« Nous devons faire de la liberté de la presse un combat de notre génération »
Par Hamidou Anne
Notre
chroniqueur Hamidou Anne appelle la jeunesse et l’élite intellectuelle
africaines à devenir des sentinelles qui ne se contentent pas « de
miettes démocratiques ».
La
mort du journaliste guinéen El-Hadj Mohamed Diallo, vendredi
5 février, tué au siège de l’Union des forces démocratiques de
Guinée (UFDG), le parti d’opposition à Conakry, au-delà d’une tragédie
personnelle, nous alerte une nouvelle fois sur la protection des
journalistes. Il est urgent, pour notre génération, d’ouvrir le débat
sur le rôle de la presse, sa fragilité et son impérative nécessité dans
la construction de démocraties solides et viables à l’aune des récents
bouleversements politiques et sociaux en Afrique.
Récemment, les envoyés spéciaux du Monde, le journaliste Jean-Philippe
Rémy et reporter photo Phil Moore, ont été arrêtés au Burundi, et leur
matériel confisqué avant d’être libérés. Cette tentative d’intimidation
du régime de Pierre Nkurunziza est caractéristique d’une stratégie
vieille et limpide. Les gouvernants ne veulent pas de témoins de leurs
forfaitures. Le président burundais et tous ses semblables – car,
hélas, demeurent en Afrique, au pouvoir et en dehors, de nombreux
Pierre Nkurunziza en puissance – ne veulent pas qu’on témoigne des
horreurs qu’ils commettent. Ils veulent réprimer à l’abri des regards.
Etats et oligarchies, même conservatisme
Car si le plus grand ennemi des autoritarismes, c’est la résistance
d’un peuple debout, celui des pseudo-démocraties plus ou moins ouvertes
demeure l’opinion et son pouvoir d’indignation, d’alerte, de témoignage
et de jugement implacable.
Les Etats ont montré leurs limites dans la protection des journalistes
et, plus largement, dans le domaine de la liberté de la presse. Liberté
nécessaire et non négociable. Souvent, ils en sont même les premiers
fossoyeurs à force d’intimidations, d’arrestations, d’assassinats de
journalistes, d’interdictions de médias et de vendetta par le biais de
pressions économiques.
Mais les Etats ne sont pas les seuls engagés sur cette voie. Une grande
partie de nos oligarchies imbibées de conservatisme et d’identité
sacralisée démontrent également leur goût peu prononcé pour un
changement de paradigme et une abolition des privilèges. Des privilèges
qui sanctuarisent pour le moment le fait coutumier et religieux.
L’affaire de la récente caricature de Jeune Afrique et les réactions
violentes qu’elle a suscitées au Sénégal sont instructives.
Le cas du dessin de Glez illustre nos peurs, nos lâchetés et la vacuité
de nos discours enflammés sur la liberté dans la douce et confortable
intimité de nos foyers et de nos cercles restreints de réflexion. Il
est facile de brandir sa pancarte et de hurler « Je suis
Charlie », « Je suis Bamako » à grand renfort de
hashtags pour des sujets exogènes. La distance est une anesthésie
préservatrice. Mais fait-on preuve de la même hargne quand il s’agit de
maux qui gangrènent nos propres sociétés, celles qui nous ont
enfantés ?
« Tout tout de suite »
Le bâillonnement de la presse se fait d’abord et surtout sur le lit de
nos renoncements, de nos tergiversations, de nos petits arrangements
avec les principes et de notre propension à courber l’échine par peur,
par lassitude, voire – et c’est le pire, par indifférence. C’est en
effet par une longue série de petits accommodements avec l’inacceptable
que se sédimente une maladie incurable dans nos sociétés, celle qui
fait qu’elles n’arrivent plus à s’indigner. Celle qui les rend lâches
et individualistes. Or c’est par le biais de la presse que nous
exerçons le droit primaire et vital à l’information.
Pour la jeunesse, renoncer à prendre le risque de porter le combat pour
le droit à l’information juste et vraie est symptomatique d’une défaite
des idées, de la pensée, qui est la résultante d’une peur et d’une
paresse intellectuelle fortes et destructrices. Chaque parcelle que
nous céderons à la liberté sera un recul du camp du progrès et un
territoire sur nous conquis par ceux qui veulent nous maintenir dans
l’obscurantisme, la médiocrité et le défaitisme. Nous ne pouvons pas
être la génération du « printemps arabe », celle de
l’insurrection burkinabée de 2014, celle encore du 23 juin 2011
dakarois pour nous contenter de miettes démocratiques. Nous devons
vouloir tout et tout de suite !
La démocratie est indissociable de la liberté d’expression, d’un accès
généralisé à l’information, d’une protection de ceux qui la produisent
et d’une position de sentinelle que la jeunesse et les élites
intellectuelles ont à adopter dans ce combat d’avant-garde. Que les
progressistes du continent ne se fassent aucune illusion : ils
seront seuls sur le sentier de la lutte pour la liberté de la presse.
On leur sous-traitera toujours ce combat qui est d’abord le leur.
Qu’ils n’aient pas peur.
Mais défendre la liberté de la presse est un combat de notre époque.
D’ailleurs, cette liberté est trop importante pour que nous laissions
les journalistes seuls dans cette lutte. C’est un combat générationnel.
Sans doute l’un des plus essentiels, sûrement l’un des plus durs et
l’un des plus dangereux.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des Idées.
8 Février 2016
Abonnez-Vous au Monde
Retour
à L'information
Retour au sommaire
|