Le riz, moteur de
changement: l’Afrique nourrira l’Afrique
Par Audrey Yank
Avez-vous
mangé du riz cette semaine? Aliment de base pour plus de 3,5 milliards
de personnes autour du globe, le riz est la 3e culture en importance
dans le monde après le maïs et le blé. Un Canadien mange en moyenne 7,1
kg de riz par année, quantité considérable mais modeste malgré tout si
on compare à l’Asiatique moyen qui en consomme plus d’une centaine! Ce
n’est pas surprenant, 90% de la production mondiale du riz provient
d’Asie.
Portons
un autre regard sur le riz et transportons-nous sur le continent
africain. On y mange environ 30 kg de riz par personne annuellement.
Peu de gens se doutent que le riz est une des cultures principales en
Afrique, avec plus de 25 millions de tonnes cultivées par année. Dans
la majorité des cas, ce n’est pas une culture de rizière traditionnelle
comme on se l’imagine, mais plutôt du riz de plateau qui dépend des
pluies pour pousser.
J’étais tout juste au 3e Congrès du riz pour l’Afrique qui a eu lieu à
Yaoundé, capitale grouillante du Cameroun. Il fait chaud et humide, les
cheveux me collent à la nuque. J’achète une brochette de bœuf sur la
rue, grillade dont les locaux raffolent. «Je vous la sers avec du riz,
madame? Un excellent riz importé.»
Voilà justement une situation particulière pour l’Afrique : 60% du riz
consommé est importé. Même si l’Afrique possède la capacité de produire
du riz, les importations provenant d’Asie dépassaient 12 millions de
tonnes en 2012, une lourde balance de paiement, car des sommes
s’élevant aux milliards de dollars sont nécessaires pour importer ce
riz. En découle donc l’objectif que l’Afrique puisse nourrir l’Afrique.
Rêve que plusieurs caressent, politiciens comme petits agriculteurs.
Rêve qui est plus près de se réaliser qu’on le croit.
Ici au Congrès, le but fixé est d’atteindre l’autosuffisance à 90%
(équivalent à une production de 36 millions de tonnes de riz par année)
d’ici 2020. Irréaliste? C’est pourtant la transition qu’a connu le
Vietnam. Au début des années 1980, avant l’inauguration de réformes et
de politiques agricoles, qui aurait cru que le Vietnam était un pays
importateur de riz alors qu’il est maintenant le 2e plus grand
exportateur au monde depuis la fin des années 1990.
Les défis de la production locale
D’abord, les citadins des grandes villes comme Yaoundé ont développé
une préférence pour le riz importé. Les producteurs africains ont de la
difficulté à produire un riz de même qualité. Pour la plupart, toutes
les étapes de culture, de la plantation à la récolte, se font à la main
et à la sueur du front, avec très peu ou pas de machineries agricoles.
Suivent ensuite les étapes post-récoltes (séchage, vannage, étuvage,
décorticage, emballage, entreposage) qui souffrent du manque
d’infrastructures adéquates. Les poules picorent le riz qui sèche au
soleil, les moulins de décorticage brisent les grains plus qu’il ne le
faut, les insectes ou l’humidité s’emparent des récoltes, etc. Il en
découle des pertes de plus de 30% tout au long de la chaîne! C’est déjà
quelques millions de tonnes de riz de plus qui pourraient être
récupérées et mises en marché grâce à des équipements appropriés.
Ensuite, il faut transporter jusqu’aux consommateurs la portion du riz
propre à la vente. Difficile de vendre son riz au marché puisqu’il n’y
a pas toujours de route pour s’y rendre! Faisant face à ces défis, il
demeure ardu de se lancer dans la production grande échelle du riz,
raison pour laquelle la majorité pratiquent une agriculture de
subsistance pour subvenir d’abord aux besoins de la famille. 80% des
producteurs possèdent moins de 1 hectare de terre.
Les changements climatiques n’offrent pas non plus de répit.
L’augmentation de la variabilité des pluies affecte directement les
taux rendements du riz de plateau alors que les sols plus pauvres de la
région sub-sahariens présentent déjà une moyenne à l’hectare en deçà de
la moyenne mondiale (2.2 t/ha comparé à 3.4 t/ha3).
Les opportunités à saisir
Mais ne peignons pas un portrait si noir de la situation. L’Afrique est
en plein foisonnement et le potentiel est énorme. Le riz a la
possibilité de s’ancrer en tant que moteur de changement, comme
plateforme de développement pour relier entre eux les différents
acteurs de la chaîne de valeur, accroître la prospérité du secteur et
atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Par exemple, s’ils s’unissent entre eux, les petits producteurs auront
plus de poids de négociation vis-à-vis les instances politiques tout en
devenant plus résilients et augmentant leur capacité de production. Il
existe des initiatives actuelles de toutes formes: coopératives pour le
partage d’équipements, groupes de micro-finance pour du crédit
agricole, formation de banques de semences améliorées, etc. Aussi
émerge l’idée de l’accès à des assurances, ce qui pourrait conforter et
attirer davantage le secteur privé. En effet, l’espace est favorable
pour l’émergence de petites entreprises dans le secteur de la
transformation et de la commercialisation du riz, permettant ainsi la
création d’emplois tout en libérant le petit producteur du fardeau des
activités post-récoltes.
Justement, la création d’emplois sera une des clefs du succès de
l’Afrique émergente, une Afrique qui pourra se nourrir elle-même.
Présentement, près de 40% de la population du continent a moins de 25
ans, une population équivalente à celle des États-Unis en entier!
Imaginez le potentiel de développement. Le but d’autosuffisance fixé
pour 2020 arrive à grand pas, mais l’avenir nous dira si le berceau de
l’humanité saura renaître à la lueur de cette génération en devenir.
D’ici là, bon appétit !
1er Novembre 2011
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