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Les poissons migrent, les tensions montent entre pays pêcheurs
Par LE MONDE | 14.06.2018 à 20h57 • Mis à jour le 15.06.2018 à 10h28 | - Par Martine Valo
D’ici
à la fin du siècle, de nombreux poissons quitteront les eaux
territoriales où ils vivent pour aller frayer vers d’autres horizons.
Sur
terre, le changement climatique perturbe faune et flore. Il en est de
même dans l’océan, qui absorbe l’essentiel du réchauffement d’origine
anthropique. Et les migrations d’espèces qui s’y annoncent risquent de
compliquer encore les relations entre pays pêcheurs et de déclencher de
sérieux conflits. Dans l’Union européenne, par exemple, la répartition
des quotas de pêche pour chaque Etat est calculée en fonction des
droits historiques, selon les tonnages de prises antérieures.
Or, d’ici à la fin du siècle, un grand nombre de poissons quitteront
les eaux territoriales où ils vivent ou fraient aujourd’hui pour
d’autres horizons devenus plus accueillants. On observe déjà des
déplacements de populations de 70 kilomètres par décennie en moyenne,
et ces mouvements devraient s’accélérer.
L’océan reste une source d’approvisionnement en protéines essentiel
pour des millions de personnes dans le monde, il est donc urgent de
s’atteler à mettre en place une gouvernance de ce gigantesque
écosystème qui permettrait de tenir compte des changements futurs.
Telle est l’analyse rédigée par une équipe internationale
d’océanographes et d’écologues des universités Rutgers (Etats-Unis), de
Vancouver (Canada), d’Utrecht (Pays-Bas), de Cardiff (Royaume-Uni), de
Stockholm (Suède), James-Cook (Australie), et publiée, jeudi
14 juin, dans la revue Science.
Les tropiques perdants
Ils ont travaillé sur 892 espèces importantes de poissons et
d’invertébrés exploitées commercialement et ont croisé leurs résultats
avec les données concernant 261 zones économiques exclusives (ZEE). En
prenant pour référence la période 1950-2014, ils notent que, dans le
monde, 23 % à 35 % de ces ZEE sont susceptibles de recevoir
de une à cinq nouvelles populations de poissons, crustacés ou
coquillages ayant traversé les frontières à cause du changement du
climat d’ici à 2090-2100. Les chercheurs estiment que, selon les
scénarios d’émissions de gaz à effet de serre établis par le Groupe
d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), entre 46 et 60 ZEE
devraient abriter de nouveaux « stocks transfrontaliers »
d’ici à 2060 ; entre 57 et 85 d’ici à 2080.
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La
plupart des pays devraient même réaliser entre 1 % et 30 % de leurs
prises parmi cette faune inhabituelle d’ici à 2100. Mais cette future
répartition sera fatalement inégale. Dans l’hémisphère Nord, autour de
la mer Baltique et plus encore de la mer de Béring, jusqu’à douze
espèces pourraient faire leur apparition. Les plus favorisées devraient
être les zones de pêche partagées de l’Antarctique. Les Tropiques, à
l’inverse, devraient voir les poissons quitter leurs eaux chaudes, sans
en accueillir de nouveaux.
Certes, les auteurs disent qu’il s’agit de tendances, pas de
projections précises, mais leur travail illustre l’ampleur des futurs
défis à relever face aux rivalités qui se manifesteront entre pêcheurs.
Ils rappellent, sibyllins, que « par le passé des conflits sévères se
sont déclenchés pour une seule espèce avec des faibles volumes de
prises ».
Guerres commerciales
Ils relatent quelques épisodes de guerre commerciale retentissants,
notamment celui du stock de harengs que se partageaient l’UE et la
Norvège jusqu’à ce que ces poissons pélagiques élisent massivement
domicile dans les eaux des îles Féroé dans les années 2000. L’affaire a
suscité un bras de fer qui a duré sept ans. Autre exemple, celui des
saumons du Pacifique, qui avaient migré du Canada aux Etats-Unis,
entraînant six années de tensions. La Chine, rapporte l’étude, a
récemment refusé de participer à l’arbitrage au sujet des ressources
halieutiques de la mer de Chine méridionale et entretient des rapports
tendus avec ses voisins à ce sujet.
Lorsqu’un stock se trouve à cheval entre deux ZEE, il existe un risque
important qu’il soit doublement surexploité. En principe, la convention
des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 dispose que nul ne
doit épuiser les stocks de poissons, mais les rédacteurs de ce texte
étaient loin de prévoir les changements en cours. Tout, ou presque,
reste à faire.
16 Juin 2018
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