La planète a atteint ses limites
Par Stéphane Foucart
Réchauffement
climatique, érosion de la biodiversité, perte de nutriments
agricoles... jusqu’à quel point l’humanité peut-elle modifier son
environnement sans risquer d’importants désagréments ?
C’est
en cherchant à répondre à cette question qu’une équipe de chercheurs
internationaux a forgé, en 2009 dans Nature, la notion de « limite
planétaire ». Leurs travaux, qui font date, identifiaient les
seuils-limite à ne pas franchir pour éviter que « le système-Terre
ne bascule dans un état très différent [de l’actuel], probablement bien
moins favorable au développement des sociétés humaines ».
Vendredi 16 janvier, dans la revue Science, la même équipe publie une
mise à jour de cette étude et identifie quatre limites déjà franchies
ou en cours de dépassement. Ces conclusions seront présentées au Forum
économique mondial qui se tient à Davos (Suisse) du 21 au 24 janvier.
Changement climatique
Selon les chercheurs, les principales limites transgressées sont celles
du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Les deux
autres seuils franchis relèvent de dégâts locaux : l’un tient au
changement rapide d’utilisation des terres, l’autre à la perturbation
des cycles de l’azote et du phosphore – deux éléments essentiels à la
fertilité des sols.
Sur le front du climat, les auteurs estiment que la concentration
atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) ne doit pas dépasser une
valeur située quelque part entre 350 parties par million (ppm) et 450
ppm. La teneur moyenne actuelle est d’environ 400 ppm, soit au beau
milieu de la ligne rouge. « Il y a une marge d’incertitude importante,
dit le climatologue Will Steffen (université nationale australienne,
université de Stockholm), premier auteur de l’étude. Cela signifie
qu’au dessus de 350 ppm il y a une augmentation du risque d’effets
dommageables dans certaines régions, comme ce que l’on peut par exemple
observer avec les canicules et les sécheresses en Australie. Et
au-dessus de 450 ppm, nous pensons avec un bon niveau de confiance que
les impacts toucheront l’ensemble du globe. »
Ainsi, selon Johan Roscström, directeur du Stockholm Resilience Center
de l’université de Stockholm et coauteur de l’étude, l’objectif des
deux degrés de réchauffement, fixé par la communauté internationale
comme limite à ne pas dépasser, « représenterait déjà, même s’il était
atteint, des risques significatifs pour les sociétés humaines partout
sur Terre ».
Erosion de la biodiversité
L’actuelle érosion de la biodiversité est sans appel. Les auteurs
estiment que la diversité du vivant peut s’éroder à un rythme de 10
espèces par an sur un capital d’un million, sans impacts majeurs pour
les société humaines. Cette limite est largement dépassée par le taux
d’érosion actuel, 10 à 100 fois supérieur. « Attention : la
biodiversité ne se réduit pas à une liste d’espèces et d’autres
indicateurs sont également pertinents, commente pour sa part le
biologiste Gilles Boeuf, président du Muséum national d’histoire
naturelle. Ici, les auteurs ont également cherché à estimer le maintien
de l’intégrité des fonctions remplies par la biodiversité, en
raisonnant par exemple au niveau de groupes d’espèces qui remplissent
des fonctions semblables. »
« Par rapport à notre publication de 2009, l’une des avancées est que
nous identifions les limites planétaires sur le climat et la
biodiversité comme fondamentales, explique Will Steffen. Car
transgresser une seule d’entre elles a le potentiel de conduire le
système-Terre dans un nouvel état. »
Changement d’usage des sols
Etroitement lié à la perte de biodiversité, le changement rapide
d’usage des sols est, lui aussi, globalement hors limite. Les
chercheurs estiment ainsi qu’il faudrait conserver 75 % de couvert
forestier dans les zones auparavant forestières ; au niveau mondial, le
taux moyen actuel est estimé à tout juste un peu plus de 60 %.
Cependant, cette moyenne cache de grandes disparités : alors que le
Brésil (pourtant fréquemment cité comme mauvais exemple) demeure dans
la zone de sécurité, l’Afrique équatoriale, et l’Asie du sud sont
largement au delà du seuil de 75 %...
Cette course aux terres arables cache un autre enjeu, souvent méconnu
du grand public et des décideurs. La quatrième limite franchie est,
selon Will Steffen et ses collègues, la perturbation des cycles de
l’azote et du phosphore qui assurent la fertilité des sols agricoles.
Ces perturbations sont principalement causées par l’utilisation
excessive d’engrais et la mauvaise gestion des effluents des
exploitations animales.
Flux de phosphore
« Un des changements majeurs depuis la publication de 2009
concerne la révision des limites planétaires liées aux flux de
phosphore, explique Philippe Hinsinger, chercheur (INRA) au laboratoire
Eco&Sols (Montpellier Supagro, IRD, Cirad, INRA), spécialiste des
cycles biogéochimiques et qui n’a pas participé à l’étude. Le précédent
article tirait déjà la sonnette d’alarme concernant le cycle de
l’azote, en montrant que nous avions déjà dépassé la limite de
l’acceptable mais ils considéraient que dans le cas du phosphore, nous
nous approchions de la limite sans toutefois la dépasser. » C’est
désormais chose faite. En particulier, précise en substance M.
Hinsinger, la prise en compte des flux de phosphore vers les
écosystèmes aquatiques d’eaux douces, via les déjections animales des
grandes zones d’élevage hors-sol, ou l’érosion des terres agricoles
chargées d’engrais phosphatés, fait bondir l’addition.
« Comme le pointent les auteurs, cela devrait nous inciter à
mettre en place une gouvernance planétaire pour évoluer vers une
meilleure utilisation de nos ressources en phosphore, poursuit M.
Hinsinger. D’autant que les phosphates naturels, qui servent à produire
les engrais phosphatés, ont été recensés en 2014 par la Commission
européenne comme faisant partie des 20 matières premières critiques, et
c’est la seule qui concerne directement les questions de sécurité
alimentaire. »
Au chapitre des bonnes nouvelles, l’étude estime qu’en moyenne
mondiale, concernant l’utilisation d’eau douce, l’intégrité de la
couche d’ozone, l’acidification des océans, les indices sont en deçà
des limites calculées par les chercheurs. Quand à la quantité
d’« entités nouvelles » (molécules de synthèse,
nano-particules, etc.) que le système-Terre est capable d’absorber sans
dommage, les chercheurs s’avouent incapables de définir une limite.
Celle-ci existe sans doute, mais nul n’est aujourd’hui capable de dire
si nous l’avons franchie, ou non.
15 Janvier 2015
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