Les réfugiés de l’environnement (première et deuxième partie)
Par Joël Ignasse
La Terre chauffe et avec elle beaucoup de territoires autrefois accueillants deviennent inhabitables pour leurs occupants traditionnels. Du coup, les populations résidentes sont obligées d’aller s’installer ailleurs. Ces nouveaux réfugiés climatiques sont aujourd’hui une trentaine de millions mais leur nombre devrait dépasser les 250 millions en 2050. Ce thème a fait l’objet d’une conférence lors du festival Sciences Frontières qui s’est déroulé à Marseille au début du mois d’avril.
Qui sont ces populations menacées ? Ou vivent-elles ? En fait un peu partout dans le monde. Il faut savoir que près de 500 millions de personnes vivent à moins de cinq kilomètres des côtes et pas loin de 350 millions à moins de cinq mètres au-dessus du niveau de l’eau, voir en dessous pour certains (Bengladesh, Pays bas, Camargue…). |
|
Toutes ces régions sont directement menacées par la montée des eaux consécutives à la fonte des glaces polaires. Pour d’autres la menace ne vient pas de l’eau mais plutôt de son absence, en Asie, en Afrique et en Amérique Latine la déforestation conjuguée à la hausse des températures accélère la progression des déserts menaçant encore plusieurs millions de personnes. Le premier exemple, tragique, de ce phénomène migratoire forcé se situe en plein cœur des îles polynésiennes. A quelques kilomètres de l’équateur, dans des eaux bleu turquoise, l’archipel de Tuvalu composé de quelques petits îlots peuplés d’une dizaine de milliers d’habitants sera entièrement recouvert par les eaux d’ici 2050. Les habitants sont donc contraints d’aller vivre ailleurs. Mais cet ailleurs n’existe pas encore : les pays voisins (Australie, Nouvelle-Zélande, Indonésie…) n’acceptent des réfugiés qu’au compte goutte avec des conditions drastiques d’accès à leur territoire.
Au même moment, de l’autre côté du globe, les Inuits qui vivent sur la banquise voient leur territoire se réduire d’années en années comme une peau de chagrin. Eux non plus n’ont pas d’ailleurs et tentent de faire reconnaître le préjudice qu’ils subissent. Ils viennent ainsi de porter plainte contre les Etats-Unis, l’un des plus gros producteurs de gaz à effet de serre, devant l’équivalent de la cour européenne des droits de l’Homme pour le continent Américain. En attendant ils envisagent aussi une « délocalisation forcée ».
Ces mouvements de populations n’en sont qu’à leur commencement. Tout indique que la situation climatique du globe va continuer à se détériorer. Les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) fixés par Kyoto, déjà minimalistes, ne seront selon toute vraisemblance pas atteints. En conséquence, il faut s’attendre à d’autres situations catastrophiques. Les experts prévoient essentiellement des mouvements de population Sud/Sud ainsi que des tensions sur les îles du Pacifique et de l’Océan Indien comme les Maldives. Mais les problèmes soulevés par ces déplacements de personnes nécessitent une régulation et une prise en charge internationale.
La première des mesures à prendre sera de définir un statut pour ces déplacés. À ce jour, il n'existe pas de statut défini juridiquement pour les réfugiés écologiques dans le droit international auquel cette nouvelle catégorie de réfugiés impose des défis nouveaux. L'ONU appelle néanmoins à la reconnaissance d’un statut juridique pour les réfugiés environnementaux, sur le même mode que les réfugiés politiques. Cette reconnaissance implique également la mise en place de moyens spécifiquement dédiés à cette catégorie de personnes. Les experts appellent à la mise en place d’un fond international, sur le principe du Fipol (chargé des indemnisations en cas de pollution pétrolière), doté de suffisamment de moyens pour faire face à des catastrophes écologiques de grande ampleur.
Au-delà de la gestion de l’urgence, le seul moyen de limiter les conséquences des désordres climatiques à venir est bien sûr la prévention et l’information des populations vivant dans les zones à risques. Avec deux motivations : diminuer les conséquences des catastrophes et éviter les tensions qu’induisent inévitablement tout évènement hors du commun. Les victimes ont en effet alors tendance à chercher un bouc émissaire. Ce fût le cas lors d’une des premières épidémies que le monde a connues, la peste de 1348 qui décima plus d’un tiers de la population européenne. A cette époque, les juifs furent accusés d’avoir empoisonné l’eau des puits et un grand nombre a été massacré. Seule la connaissance des phénomènes sous jacents est à même d’éviter ou d’atténuer ses dérives.
En matière de prévention, les pays industrialisés disposent des moyens nécessaires pour recenser les zones et les situations à risques et tenter de les sécuriser au mieux. C’est tout l’aménagement du territoire qui doit être repensé en fonction des données recueillis par les différentes agences de l’environnement. D’autres mesures sont aussi indispensables, en France, par exemple, le réchauffement climatique fait craindre la réapparition de maladies tropicales comme le paludisme ou la leishmaniose autour des côtes méditerranéennes. Mais les médecins n’ont plus l’habitude de diagnostiquer ce genre de pathologies un effort de formation s’avère donc nécessaire. Dans les pays les plus pauvres, la mise en place de telles mesures semblent illusoire, à moins d’une initiative internationale concertée, ce qui n’est pas encore d’actualité...
Mai 2008
Abonnez-vous à Sciences & Avenir
Retour
aux Migrations
Retour au Sommaire
|