L’immigration est une chance pour la France !
Par Christian Eboulé
L’immigration
n’est pas un problème, bien au contraire la France lui est redevable de
beaucoup. Elle constitue une richesse.
La
partition est bien connue, et aucune élection nationale n’y échappe
depuis plusieurs décennies. Après un quinquennat marqué par une
instrumentalisation outrancière de l’immigration, le candidat-président
Nicolas Sarkozy en fait à nouveau son cheval de Troie. Ses dernières
déclarations à ce sujet nuisent très gravement à notre pays et
constituent un déni de réalité: l’immigration régénère la République et
elle est une chance pour la France. En 1987, il y a 25 ans déjà, un
colloque avait été organisé à la Sorbonne sur le thème de la France qui
s’enrichit des apports multiples dus à l’immigration. Intitulé «La
France et le pluralisme des cultures», il apparaît aujourd’hui comme un
lointain souvenir. A l'époque le président François Mitterrand avait
déclaré: «Nous sommes tous un peu roumain, un peu germain, un peu juif,
un peu italien, un peu espagnol, de plus en plus portugais.» Et il
ajouta: «Je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.»
Pour ou contre l'immigration?
A l’époque, dans un essai intitulé «Le creuset français», l’historien
Gérard Noiriel précisait que cette perspective était une manière de se
donner «bonne conscience». Un constat qui reste vrai aujourd’hui. Car,
d'une certaine façon, il faut être pour ou contre l'immigration. Et
tous ceux qui sont pour, démontrent en quoi elle constitue un apport
essentiel. Or, toujours selon Noiriel, en matière d’immigration, il ne
s'agit pas d’être pour ou contre, et encore moins «de réhabiliter des
racines, dévoiler des origines ou exalter l'identité plurielle de la
France.»
Il s'agit plutôt, au niveau de la communauté nationale qui incarne la
république, de considérer l'immigration, non pas comme un problème
extérieur, mais comme une question interne à l'Histoire de notre pays.
Dans ces conditions, affirmer que l'immigration régénère la République,
c'est expliquer ce que la France d'aujourd'hui doit à l'immigration. Ce
qui, pour Gérard Noiriel, revient aussi à «donner à des millions
d'habitants de ce pays, la possibilité de situer leur histoire
personnelle, dans la grande histoire de la Nation française, afin
qu'elle y ait une place légitime.»
Dans sa célèbre «Réflexion sur la question juive», Jean-Paul Sartre
affirmait que «l’immigré est d’abord un homme que les autres tiennent
pour immigré.» Mais qu’est-ce donc qu’un immigré? Dans le langage
courant et pour nombre de nos concitoyens, les confusions sont
fréquentes entre émigré et immigrés.
Or, si les premiers, comme les travailleurs étrangers, quittent leur
pays pour être employés temporairement hors de chez eux, les seconds en
revanche nourrissent, même de manière implicite, le projet de
s’installer durablement dans le pays d’accueil.
C’est ce qui différencie le travailleur saisonnier, du jeune africain
qui est prêt à perdre sa vie pour rejoindre l’Europe en passant par
l’Afrique du Nord ou les Iles Canaries. Au milieu des années 1970, feu
le sociologue Abdelmalek Sayad affirmait justement que dans les
sociétés industrialisées, «c’est le travail qui fait naître l’immigré,
qui le fait être ; c’est lui aussi, quand il vient à cesser, qui
fait «mourir» l’immigré, prononce sa négation ou le refoulement dans le
non-être.»
De l’utilité de l’étranger
Dans l’Hexagone plus qu’ailleurs, immigration et industrialisation sont
indissolublement liés. Pour faire face à ses déficits démographiques et
suppléer aux faiblesses historiques de son économie, la France a
longtemps fait appel à l’immigration. En effet, malgré les progrès
techniques réalisés dès le 18e siècle dans le textile et la
métallurgie, l’industrialisation a été très lente en France jusqu’aux
environs des années 1820-1840.
Cette situation va s’aggraver avec la crise qui suivit la Révolution
française et les difficultés de l’Empire. Afin de dynamiser l’industrie
française et donner de la souplesse à l’économie, les autorités
favorisèrent l’immigration dès le début du 19e siècle. Ils étaient
ouvriers agricoles, manœuvres dans les chantiers de construction,
ouvriers d’usine employés dans les postes les plus mécanisés et les
plus insalubres.
A cet égard, on peut citer les Sardes qui étaient employés dans les
savonneries de Marseille. Rajoutons également que, à cette époque,
l’agriculture tenait une place très importante en France, et la petite
paysannerie était encore prépondérante.
C’était l’ «industrialisation à la française», caractérisée par un
enracinement des ouvriers de métier en zone rurale, dans des secteurs
comme les mines et la métallurgie. Mais dès le début du 19e siècle, les
démographes constatèrent en France un malthusianisme très prononcé. La
plupart des familles tenaient à maîtriser leur fécondité pour favoriser
l’ascension sociale de leurs enfants, et leur transmettre un patrimoine.
Pour faire face à la pénurie de main d’œuvre, la société Pont-à-Mousson
par exemple, allait chercher les ouvriers qu’il lui fallait en
Roumanie, en Pologne ou encore en Kabylie. Dans les mines, la
sidérurgie, la chimie, l’électrochimie…, les ouvriers-paysans français
refusaient alors les travaux pénibles. De plus, la Première Guerre
mondiale avait privé l’industrie française d’environ 10% de son
personnel.
Immigrés célèbres
Mais l’apport de l’immigration ne peut être limité à ces seuls aspects
économiques. L’histoire sociale et culturelle de la France a aussi très
largement été nourrie par l’immigration. Patrice de Mac-Mahon, qui
était d’origine irlandaise, fut maréchal du Second Empire et président
de la Troisième République. Le Baron Haussmann était issu d’une famille
allemande. Fils d'un immigré italien, Léon Gambetta opta pour la
nationalité française en 1859, il avait 21 ans.
Marie Curie, prix Nobel pour ses découvertes sur la radioactivité était
d’origine polonaise. Les philosophes Bergson, Meyerson, Jankélévitch
étaient tous d’origine polonaise. Chez les écrivains célèbres, Verlaine
avait des ascendances belges, Apollinaire était d’origine polonaise, la
comtesse de Ségur était la fille d’un gouverneur général de Moscou,
Emile Zola était le fils d’un ingénieur italien. Plus proches de nous,
Romain Gary, Joseph Kessel, Emmanuel Bove, Henri Troyat, Georges Perec…
étaient d’origine russe. En matière musicale, Jacques Offenbach était
d’origine allemande, Joseph Maurice Ravel et Arthur Honegger étaient de
parents suisses.
S’agissant du théâtre et du cinéma, Sarah Bernhardt était d’origine
néerlandaise. Ariane Mnouchkine est de père russe et de mère anglaise.
Yves Montand et Serge Reggiani étaient tous d’origine italienne.
Charles Aznavour, Alice Sapritch et Henri Verneuil sont de la deuxième
génération de l’immigration arménienne. Tout comme Isabelle Adjani est
de la deuxième génération de l’immigration algérienne. Serge Gainsbourg
était d’origine russe et Coluche d’origine italienne. En sport, la
liste est tout aussi longue : Wizsniewski, Budzinski, Synakowski,
Kopa, Di Loro, Di Nallo, Repellini, Platini, Battiston, Bellone,
Ferreri, Amoros, Luis Fernadez, Tigana, Touré, Zidane...
Aujourd’hui, dans les universités américaines, les écrivains
francophones comme Alain Mabanckou et bien d’autres, sont les meilleurs
ambassadeurs de la France. Mais, comme le souligne Gérard Noiriel, ce
catalogue à la Prévert n’a d’intérêt que si l’on montre en quoi ces
hommes ont influencé la «civilisation française contemporaine».
Sinon, le risque c’est de sombrer dans la thèse rebattue «des capacités
d’assimilation de la nation française». Autrement dit, ces apports se
seraient fondus dans un creuset français sans remettre en cause une
identité déjà fixée, notamment depuis la Révolution française. Or, de
nombreux sociologues affirment aujourd’hui, que toutes les sociétés
marquées par une immigration massive témoignent ensuite d’une culture
pluraliste.
Christian Eboulé, journaliste camerounais
Avril 2012
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