situation reste chaotique,
l’accord de sortie de crise négocié par l’organisation sous régionale
ouvre des perspectives nouvelles à l’Afrique politique. Pour la
première fois, elle est parvenue à enrayer un coup d’Etat militaire
mais a encore besoin de soutiens pour continuer à se renforcer.
Le
Mali connait des heures sombres. Une rébellion armée (où se mêlent
indépendantistes touaregs et islamistes d’Aqmi) a provoqué la sécession
de fait du Nord du Pays (Azawad) quelques jours après qu’une junte
militaire ait renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT), qui
était pourtant un exemple démocratique dans la région. Un coup d’Etat
d’autant plus catastrophique qu’il est intervenu quelques semaines
avant une élection présidentielle à laquelle ATT ne comptait pas
participer.
La Cédéao et Alassane Ouattara, acteurs décisifs de l’accord au Mali
Les organisations africaines ont pris la mesure des dangers de la
situation malienne. Le président en exercice de la Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) Alassane
Ouattara, et le président de la Commission de l’Union Africaine (UA),
Jean Ping, ont mené une médiation ferme et efficace qui a permis, pour
la première fois en Afrique, de faire plier (par le dialogue et des
menaces de mesures de rétorsion), la junte qui avait pris le pouvoir à
Bamako.
Le rôle joué par le président ivoirien dans la signature de l’accord
politique malien (qui prévoit notamment le départ de la junte et un
retour aux institutions démocratiques avec le maintien de l’élection
présidentielle d’avril), est d’ailleurs tout sauf un hasard. Alassane
Ouattara a pesé de tout son poids pour que le Mali ne s’enlise pas dans
une crise politique comparable à celle qu’a imposée Laurent Gbagbo à la
Côte d’Ivoire. Abidjan s’est donc engagé aux côtés de la Cédéao et de
l’UA pour isoler politiquement la junte malienne, grâce à une unanimité
régionale sans précédent, et à assécher économiquement les rentrées
d’argent à disposition des militaires. Dans ce cadre, les sanctions
économiques en provenance de Côte d’Ivoire, poumon économique de la
région, ont été particulièrement efficaces.
L’Afrique politique: une réalité émergente
Les institutions politiques africaines n’ont pas toujours eu bonne
presse en Europe. Pourtant, et même si certaines critiques sont
fondées, les organisations intergouvernementales du continent sont de
plus en plus incontournables dans la gestion des crises politiques.
Qu’il s’agisse de l’UA, qui rassemble 54 Etats membres, ou
d’organisations régionales à visées économiques (Cédéao à l’Ouest,
EAC à l’Est, et SADC au Sud), leur influence est grandissante et
bénéfique. Au point de court-circuiter les canaux d’influence
traditionnels, qui passaient généralement par Paris, Londres ou
Washington, comme en atteste l’évolution rapide de la situation
malienne malgré le silence assourdissant du ministère des Affaires
étrangères français ou du Département d’Etat américain.
Si des problématiques de corruption entravent encore leur action et que
les bureaucraties des organisations africaines causent de lourdes
pesanteurs (qui sont toutefois à peu les mêmes au sein de l’Union
européenne ou de l’ONU), les émissaires et négociateurs africains
parviennent mieux que leurs collègues occidentaux à gagner la confiance
de leurs interlocuteurs. Plus de cinquante ans après les indépendances,
l’Afrique n’accepte plus (à juste titre) les diktats des diplomates
occidentaux. C’est la raison pour laquelle les organismes continentaux
et régionaux se révèlent des outils de médiation précieux lorsqu’il
s’agit de débloquer des situations politiques complexes.
Au Nord du Mali, l’Europe et les Etats-Unis doivent accompagner la médiation
Mais le mouvement initié par les dirigeants de la région ne sera
peut-être pas suffisant pour faire face aux défis de la sécession du
Nord du Mali et à la menace terroriste qui, plus que jamais, empêche le
développement de ces régions. L’Europe et les Etats-Unis doivent
s’associer aux efforts de la Cédéao et de l’UA pour faire face à ces
enjeux et restaurer la souveraineté nationale malienne dans le Nord du
pays, afin d’éviter que ne se développe dans ces zones désertiques un
nouveau sanctuaire d’Al Qaida, comme a pu l’être l’Afghanistan.
Car au-delà du Mali, c’est l’ensemble de la bande sahélienne qui est
menacée par l’émergence d’Aqmi et par ses liens avec les
indépendantistes touaregs. Qu’il s’agisse de la Mauritanie, du Niger,
de l’Algérie ou de la Lybie, la lutte contre le terrorisme et les
trafics (notamment d’armes et de drogue) est non seulement une priorité
régionale, mais aussi un défi historique global pour l’Europe et les
Etats-Unis. Les hommes d’Aqmi n’ont pas hésité depuis plusieurs années
à multiplier les prises d’otages de ressortissants occidentaux dans
cette bande sahélienne si difficile à contrôler pour des Etats fragiles
(comme les récents coups d’états militaires en Mauritanie, au Niger et
au Mali l’attestent), à menacer directement l’Europe et à assumer leur
allégeance à Al Qaida. Pas plus la France que les Etats-Unis ne peuvent
s’offrir, malgré la période électorale actuelle qui est rarement
propice au passage à l’action, le luxe de laisser aux seuls Africains
le fardeau de la lutte contre le terrorisme dans la région.
La politique de l’autruche ne sert à rien et il est illusoire de penser
que la mondialisation ne saurait être qu’économique. Face à des défis
qui se globalisent, l’heure est à une gouvernance globale avec des
dirigeants politiques qui réfléchissent au-delà de leurs prés carrés
traditionnels. L’exemple malien a démontré que l’Afrique savait se
réunir pour faire face ensemble à des enjeux globaux. Les responsables
politiques en Europe et aux Etats-Unis doivent s’associer à cette
démarche.
Avril 2012
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