Grand angle
Innovation : Création d'un plastique biodégradable avec des algues
Par Yann Peucat
Rémy
Lucas, un ingénieur de Saint-Malo, nous a ouvert l'atelier où il
produit un matériau révolutionnaire, l'Algopack, un plastique sans
pétrole et entièrement biodégradable.
A
droite, un bouchon en plastique. A gauche, un autre bouchon, presque
identique. Enterrez-les dans votre jardin et attendez leur
décomposition. Pour le premier, prévoir dix siècles. Pour le second,
une bonne semaine, et l'objet aura disparu. Ce bouchon existe. Fabriqué
à base d'algues brunes, il est né d'un rêve, celui de Rémy Lucas, 40
ans, ingénieur en plasturgie excédé de travailler pour l'une des
industries les plus polluantes du monde.
Pendant dix ans, ce Breton têtu a cherché la formule magique, persuadé
que d'une algue pouvait naître une matière non polluante, biodégradable
et aussi pratique que le bon vieux plastique à base de pétrole.
Visionnaire, l'entrepreneur installé à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)
s'inscrit dans une tendance massive. Les algues deviennent l'une des
ressources majeures du XXIe siècle.
Dans nos assiettes, elles sont appréciées pour leurs qualités
gustatives et nutritives, riches en sels minéraux, protéines et
vitamines, utilisées comme émulsifiant, gélifiant ou épaississant.
On en trouve aussi dans les médicaments, les cosmétiques, la peinture…
et bientôt dans nos moteurs ! Pour développer ce carburant du futur, le
ministère de l'Energie américain a annoncé, le 17 janvier dernier, un
investissement public de 10 millions de dollars tandis qu'en France, le
collectif Green Stars, regroupant une cinquantaine d'industriels, PME
et instituts de recherche, s'est vu doté de 12 millions d'euros sur
trois ans.
Dix ans de recherches
De leur côté, les agriculteurs ont ouvert la voie depuis longtemps,
puisqu'au début du XIXe siècle, les goémonières ramassaient déjà les
algues avant de les répandre dans les champs comme engrais.
« C'était le métier de mes grands-mères », raconte Rémy Lucas. Accroché
au-dessus de son bureau, un tableau représente deux femmes récoltant le
précieux végétal.
« C'est en pensant à elles que j'ai imaginé faire du plastique avec des
algues. L'idée est simple, mais sa réalisation d'une extrême complexité
technologique », confie-t-il. La naissance de ce matériau
révolutionnaire est une aventure humaine.
« Pendant dix ans, j'ai consacré tout mon temps libre à cette quête »,
se souvient-il. Les pieds dans l'eau, à la recherche de l'algue
adaptée, ou dans son garage, aménagé en laboratoire de fortune, il a
une intuition : « L'avenir du plastique est dans les algues. » En 2010,
Rémy Lucas trouve enfin. Il crée la société Algopack et se lance à
plein temps dans son innovation. Dès lors, les investisseurs se
montrent intéressés.
La France en retard en matière de recyclage
41 kg : C'est la quantité de déchets plastiques produits par habitant chaque année en France.
100 000 animaux marins meurent chaque année, emprisonnés dans un sac plastique ou après avoir ingéré un déchet.
80 % : C'est la proportion de déchets non recyclés en France. Un leader
international qui souhaite rester anonyme décide d'accompagner la
start-up en mettant à sa disposition des moyens humains et matériels.
Très vite, une première marque est crée, Algoblend. Il s'agit du
premier matériau rigide au monde composé d'un mélange d'algues et de
plastique. « Ce n'était qu'une étape, commente l'entrepreneur,
l'objectif était de se passer totalement du pétrole car, bientôt, nous
n'en aurons plus. »
Début 2013, Rémy Lucas a gagné. Algopack, le premier plastique 100 %
algues et totalement biodégradable est lancé sur le marché. Mieux, il
apporte des nutriments au sol en se dégradant.
Rémy Lucas n'accepte qu'exceptionnellement les visiteurs dans l'atelier
de production. Derrière les lourdes portes métalliques, deux hautes
machines aux allures de coffre-fort vrombissent.
Une forte odeur de marée flotte dès l'entrée. C'est ici que l'alchimie
se produit. Des algues arrivent dans l'entrepôt et en ressortent sous
forme de micro-billes de matière rigide, conditionnées dans des sacs de
400 kilos. Secret de fabrication oblige, nous n'en saurons pas
davantage. Les lieux sont bardés de systèmes de sécurité « complexes et
multiples », prévient Rémy Lucas. Algopack a été victime d'espionnage
industriel.
« Nous sommes dans un secteur ultra-concurrentiel, aux enjeux
économiques colossaux, justifie-t-il. De grands acteurs de la
pétrochimie travaillent sur les algues et investissent des millions.
Qu'une start-up comme la nôtre prenne autant d'avance, cela aiguise
forcément les appétits. »
Un enjeu industriel
PlasticsEurope, l'association européenne des fabricants de plastique
qui représente des géants comme Total, Exxon ou BASF, relativise la
découverte.
« Ce genre d'innovation n'est intéressante que pour des niches, estime
Michel Loubry, directeur de l'organisation pour l'Europe de l'Ouest. En
2012, nous avons produit 288 millions de tonnes de plastique. Ce n'est
pas avec des algues qu'on pourra arriver à ce résultat. Nous
n'utilisons que 4 % du pétrole consommé chaque année dans le monde. Et
il y en aura toujours assez pour produire du plastique, car les besoins
augmentent. Le dernier Airbus, par exemple, est composé à 50 % de
matière plastique. »
« Faute d'innovation, nous allons à la catastrophe écologique. Quelle
planète voulons-nous laisser à nos enfants ? » répond simplement Rémy
Lucas. Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie, la France ne recycle que 20 % de ses déchets plastiques.A
l'échelle mondiale, on sait depuis 1997 qu'un « continent » de déchets
existe dans le nord-est de l'océan Pacifique. Il s'étend sur 3,4
millions de kilomètres carrés, soit six fois la surface de la France,
et il est composé à 80 % de matière plastique.
Les commandes se multiplient
Le carnet de commandes d'Algopack semble faire écho aux préoccupations
écologiques de Rémy Lucas. En quelques mois, les contrats se sont
multipliés, d'autant que l'Algopack est compétitif.
Le plastique traditionnel se négocie autour de 1 000 euros la tonne,
contre 800 euros pour le plastique à base d'algues. Tablettes tactiles,
jeux de plage, emballages, barquettes alimentaires, ameublement ou
panneaux signalétiques sont ou seront très bientôt fabriqués dans le
matériau breton.
« Notre problème du moment, c'est de répondre à la demande du marché »,
explique l'ingénieur, conscient d'avoir découvert un filon. David
Bouvet, dont l'entreprise Coq en pâte a créé une collection de jouets
distribuée dans les magasins Nature et Découvertes depuis cet hiver,
est emballé : « Nos jeux de plage se sont vendus dans 40 pays et
représentent déjà 15 % de notre chiffre d'affaires. C'est très
prometteur. Sans produit toxique, comme le phtalate et le bisphénol, ce
matériau est écolo, local et facile à utiliser. C'est l'avenir du
plastique.»
« Il faut développer le biodégradable »
Christophe Rupp-Dahlem, président de l'association Chimie du végétal
En quoi consiste la chimie du végétal ?
C'est une chimie dans laquelle la biomasse, c'est-à-dire les plantes ou
les algues, remplace les ressources fossiles, comme le pétrole, le gaz
ou le charbon.
Quelle est l'avenir de cette filière ?
Aujourd'hui, les sociétés de chimie n'utilisent que 10 % de biomasse.
Ce chiffre va doubler d'ici à 2020. Nous devons économiser les
ressources fossiles, réduire les gaz à effet de serre et offrir de
nouveaux débouchés agricoles. Il s'agit enfin de développer des
produits totalement nouveaux.
Quelles sont les applications concrètes ?
L'enjeu est énorme en termes d'industrie, d'emploi et d'écologie, comme
le montre l'exemple des sacs plastique : 90 % des sacs de fruits et
légumes utilisés en France sont fabriqués en Chine. Développer la
filière du biodégradable nous permettrait de créer 4 000 emplois.
L'Italie a choisi cette voie : elle produit 50 tonnes de sacs
biodégradables, la France, deux seulement.
20 Mars 2014
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