La chirurgie mini-invasive "made in France" séduit l'Asie
Par Pierre Le Hir
La verte et laborieuse région de Changhua, sur la côte ouest de Taïwan, est réputée pour être le grenier d'une île montagneuse. Désormais, elle sera aussi connue comme tête de pont du développement des nouvelles technologies chirurgicales en Asie. L'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (Ircad) de Strasbourg, référence mondiale dans ce domaine, vient en effet d'y ouvrir un centre ultramoderne de recherche et de formation à la chirurgie mini-invasive.
Cette vocation soudaine, Changhua la doit à un chirurgien taïwanais de 68 ans, Min-Ho Huang, président du Show Chwan Memorial Hospital - un réseau de sept établissements hospitaliers privés totalisant 3 000 lits - et l'une des plus grosses fortunes de l'île. C'est lui qui, moyennant une donation de plusieurs millions d'euros - le montant reste secret - à l'institut privé alsacien, a convaincu le Pr Jacques Marescaux, chef du service de chirurgie digestive et endocrinienne des hôpitaux universitaires de Strasbourg et président de l'Ircad, de créer l'Asia-Ircad et d'en assurer la responsabilité scientifique pendant quinze ans.
"En 2006, raconte Jacques Marescaux, le Pr Huang, que je ne connaissais pas, a demandé à visiter notre institut. Huit jours après, quatorze de ses collaborateurs ont débarqué. Pendant deux semaines, ils ont pris des notes, filmé, photographié, avec l'intention déclarée de faire la même chose à Taïwan, en mieux." Deux ans plus tard, un bâtiment de 7 200 m2, doté de 22 tables opératoires équipées des appareillages chirurgicaux les plus performants et bénéficiant d'un système d'enseignement multimédia, était opérationnel. Coût : 15 millions d'euros. Entretemps, l'équipe taïwanaise a intégralement traduit en chinois le site de formation en ligne WeBSurg de l'Ircad (le premier au monde avec 150 000 consultations par mois) et, pour ne rien laisser au hasard, des cours de français intensifs ont été mis en place pour les employés.
La rapidité avec laquelle s'est concrétisé le projet dit assez l'ambition de ses promoteurs. Et livre l'une des clés de la réussite des nouvelles économies asiatiques : leur capacité à s'approprier un concept et à le valoriser, en y intégrant leurs savoir-faire et leurs cultures propres. A Changhua, le nouvel institut, conçu selon les meilleures normes occidentales, s'insère dans un environnement hospitalier où, souligne le Pr Huang, la médecine chinoise traditionnelle, visant à maintenir en bonne santé plutôt qu'à guérir, continue d'occuper une place majeure.
Au lendemain de l'inauguration a commencé la première session de formation, théorique et pratique - des porcs servant de cobayes - à la chirurgie mini-invasive. Celle-ci, dite aussi laparoscopique, consiste à ne pratiquer que de petites incisions dans le corps des patients, opérés à l'aide de minuscules instruments placés au bout de fines canules, sous le contrôle d'une caméra miniaturisée. Ou même, dans sa version appelée "transluminale", à emprunter les voies naturelles (estomac, vagin, urètre, rectum), sans aucune incision ni cicatrice.
Le marché est immense. C'est celui du continent asiatique, plus spécifiquement de la Chine, où l'on compte - même en exceptant les "barbiers" de village - près de 2 millions de chirurgiens qui, pense le Pr Huang, "devront être formés aux nouvelles techniques chirurgicales dans les années à venir". Les limites viennent aujourd'hui des relations conflictuelles entre la République populaire de Chine et Taïwan. Mais leur normalisation espérée devrait changer la donne. L'Asia-Ircad envisage de former chaque année 4 000 chirurgiens à Changhua et prévoit déjà d'ouvrir un nouveau centre en Chine continentale, probablement à Shanghaï.
A l'enseignement va s'ajouter, fin 2008, une activité de recherche avec, au départ, une trentaine d'informaticiens, roboticiens et spécialistes de l'imagerie médicale, qui coopéreront avec la soixantaine d'ingénieurs de l'institut strasbourgeois.
Les programmes de recherche communs porteront notamment sur la "réalité augmentée", qui permet au chirurgien d'associer, à l'image réelle de l'organe opéré, sa reconstitution virtuelle en trois dimensions, avec une meilleure visibilité des veines, artères, masses graisseuses ou tumeurs éventuelles. Une technique qui, prédit le professeur Marescaux, rendra possibles dans quelques années des interventions entièrement automatisées, le chirurgien étant remplacé par un robot exécutant un programme simulé à l'avance sur l'organe virtuel, avec une précision et une sûreté accrues.
Pour l'Ircad, Taïwan est une première étape. Deux nouveaux centres ouvriront, en 2009 à Buenos Aires et en 2010 à Dubaï. Une success story dont la recherche française n'est pas si coutumière.
Juin 2008
Retour
aux Pandemies
Retour
au Sommaire
|