Point de vue
Arrêtons la déforestation, maintenant, par Charles d'Angleterre
La
Journée mondiale de l'environnement doit nous rappeler qu'il ne nous
reste qu'une toute petite fenêtre de tir pour agir et arrêter le
changement climatique aux effets si catastrophiques. L'effrayante
réalité est la suivante : les conséquences du réchauffement de la
planète sont ressenties bien plus rapidement que ne le prédisaient les
scientifiques il n'y a encore que dix-huit mois. La calotte polaire
fond plus vite, la capacité des océans à absorber le dioxyde de carbone
diminue et nos tendances météorologiques deviennent de plus en plus
variables et extrêmes. Cela étant, il nous reste encore une chance pour
mettre un terme aux pires excès du changement climatique, à condition
d'agir maintenant.
Et
l'une des façons les plus efficaces d'y parvenir consiste à cesser de
détruire les forêts tropicales de la planète, cette destruction étant
l'une des causes les plus importantes des émissions de gaz à effet de
serre.
Aujourd'hui,
je lance le site Web du Rainforests Project, mon projet consacré aux
forêts tropicales. Le site présente trois films ainsi que les résultats
des recherches les plus récentes. Ces films, mis en ligne sur le site
du Daily Telegraph et sur www.princesrainforestsproject.org,
montrent des images saisissantes des forêts tropicales, ainsi que des
animations décrivant certaines réalités et conséquences frappantes de
la déforestation. |
Charles d'Angleterre est prince de Galles. |
Pour vous donner une idée, je dirai qu'en un peu moins de temps que je
n'ai vécu jusqu'à ce jour, nous avons perdu la moitié des forêts
tropicales du monde. Chaque année plus de 12 millions d'hectares - soit
la superficie de l'Angleterre - sont détruits ou endommagés. Le message
est sans équivoque : notre monde court le grave danger de perdre son
indispensable système de soutien.
Ces forêts, qui forment
une ceinture équatoriale tout autour du monde, ne renferment pas
seulement une biodiversité connue - et inconnue - la plus riche du
monde et vitale pour le bien-être de l'humanité et sa survie. Elles
sont aussi le lieu de vie de millions d'êtres humains parmi les plus
pauvres et dont l'existence dépend d'elles. Elles jouent aussi un rôle
crucial dans le refroidissement et l'assainissement de l'atmosphère de
notre planète, dans la provision d'eau douce et de pluie.
Au moment où des pénuries alimentaires apparaissent dans le monde et où
la population continue de croître de façon exponentielle, ces pluies
n'ont jamais été aussi essentielles. La forêt amazonienne, à elle
seule, emmagasine le plus grand volume d'eau douce de la planète et
rejette 20 milliards de tonnes de vapeur d'eau dans l'atmosphère en une
seule journée.
Ces forêts stockent en même temps des quantités gigantesques de
carbone, vital pour l'équilibre atmosphérique. Les abattre et les
brûler, c'est rejeter du carbone en masse dans l'atmosphère. C'est
pourquoi mettre fin à la déforestation est l'une des façons les plus
rapides et les plus sûres de ralentir le changement climatique et donc
d'acquérir un espace vital.
Nombreux sont ceux qui fondent tous leurs espoirs sur les nouvelles
technologies. Mais s'il est vrai que la recherche s'intensifie en la
matière, qu'il s'agisse de la capture et du stockage du carbone, des
biocarburants de troisième génération (ceux qui ne se font pas au
détriment des terres agricoles) ou des systèmes à hydrogène, il en va
de même du réchauffement de la planète. Peu importe la vitesse à
laquelle ces technologies sont développées, il y a fort à parier
qu'elles ne seront pas d'un grand recours puisque le temps nous manque.
Or la nature nous a dotés d'un système de stockage du carbone bien plus
efficace et beaucoup moins cher, ce sont les forêts tropicales.
Je suis très encouragé par les travaux de recherche que mon projet rend
publics. Il existe un véritable consensus parmi les pays développés sur
le fait que nous devons arrêter la destruction des forêts tropicales
afin de réduire les niveaux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, si
nous sommes sérieux à ce sujet.
Près de la moitié des personnes interrogées aux Etats-Unis, plus de la
moitié des Britanniques et des Français, et pas moins de 70 % des
Allemands savent que la destruction de la forêt tropicale provoque
chaque année plus d'émissions de gaz à effet de serre que l'ensemble du
secteur des transports à travers le monde. Et lorsqu'on demande aux
citoyens de ces quatre pays ce qui aurait le plus grand potentiel afin
de réduire la vitesse à laquelle surviennent les changements
climatiques, la préservation de la forêt tropicale arrive en deuxième
position juste après l'adoption des énergies renouvelables.
Mais, alors que les enquêtes indiquent que les habitants des pays
développés comprennent à quel point les forêts sont essentielles,
comprenons-nous vraiment que nous sommes tous en grande partie les
responsables du problème ? Ce ne sont pas les nations où se trouvent
ces forêts qui sont à blâmer. Trop souvent, c'est la demande des pays
développés pour l'huile de palme, la viande et le soja qui mène à la
destruction des forêts tropicales et les rend plus rentables mortes que
vivantes.
Dans son rapport révolutionnaire de 2006, Lord Stern désignait la
réduction de la déforestation comme une mesure "relativement rentable
du point de vue économique" pour atténuer le changement climatique.
Ainsi estimait-il qu'il en coûterait entre 10 et 15 milliards de
dollars (6,4 à 9,7 milliards d'euros) chaque année pour diminuer de
moitié la déforestation d'ici à 2030. Même si l'augmentation récente de
la demande de denrées alimentaires a pu modifier cette estimation,
arrêter la déforestation reste l'une des façons les plus économiques et
les plus rapides pour lutter contre le changement climatique.
Mais nous devons arrêter la déforestation, et non la réduire de moitié.
Si le coût était, disons, de 30 milliards de dollars, cela
représenterait un tout petit peu moins de 1 % des quelque 3 500
milliards de dollars que le monde dépense en primes d'assurance chaque
année - assurances souvent consacrées à payer les dégâts occasionnés
par le changement climatique.
Ce qui semble nous manquer toutefois, c'est ce que Martin Luther King
appelait "l'urgence extrême du présent" et c'est pour cela que j'ai
élaboré mon Prince's Rainforests Project, avec le soutien de certaines
des plus grandes entreprises dans le monde et des experts de renom, et
que j'ai travaillé avec des pays du monde entier dont la Coalition for
Rainforest Nations. Lors de la visite d'Etat du président Sarkozy et de
son épouse en Grande-Bretagne, j'ai eu l'occasion de lui présenter mon
projet et je lui suis très reconnaissant du soutien qu'il m'a offert.
L'objectif du projet est de trouver des moyens innovants afin de
rétribuer correctement les pays gardiens des forêts tropicales pour les
services environnementaux qu'ils fournissent, et ainsi de surpasser les
forces qui poussent à la déforestation. Plus prosaïquement, notre but
est de donner aux forêts plus de valeur vivantes que mortes. Il n'est
pas inutile de rappeler à cet égard que les citoyens des pays
développés acceptent de payer leur gaz, leur eau et leur électricité.
Les forêts tropicales sont probablement notre plus grand service
collectif naturel, car elles apportent des bienfaits immenses et
irremplaçables. Le temps est venu de payer pour elles aussi.
Charles d'Angleterre est prince de Galles.
Juin 2008 Abonnez-Vous
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