Australie : la Grande Barrière de corail pourrait disparaître
Par Caroline Taïx (Sydney, correspondance)
« La
majorité des coraux de la Grande Barrière pourrait avoir disparu quand
un enfant né aujourd’hui fêtera ses 18 ans. »
Cette
annonce du Centre pour la science du système climatique (ARCCSS), un
organisme financé par le gouvernement australien, vient s’ajouter aux
nouvelles particulièrement alarmantes tombées ces dernières semaines à
propos de la mauvaise santé du joyau du patrimoine australien. Son
déclin était déjà connu, mais les récentes études révèlent qu’il est
plus rapide que prévu et qu’il pourrait encore s’accélérer. « De
grandes parties de la Grande Barrière de corail seront mortes d’ici à
2034 si nous ne réduisons pas les émissions de gaz à effet de
serre », a précisé, le 29 avril, l’ARCCSS.
Si le sort de la Grande Barrière de corail, au nord-est de l’Australie,
au large du Queensland, préoccupe autant les chercheurs, c’est parce
qu’elle constitue le plus grand ensemble corallien du monde, aussi
étendu que l’Italie avec ses 2 300 km de long. La Grande
Barrière, inscrite au Patrimoine de l’humanité, concentre plus de 400
espèces de coraux, plus de 1 500 espèces de poissons.
« Les coraux servent d’habitat pour quantité de créatures. Donc
s’ils meurent, tout l’écosystème est affecté », résume le
chercheur Terry Hughes, du Centre d’étude des récifs coralliens, à
l’université James-Cook en Australie.
Il a été l’un des premiers à annoncer l’étendue des dégâts, en mars, et
depuis, la situation n’a cessé de s’aggraver. « Nous faisons
clairement face au plus grave épisode de blanchissement des
coraux » jamais enregistré, déplore-t-il. « Nous avons
survolé un millier de récifs. Nous les avons étudiés pour voir s’ils
avaient blanchi, et si c’était le cas, dans quelle proportion. »
On sait désormais que 93 % des récifs étudiés présentent des
signes de blanchissement. « 55 % ont gravement
blanchi », la plupart dans la partie nord de la Grande Barrière,
qui était considérée jusqu’ici comme parfaitement préservée, car elle
est à l’écart des activités humaines (agriculture, pêche, ports, etc.).
Ecoulement des engrais
Ce blanchissement est « dû au réchauffement du climat, et cette
année, El Niño a aggravé les choses », explique Terry Hughes. El
Niño est un phénomène climatique qui revient tous les quatre à six ans
et provoque des hausses de température dans le Pacifique équatorial.
Mais jusqu’en 1998, les coraux ne blanchissaient pas, malgré El
Niño, précise-t-il. La température de l’océan autour de la Grande
Barrière de corail a atteint des records cette année. Dans la partie
nord, l’eau à la surface a été entre 1 et 2,7 degrés au-dessus de la
normale, selon le Bureau de la météorologie. Cette hausse de la
température entraîne l’expulsion des petites algues (zooxanthelle) qui
donnent au corail sa couleur et ses nutriments, entraînant alors leur
blanchissement. « Certains regagneront leurs couleurs dans les
mois à venir, quand l’eau refroidira, mais beaucoup, parmi ceux qui ont
gravement blanchi, sont en train de mourir », déplore
M. Hughes.
L’AUSTRALIE FAIT PARTIE DES PAYS LES PLUS POLLUEURS PAR HABITANT, EN PARTIE À CAUSE DE SA DÉPENDANCE AU CHARBON
La Grande Barrière a subi trois grands épisodes de blanchissement
jusqu’ici : en 1998, en 2002 et le plus grave,
actuellement. Or, selon la dernière étude de l’ARCCSS, ils pourraient
se multiplier : « Les températures extrêmes à l’origine de
l’actuel blanchissement pourraient devenir la norme d’ici à vingt ans,
si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. »
L’un des auteurs, Andrew King, ne mâche pas ses mots : « Nous
avons plombé les chances de survie de l’une des plus grandes merveilles
naturelles au monde. » « La probabilité que l’épisode actuel
de blanchissement se produise est 175 fois plus forte dans le monde
actuel que dans un monde où les êtres humains n’émettraient pas de gaz
à effet de serre », explique le chercheur.
La Grande Barrière ne souffre pas seulement du blanchissement. Elle a
déjà perdu la moitié de ses coraux en trente ans, surtout dans le sud
et le centre. L’Australie a cependant évité en juillet un classement de
la Barrière dans le « patrimoine en péril » de l’Unesco. Les
activités agricoles pèsent sur la qualité de l’eau, à cause de
l’écoulement des engrais dans la mer. Cela favorise la multiplication
d’une étoile de mer invasive, l’acanthaster, qui peut tuer les coraux
en quelques heures. Le gouvernement australien a annoncé plusieurs
plans pour améliorer la qualité de l’eau, dont un de 50 millions
de dollars (33,2 millions d’euros) le 26 avril, destiné aux
agriculteurs.
Terry Hughes accuse en revanche le gouvernement d’« ignorer »
le réchauffement climatique, qui est pourtant la première menace pesant
sur la Grande Barrière. L’Australie fait partie des pays les plus
pollueurs par habitant, en partie à cause de sa dépendance au charbon.
Le pays s’est engagé à réduire de 26 % à 28 % ses émissions
de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2005, des objectifs
souvent jugés trop modestes par les scientifiques et les défenseurs de
l’environnement. En outre, Canberra a donné son accord à l’indien Adani
pour exploiter pendant soixante ans une gigantesque mine de charbon
dans l’Etat du Queensland. « C’est un immense échec pour la Grande
Barrière de corail », déplore le scientifique.
NDLR : que faire ? Une conférence de Stanford préconise de stopper la
surpêche qui accroît l'impact du réchauffement climatique, de lutter
contre l'acidification de l'océan, en remplaçant les engrais chimiques
par des techniques agricoles bio ainsi que de passer aux énergies
renouvellables pour limiter la dépendance au charbon et de replanter
des coraux à large échelle. Créer des zones marines protégées a
fonctionné en corse et pourrait, devrait, être transposé dans les pays
les plus touchés...
2 Mai 2016
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