Tunisie: Les journalistes attaqués, agressés, intimidés - Profession, cibles de choix
Par SOUFIANE BEN FARHAT
Institutionnellement, matériellement, politiquement, les médias subissent des pressions et des charges non déguisées
On
n'est pas sorti de l'auberge. Les agressions contre les journalistes se
poursuivent. C'est devenu une tradition bien ancrée. On tape sur les
journalistes. On les maltraite, on leur fait subir le calvaire.
Avant-hier, venus couvrir des manifestations, ils ont été violentés par
des policiers. Sauvagement et sans ambages. Ils ont bel et bien été
méthodiquement ciblés. Tous les témoignages le révèlent.
La situation des médias sous nos cieux est devenue particulièrement
critique. Elle est synonyme de précarité, de dangers, de menaces
réelles. Qu'il s'agisse de la presse écrite et électronique ou
audiovisuelle, c'est le même topo. Partout, on trébuche, on vacille, on
subit les feux croisés des coups qui font mal.
Institutionnellement, matériellement, politiquement, les médias subissent des pressions et des charges non déguisées.
Cela dure depuis un certain temps déjà. Mais cela a pris de l'ampleur
depuis la deuxième révolution en Égypte, début juillet dernier. Les
états-majors politiques avaient alors tiré des conclusions hâtives. A
les en croire, les médias ont concouru à faire tomber Morsi et le
régime des Frères musulmans en Égypte. Pris de panique, ils ont jugé
bon d'agir préventivement. Ils se sont donc avisés de mater la scène
médiatique tunisienne. Des plateaux télé jusqu'alors drainant des taux
d'audimat très élevés ont brusquement disparu. Des journalistes
considérés comme critiques et dérangeants ont été pris à partie,
déstabilisés, pressurés de toutes parts.
En même temps, une faune de gens disposant de sommes d'argent
faramineuses, aux origines parfois douteuses, ont investi les médias.
On rachète par-ci, on fricote et traficote par-là. Les agendas de
certains médias obéissent désormais à des desseins scabreux ou à des
stratégies manipulatrices. Les lignes éditoriales sont détournées,
asservies aux désirs et lubies des promoteurs de type nouveau.
Il s'agit bien d'une stratégie en bonne et due forme. Des accords ont
été pris dans l'ombre. Une panoplie de mesures a été décidée et mise en
branle.
Et puis ces violences multiformes qui réinvestissent la place. Cela va
des intimidations aux menaces et appels au meurtre. L'exercice de la
profession est devenu périlleux. Nombre de journalistes bénéficient
désormais d'une protection rapprochée et d'une surveillance policière
pointilleuse de leurs maisons et lieux de travail.
Sans parler des incitations à la haine et à l'agression physique
proférées par certains politiciens d'infortune à l'endroit de
journalistes. Ils le font en toute impunité, au vu et au su de tout le
monde. Sans que personne ne s'en offusque outre mesure.
Côté matériel, la clochardisation et la paupérisation de la profession
se poursuivent. La presse imprimée est menacée de disparition brutale.
La presse électronique n'est pas en reste. Les recettes publicitaires
diminuent vertigineusement. Les gouffres financiers s'installent. Les
conditions matérielles des journalistes et de la corporation dans son
ensemble -- des dizaines de corps de métier à la télé par exemple --
s'abîment à vue d'œil.
Les politiciens se soucient du journalisme comme d'une guigne. Ça ne
les intéresse qu'en tant que caisse de résonance ou courroie de
transmission. C'est-à-dire, dans tous les cas de figure, comme un
instrument de propagande et de travestissement des faits.
Trop c'est trop. Les journalistes sont devenus comme qui dirait des
cibles de choix. Par vocation obligée. Les violences physiques subies
par les journalistes atteignent des limites scandaleuses. On craint
légitimement que quelque journaliste soit assassiné à brève échéance.
Et les pouvoirs publics s'en accommodent. Ou font la sourde oreille. Ou
feignent de ne pas voir. Et c'est fort désolant.
Les gouvernements changent, les violences contre les journalistes demeurent.
DERNIERE
MINUTE : A l'heure où nous publions : Instauré depuis la révolution de
janvier 2011, l'état d'urgence a été levé mercredi sur l'ensemble du
territoire tunisien. L'annonce a été faite, le 6 mars, par la
présidence de la République.
6 Mars 2014
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