Quelles politiques européennes en
matière d'immigration ?
Par J. Barrot, J-D. Giuliani, C. Coelho, G.
Veyssiere
La
Fondation Robert Schuman a organisé le 27 juin à Bruxelles un débat sur
le thème "Immigration, frontières, asile: Quelles politiques
européennes?" avec Jacques Barrot, ancien Vice-président de la
Commission européenne en charge du transport puis de la Justice et des
Affaires intérieures et Carlos Coelho, député européen (PPE/PT). Le
débat fut accueilli par l’Ambassadeur Philippe Etienne à la
Représentation Permanente de la France auprès de l’Union européenne et
modéré par Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert
Schuman.
Ouverture à
l’immigration régulière
Pour Jacques Barrot, l’Europe fait face à un dilemme : d’un côté elle
souffre du chômage, notamment d’un jeune sur 5, de l’autre les
migrations seront inéluctables pour des raisons démographiques. En
effet, en 2050 l’âge médian passera de 38 à 48 ans, l’Afrique comptera
le triple de population que l’Europe et il n’y aura plus que 2 actifs
pour 1 retraité, contre 4 actuellement. Il faut notamment favoriser une
immigration légale très qualifiée qui part pour l’instant à 55% aux
Etats-Unis pour seulement 5% en Europe. Pour lui, l’Europe devait
résister à la tentation de fermer ses portes et être ouverte.
Jean-Dominique Giuliani a également mis en garde contre le risque d’un
repli sur soi actionné par les mouvements populistes. Jacques Barrot a
reconnu ce danger et a admis qu’il fallait faire attention aux
migrations irrégulières et se placer dans le cadre d’une politique de
moyen et long terme. Carlos Coelho l’a approuvé tout en insistant sur
la nécessité de tenir compte des préoccupations sur le nombre
d’immigrants et leur qualité. Un participant a suggéré que les
institutions pourraient faire preuve de davantage de pédagogie pour
faire prendre conscience des problèmes à l’opinion publique. Jacques
Barrot a d’ailleurs plaidé pour une Communication de la Commission
expliquant clairement les données démographiques pour dépassionner le
débat.
Il a par ailleurs attribué deux devoirs à l’Europe : un devoir
d’intégration et un devoir d’accueil des demandeurs d’asile. Tout
d’abord, un devoir d’intégration des migrants : si les migrants doivent
respecter les valeurs de la société d’accueil, il faut selon lui que
les sociétés leur soient plus ouvertes. De plus, il a plaidé pour un
permis unique de séjour et de travail pour faciliter l’intégration.
Carlos Coehlo a également soutenu qu’une politique d’immigration
réussie vise l’intégration.
Jacques Barrot
Deuxièmement, pour Jacques Barrot, l’Europe avait un devoir d’accueil
des réfugiés. A ce titre, il a critiqué la variation du taux
d’acceptation de 0,3% en Grèce à 66 à Malte. Il a regretté le manque
d’accord sur les procédures, sur des normes minimales et sur la
révision des accords de Dublin pour plus de flexibilité. Mais il a
rappelé l’existence du Pacte pour l’immigration et l’asile signé sous
la Présidence française du Conseil de l’UE, et les réalisations
d’EURODAC (1) et du Bureau d’appui en matière d’asile à La Valette
(2). Selon lui, la solidarité européenne devait également se
manifester par un meilleur partage de la réinstallation des réfugiés,
grâce au fonds « Réfugiés ». Interrogé sur le fait que 80% des réfugiés
dans le monde vivent dans les pays en développement, Jacques Barrot a
plaidé pour plus de solidarité à la fois entre les Etats membres de
l’Union et envers les pays frontaliers des zones de conflits, pour
renforcer la « protection régionale » et aider à terme au retour dans
le pays. A un participant soulignant la difficulté de renvoyer des
réfugiés qui s’étaient installés, il a répondu que pour résoudre cette
vraie question de la durée du séjour, il fallait aider par exemple la
Tunisie à garder
les réfugiés libyens, et mettre s’il le fallait de « l’argent sur la
table ». (3) Carlos Coelho a également souligné que la vitesse de
réaction était essentielle. En outre, il a mis en avant le souhait du
Parlement européen de créer un système d’aides financières aux Etats
membres accueillant des réfugiés, tout en soulignant que ce dossier
était bloqué au
Conseil en raison d’un problème juridique lié à la volonté du Parlement
d’avoir recours à des actes délégués.
1 - EURODAC est un système de comparaison des empreintes digitales des
demandeurs d’asile et de plusieurs catégories d’immigrants clandestins.
2 - Commission européenne, « Le Bureau européen d'appui en matière
d'asile est maintenant complètement opérationnel », IP/11/750,
17/06/2011
3 - Rapport 2010 du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations
Unies http://www.unhcr.fr/4dfbaed82.html
Interrogés sur le rôle de l’Union européenne pour favoriser une
immigration sélective, Jacques Barrot et Carlos Coelho ont admis qu’il
n’y avait pas de marché du travail européen et donc que chaque Etat
membre avait des besoins spécifiques à remplir. Cependant, Jacques
Barrot a rappelé que l’Union s’est dotée d’un cadre juridique pour
favoriser l’immigration légale, notamment avec la « carte bleue », pour
faciliter l’accès
des migrants très qualifiés. Il a reconnu pour autant que cette « carte
bleue » devrait être renforcée pour concurrencer la « green card »
américaine, et qu’il faudrait améliorer la politique sur les visas
étudiants. Philippe Etienne a également informé l’auditoire qu’au
dernier Conseil JAI, la Commission avait signalé qu’elle travaillait à
affiner le concept de migration légale.
Fermeté sur
l’immigration irrégulière
Pour Jacques Barrot, il fallait une politique ferme pour ne pas subir
les migrations irrégulières. Avec Carlos Coelho, ils ont critiqué les
régularisations massives et ont appelé à un système de surveillance des
frontières renforcées, notamment en consolidant FRONTEX. Jacques Barrot
a rappelé qu’entre deux-tiers à trois-quarts des immigrants irréguliers
étaient entrés grâce à un visa mais restaient après l’expiration de
celui-ci. En conséquence, il a préconisé un système de contrôle des
entrées et sorties des détenteurs de visa. Il a aussi rappelé la proche
date limite de transposition de la « directive retour » et de la
directive sur les sanctions contre les employeurs d’immigrants
irréguliers. Il a également mis en avant la coopération policière et la
coopération entre FRONTEX et EUROPOL pour lutter contre les mafias
criminelles derrière les flux d’immigration illégale.
Cependant, pour lui, on ne résoudra le problème de l’immigration
irrégulière qu’avec un dialogue plus régulier avec les pays d’origine,
en s’ouvrant à l’immigration régulière et, en contrepartie, en
demandant aux pays d’origine de lutter contre l’immigration
irrégulière. Il a plaidé pour une méthode globale liant développement
et migration, passant notamment par un partenariat euro-africain : une
politique de visas à entrées multiples, une politique de migration
circulaire, une véritable politique de partenariat. (3)
Interrogé sur les centres de rétention, il a répondu qu’ils étaient
nécessaires mais que la « directive retour » limitait à juste titre la
durée de ces rétentions, point également souligné par Carlos Coehlo.
Jacques Barrot a mentionné les bons résultats de l’aide au retour
volontaire.
Renforcer la
solidarité de l’espace Schengen
Carlos Coelho a plaidé pour un renforcement de l’espace Schengen. Il a
insisté sur la nécessité de ne pas affaiblir Schengen, perçu comme
synonyme d’Europe pour les citoyens et signe que l’Europe n’était pas
qu’économique. Il a rappelé que dans un espace sans frontière interne,
l’immigration devait être gérée en commun, même si le contrôle ultime
des frontières nationales et des entrées régulières restait une
compétence nationale. Pour lui, il ne s’agit pas de changer les règles
de l’espace Schengen, mais de les appliquer de façon plus intelligente
et d’ajouter deux éléments : un Système d’information Schengen 2ème
génération (SIS II) et un vrai système d’évaluation.
Tout d’abord, le Système d’information Schengen (SIS I) est un grand
succès mais il a vieilli et il faut y ajouter de nouvelles
fonctionnalités : les données biométriques, l’interconnexion, des
alertes, l’inclusion du mandat d’arrêt européen etc.… Mais, le SIS II
est en retard depuis 2007 et on ne sait toujours pas s’il sera prêt
pour 2013. Jacques Barrot a cependant rappelé qu’une agence sera mise
en place prochainement pour regrouper le système VIS sur les visas, le
futur SIS II et EURODAC. (4)
Deuxièmement, au lieu de n’évaluer que les pays candidats à Schengen,
comme la Bulgarie et la Roumanie, Carlos Coelho a plaidé pour un vrai
système d’évaluation pour pouvoir dema de rendre compte de ses
manquements au contrôle collectif des frontières. D’abord, il s’agirait
d’identifier le problème et d’aider l’Etat à régler la difficulté. Si
le problème persiste, il faudrait un système de sanction avec la
possibilité à l’ensemble de l’espace de demander à tout Etat membre de
réagir.
4 - Conseil de l’UE, « Proposition de règlement du Parlement européen
et du Conseil portant création d'une agence pour la gestion
opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au
sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice - Accord
avec le PE », 10827/2/11,
8/06/2011http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/11/st10/st10827-re02.fr11.pdf
Schengen de rétablir des contrôles frontaliers à titre exceptionnel
vis-à-vis l’Etat fautif. Il a rappelé une proposition existante de la
Commission pour un système d’évaluation et a suggéré que le Conseil
européen, en évoquant ce sujet, ne voulait sans doute pas quelque chose
de nouveau. S’il n’aime pas beaucoup l’idée dans certains cas de
rétablir des contrôles aux frontières internes, il pense que disposer
de cette possibilité est
devenu nécessaire, en l’encadrant et en espérant qu’elle ne soit pas
utilisée. Sur ce point Jacques Barrot a abondé dans le sens de Carlos
Coelho et souligné qu’il ne faut pas laisser chaque Etat membre seul
juge mais avoir des critères communs et une surveillance par la
Commission.
Carlos Coelho a été également questionné sur l’avis favorable du
Parlement européen à l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie. Il a
souligné que les deux pays respectaient les critères posés et qu’il
n’était pas juste de vouloir rajouter de nouveaux critères comme la
corruption, qui étaient, de plus, difficiles à évaluer. Il a soutenu
que le contrôle sur la Mer Noire était plus efficace que le contrôle
par certains pays de la Mer Méditerranée, notamment la Grèce. Il a
reconnu qu’il était légitime de poser la question d’éventuels problèmes
futurs et a plaidé pour une solution par le haut en faveur d’un bon
système d’évaluation pour tous les Etats membres. Jacques Barrot a
acquiescé sur ce point et a rappelé le système de monitoring existant
sur le système judiciaire et la corruption en Roumanie et en
Bulgarie.
***
En clôture de l’ensemble de ces différents éléments du débat, Philippe
Etienne a fait le point sur les travaux du Conseil dans le domaine JAI
à l’issue d’un Conseil européen qui a consacré une partie importante de
ses travaux à ce domaine, et évoqué les prochaines discussions sous la
présidence polonaise du Conseil. Il a notamment relevé qu’il y avait un
espoir de conclure assez rapidement sur le paquet asile et de tenir
l’objectif de 2012 fixé par le Conseil européen.
Jean-Dominique Giuliani a dressé une synthèse en rappelant que l’Europe
ne souhaite pas s’ériger en forteresse et qu’il y a des règles et
procédures à respecter. Il a aussi appelé à ne pas confondre le
nécessaire combat contre l’immigration irrégulière avec un discours
protectionniste dans le contexte de la crise.
27 juin 2011 /
19 octobre 2013
Retour aux Migrations
Retour aux Migrations
Retour au Sommaire
|