La santé en Afrique :
pourquoi la France et l’Europe devraient être plus engagées
Par Dominique Kerouedan
L’Afrique
est le continent où la situation sanitaire et sociale est la plus
préoccupante et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le
Développement la plus lente. L’accès à l’aide mondiale en faveur de la
santé est complexe du fait de sa mobilisation au travers de nouveaux
mécanismes de financement : les partenariats publics privés mondiaux ou
les financements dits innovants. Notre propos est de montrer en quoi
l’efficacité de cette aide, de plus en plus volumineuse, passe par une
répartition plus équitable entre les pays d’un même continent, ou entre
malades présentant des pathologies différentes, des ressources
financières et de l’expertise technique, ainsi que par une allocation
plus rationnelle des financements qui serait davantage fondée sur des
critères plus objectifs tels que les données épidémiologiques,
l’efficience des interventions choisies, les données de population,
etc. Nous pensons que l’insécurité alimentaire y compris dans les
villes, les inégalités d’accès aux financements mondiaux de l’aide en
santé, combinées à la croissance démographique sans précédent en
Afrique, et aux retentissements de la crise économique et financière
mondiale, mettent en péril la stabilité politique de l’Afrique
francophone. Pour éviter que la situation ne se détériore davantage, la
France et l’Europe, qui ont une responsabilité historique à l’égard de
cette région du monde, doivent veiller à ce que les ressources humaines
et financières, allouées aux initiatives mondiales, aux dépens de
l’aide bilatérale, bénéficient aussi aux personnes les plus démunies
d’Afrique francophone.
Le
rôle de la France en faveur de la santé en Afrique s’inscrit dans le
prolongement de l’histoire coloniale du Service de santé des armées et
du dispositif bilatéral du Ministère de la Coopération aux lendemains
des indépendances jusqu’à la fin des années 1990. Construction et
équipement d’hôpitaux et de dispensaires, formation des personnels de
santé, lutte contre les grandes endémies, envoi de médecins et
assistants techniques français de toutes spécialités, projets de
recherche clinique et en sciences sociales, sont autant d’activités
très attendues et appréciées des populations et des autorités
sanitaires des Etats d’Afrique francophone tout au long de cette
période. En y envoyant ses femmes et ses hommes, aguerris de la
pratique de la médecine tropicale ou administrateurs de la santé, la
France cultive pendant quatre décennies la collaboration
institutionnelle mutuelle indispensable au renforcement des capacités
nationales du secteur public comme de la société civile. Depuis le
début des années 2000, la réforme du dispositif français de la
Coopération s’accompagne du recul très net de l’aide bilatérale, y
compris de l’assistance technique, et du basculement des financements
du gouvernement au bénéfice d’initiatives mondiales dont les programmes
sont pilotés à distance, souvent depuis Genève.
En discutant à Okinawa en 2000, l’année de la Déclaration du
Millénaire, et en le confirmant l’année suivante à Gênes, sous
l’impulsion du Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan,
l’Africain, les dirigeants du G8 répondent présents sur l’agenda des
pandémies qui tuent six millions de personnes par an à elles
trois : le G8 décide de créer un Fonds Mondial en faveur de la
lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La même année, la
Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies déclare le
sida question de sécurité internationale, pendant que les chefs d’Etats
de l’Organisation de l’Union Africaine réunis à Abuja, toujours en
2001, s’engagent à consacrer au secteur de la santé 15% des budgets
publics et signent la Déclaration d’Abuja.
Dix ans plus tard, il est plus que jamais capital de relever les
défis : la population du continent va doubler d’ici à 2050 et les
questions de sécurité alimentaire ne sont pas isolées. L’Afrique à
l’échelle mondiale, c’est 25% de la charge de morbidité, 3% des
personnels de santé et 1% des ressources économiques. Plusieurs
rapports annoncent une croissance africaine forte d’ici à 2015. Certes,
mais l’Afrique reste au ban de la mondialisation et les Objectifs du
Millénaire pour le Développement ne seront pas atteints ici. Par
ailleurs qui bénéficie de cette croissance? Comment prévenir les très
fortes inégalités qui l’accompagnent et saisir plutôt l’opportunité de
créer un socle de protection sociale comme l’a recommandé la Commission
Bachelet au sommet du G20 de Cannes en novembre 2011 ?
La situation sanitaire du continent se résume comme suit : près de
70% des malades atteints de sida dans le monde, plus de 90% des
orphelins de sida, et, plus important en termes de dynamique de
propagation pandémique, c’est sur ce continent que se produisent 70%
des nouvelles infections à VIH. L’incidence de la tuberculose continue
d’augmenter à l’échelle mondiale, du fait de l’augmentation du nombre
de nouveaux cas en Afrique. C’est encore ici que se produisent plus de
80% des cas de paludisme du monde, et que le paludisme tue le plus
grand nombre d’enfants et de femmes enceintes. L’Afrique c’est aussi
50% des morts maternelles et infantiles : la mortalité des femmes
enceintes ou qui accouchent bât les records, la mortalité par
avortement y est la plus élevée. Ce n’est pas tout. Les maladies
respiratoires et cardiovasculaires, le diabète, le cancer mettent au
défi les autorités et les populations, pour la très grande majorité
dépourvues de couverture du risque maladie, de minimiser les dépenses
de santé au fur et à mesure que l’urbanisation s’accompagne de
l’adoption de comportements à risques (sédentarité, tabagisme,
alcoolisme, etc.). La pénurie des personnels soignants y est plus aiguë
que partout ailleurs, puisque selon l’OMS, sur les 4 millions de
personnels de santé manquants à l’échelle mondiale, il en manque 1
million sur le seul continent africain.
Croissance démographique sans précédent, insécurité alimentaire,
mortalités maternelle et infantile les plus élevées, maladies
infectieuses, maladies chroniques, santé mentale, accidents de la voie
publique, ni assurance maladie ni protection sociale pour la plupart,
pénurie de personnels de santé, effets de la crise économique et
financière mondiale : comment répondre à des enjeux aussi
complexes qu’intriqués aux effets dévastateurs sur le bien-être et le
développement économique et social du continent?
Les réponses nationales, française et européenne, actuelles ou en
préparation, sont modestes : seuls six Etats des 53 du continent
ont atteint l’objectif d’Abuja dix après la conférence. A l’aide
bilatérale classique, la France privilégie depuis plusieurs années le
financement de partenariats public-privé mondiaux et le développement
de financements innovants, autant de mécanismes pilotés à distance du
terrain, ce qui appelle un certain nombre de précautions discutées plus
loin. Comme le déplore la Cour des Comptes européenne en 2009, la part
que le Fonds européen de développement consacre au secteur de la santé
décroît tout au long de la décennie 2000-2010. C’est environ 3% du
10ème FED qui bénéficie au secteur de la santé des Etats d’Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique sous l’Accord de Cotonou, ceux-là même
(l’Afrique) qui enregistrent les progrès les plus lents en vue de la
réalisation des OMD de la santé. La Commission européenne n’a pas
démontré que l’aide budgétaire globale, instrument de financement du
développement privilégié tout au long de la décennie, contribue à
améliorer la performance du secteur de la santé des Etats ACP, ou
parvient même à renforcer les systèmes de santé, même lorsque les
mécanismes de décaissement sont incitatifs. C’est le Royaume Uni qui
traduit en financements, en opérations et en expertises équilibrées
bilatérales et multilatérales, une volonté politique forte en faveur du
développement sanitaire…des pays d’Afrique anglophone.
A l’échelle mondiale les volumes de financements en faveur de la santé
ont certes augmenté en valeur absolue ces dernières années, du fait de
la contribution spectaculaire des Etats-Unis, au travers de la
Fondation Bill et Melinda Gates et du Programme PEPFAR (US President
Emergency Programme for AIDS Relief), qui visent à financer
respectivement l’achat de vaccins et des programmes de prise en charge
du sida (peu la prévention). Dix ans après sa création, le Fonds
mondial a engagé près de 22 milliards de dollars, au travers de 600
subventions dans 150 pays. Si l’on regroupe les dons de la Commission
européenne et des Etats membres, l’Union européenne est le plus gros
donateur au Fonds Mondial. En lui donnant 360 millions d’euros par an,
la France figure dans le peloton de tête des bailleurs à ce Fonds. Au
G8 de Muskoka en 2010, alors que le Secrétaire général des Nations
unies Ban Ki Moon lance la Stratégie mondiale pour la santé de la femme
et de l’enfant, la France annonce une contribution de 500 millions
d’euros sur les cinq prochaines années.
Pour faire face aux défis décrits plus haut, et aux besoins croissants
de demain, dans un contexte de crise financière mondiale, où l’aide va
diminuer, « less money, more needs », il est plus que jamais
impératif de garantir l’efficacité et l’impact de ces financements.
Au-delà des apparences, un certain nombre de questions se posent :
La santé n’est
pas une priorité des politiques de développement
Détrompez-vous, la santé n’est pas une priorité, ni des Etats en
Afrique ni des institutions de coopération au développement. Une
quarantaine de gouvernements du continent dépensent moins de 40 dollars
per capita sur la santé, pendant que Jeffrey Sachs, président de la
Commission Macroéconomie et Santé sous l’égide de l’OMS, propose dès
2002 un seuil de 40 à 50 dollars de dépenses de santé per capita pour
garantir une offre minimale de soins de santé. Du côté de la communauté
internationale, le traitement des malades atteints de sida a retenu
l’attention des bailleurs, de même que la vaccination des enfants, même
si tous les patients et les enfants éligibles n’en bénéficient pas,
faut-il le rappeler ? Pendant ce temps les systèmes de santé, dont
l’approvisionnement et la distribution des médicaments, la formation et
la gestion des carrières des soignants, les systèmes d’information
sanitaire ou d’alerte épidémique, etc. n’ont pas bénéficié de la même
attention, générant des déséquilibres maladies-systèmes, et générant
surtout, ce qui est moins discuté, une iniquité entre les malades qui
est tout à fait préoccupante du point de vue éthique et déontologique:
par les temps qui courent, mieux vaut être atteint de sida ou de
tuberculose que de méningite ou de fièvre typhoïde; ne parlons pas de
cancer.
De façon plus générale, en dehors des risques épidémiques, considérés
comme les vraies menaces, la santé n’intéresse pas les responsables
politiques : invités à une « concentration sectorielle »
lors de la programmation des conventions de coopération avec leurs
partenaires sur le continent, les ambassadeurs de France et de l’Union
européenne, pour la plupart, ne choisissent pas le secteur de la santé.
Perçu comme opaque, il y est difficile de montrer des résultats, les
médecins ne sont pas des personnalités faciles avec qui travailler,
l’absorption des ressources y est lente, les capacités managériales
sont faibles, etc. la demande des ministres des finances sur place
n’est guère plus motivée.
La volonté politique se mesure à l’aune de l’expertise formée et
mobilisée, pas seulement en termes financiers. L’argent sans expertise
(nationale ou internationale) ne porte en soi aucun potentiel
d’efficacité. C’est particulièrement vrai en santé où les résultats et
la qualité des interventions vont de pair. Or dans les années 2000, le
gouvernement français et la Commission européenne ont choisi de ne plus
recruter directement l’expertise technique en faveur de ce secteur du
développement, et de réduire considérablement les budgets alloués à
l’expertise en général. Que ce soit dans les représentations de leurs
institutions respectives sur le terrain, auprès des autorités
sanitaires du pays aux niveaux national, régional ou départemental, ou
encore auprès des décideurs des grandes instances internationales,
l’expertise française en santé et développement est quasi absente. Elle
est devenue rare et sa compétence inadaptée aux évolutions
considérables de l’architecture de l’aide internationale de ces dix
dernières années. Où l’expertise française et européenne sont-elles
formées? Qui prépare les jeunes à contribuer au développement sanitaire
des pays du Sud dans un avenir proche et sur le long terme? Du point de
vue français, le champ de l’« international » ne se
résume-t-il pas tout au plus à ce qui se passe dans l’hémisphère Nord?
Le champ du développement intéresse-t-il les Français, les européens à
la hauteur des enjeux? Au pays de Descartes, Montesquieu et de
Montaigne, où réfléchissons-nous sur les plus grands défis mondiaux
contemporains et à venir, tels les « think tanks »
anglosaxons?
L’intérêt de l’opinion peut être suscité et la volonté politique se
construire dans le temps. Elles passent par l’éducation par les
parents, par des enseignements ou des conférences dès le plus jeune âge
à l’école, autant que par la sensibilisation et la formation des futurs
responsables politiques (grandes écoles, universités, Ecole Nationale
d’Administration) ici et ailleurs. Elle s’inscrit dans un projet de
société qui prépare à l’ouverture au monde. Se départir du spectre de
la Françafrique, distinguer les fondements et les objectifs des
politiques de développement et de migration, réduire la distance et la
déconnexion, encourager la rencontre de proximité entre nos peuples,
provoquer des échanges mutuels sur les réalités et le vécu, mettre les
jeunes au travail et financer le voyage solidaire, de part et d’autre,
donner la parole à la société civile d’Afrique, serait certainement
plus efficace à bâtir des sociétés qui apprennent à se connaître, se
soutenir et s’intégrer. Que faisons-nous dans cet esprit? Nos élus se
saisissent-ils de ces problématiques, de ces questions de société? La
volonté politique se nourrit de ce que veulent les peuples. Les jeunes
sont prêts, aucun dispositif ne favorise la mobilisation de leur
curiosité, de leurs énergies et de leurs compétences au service d’un
partenariat avec leurs pairs en Afrique. Les barrières douanières sur
les marchandises sont plus faciles à enlever que tout ce qui fait
obstacle à la circulation des personnes entre nos pays, que ce soit du
sud au nord (visa) ou du nord au sud (pas de dispositif institutionnel
ni de financement). Il en résulte une méconnaissance du terrain qui ne
peut que nuire à ce qui inspire les politiques du développement, tant
en France qu’à la Commission européenne qui prépare sa politique de
développement 2014-2020.
Le recours aux
financements innovants : est-ce pertinent?
Depuis la Déclaration du Millénaire, sous la pression de réaliser les
OMD d’un côté, et de l’incapacité des Etats de l’OCDE à tenir leurs
engagements relatifs à augmenter l’APD de l’autre, des mécanismes
innovants de financement du développement ont été imaginés. Leur
efficacité est compromise, non pas tant par les détournements de fonds,
somme toute modestes, que par le manque de vision stratégique,
nationale ou internationale, sur le comment utiliser au mieux ces
financements, question que se posent les autorités politiques et
administratives sur le terrain. Il est plus facile de commenter des
faits de corruption ponctuels que de s’interroger sur la pertinence et
l’efficience de l’utilisation des ressources dans leur ensemble. Le
risque de détournement de fonds est inhérent au champ du développement
pour toute une série de raisons nous dit Paul Collier, notamment parce
que coopérer implique par nature une confiance réciproque
ajouterais-je. La corruption n’est pas tolérable pour autant, mais il
ne peut y avoir de risque zéro dans ce domaine. Et surtout ce débat ne
doit pas masquer des sujets beaucoup plus importants en termes
d’efficacité et d’impact attendu dans le long terme. Pour ne citer que
cet exemple, n’y a-t-il pas un devoir moral tout aussi pressant de
s’intéresser à l’efficacité stratégique et à l’impact de 22 milliards
de dollars mobilisés par le Fonds Mondial, qu’à dénoncer l’utilisation
détournée de quelques millions de dollars dans une poignée de pays? A
mettre l’institution Fonds Mondial sous une telle pression, ce sont les
pays récipiendaires qui reçoivent la pression. Par là, nous contribuons
à accroître davantage la vision managériale du développement, tout en
continuant à ne pas susciter une réflexion stratégique fondée sur la
recherche et les dynamiques locales, nous amenant à sélectionner des
interventions efficaces, à parvenir au résultat « zéro infection
VIH », « zéro tuberculeux », « zéro mort par
paludisme ». L’Onusida nous informe que pour 2 personnes mises
sous antirétroviraux, 5 nouvelles infections à VIH se produisent:
trente ans après le début de la pandémie de sida, nous restons
dépassés. Reconnaissons-le et réfléchissons à ce qui pourrait être
mieux fait à l’avenir.
En dehors des achats (de médicaments, de vaccins, d’infrastructures,
d’équipements, d’expertise) comment s’assure-t-on de l’efficacité des
interventions financées en faveur de la santé? La prévention du sida
est un bon exemple à étudier, comme le sont toutes les interventions
qui visent au changement de comportement pour une meilleure santé. La
complexité de la question est universelle. Dans un paysage de plus en
plus dominé par les maladies chroniques, la question du changement de
comportements et de tout ce qui va les formater est cruciale. C’est
sans doute le domaine le plus ingrat de la santé publique, et le moins
documenté : qu’avons-nous appris de trente ans d’échec de la
prévention de la transmission sexuelle du sida en Afrique? Que
retenons-nous de toutes ces années d’éducation pour la santé des femmes
et des enfants? Que le déterminant le plus puissant de la santé des
enfants est le niveau d’instruction des mères. Qu’avons-nous appris en
Europe des campagnes anti-tabac? Que faisons-nous de la banalisation
par les jeunes de comportements qui les mènent tout droit à l’addiction
à l’alcool? Qu’est ce qui marche dans ces domaines? Comment les
milliers d’expériences latino-américaines circulent-elles en Asie et en
Afrique? Et surtout comment tout ceci est-il transmis, synthétisé,
utilisé par les responsables politiques?
La pratique de l’évaluation s’est considérablement développée au cours
de la décennie. En soi l’évaluation a deux fonctions: rendre compte de
l’utilisation de fonds (publics le plus souvent) et tirer des leçons de
l’expérience. Les politiques et les opérations des aides française et
européenne en santé ont fait l’objet de nombreuses études et
évaluations. Pour quelle utilisation par les responsables politiques
autant que par les administrateurs ou même les professionnels? En
France c’est à se demander si le gouvernement ne commandite pas une
étude ou un rapport pour mieux évacuer le sujet. Le turn-over des
responsables politiques n’aide pas : les leaders ne s’intéressent
pas aux sujets de leurs prédécesseurs, auxquels ils continuent pourtant
d’être confrontés.
Le manque de capitalisation des savoirs et des acquis, et le manque de
valorisation des expériences, participent de la perte de mémoire
institutionnelle et professionnelle: les jeunes prennent la relève
là où nous avons commencé. Ici réside sans aucun doute, aux côtés de
l’absence de volonté politique et de la carence d’expertise, une des
clés de la compréhension de l’inefficacité, voire de l’échec dénoncé
des politiques de développement. D’une approche financière du
développement, passons à une approche stratégique pertinente et
efficiente, qui devrait s’imposer dans un contexte de crise et de
compétition accrue de secteurs candidats aux financements mondiaux.
Pour évaluer ces mécanismes innovants, ne confondons pas la performance
et l’efficacité : des opérateurs peuvent être très performants à
mettre en œuvre des stratégies inefficaces, au sens où malgré tout ce
qui aura été fait et produit, elles n’auront qu’un impact limité sur la
morbidité et la mortalité et sur le bien-être des populations.
L’équité d’accès
des populations africaines aux financements des initiatives mondiales
en faveur de la santé
Non seulement les promesses faites par le G8 réuni à Gleneagles en
2005, de doubler l’aide à l’Afrique, n’ont pas été tenues, mais l’APD a
augmenté depuis partout sauf en faveur de l’Afrique. Dans le domaine de
la santé, où va tout cet argent mobilisé à l’échelle mondiale dont les
montants ont été multipliés par 4 entre 1990 et 2007? Une étude de
l’Institute for Health Metrics and Evaluation basé à Seattle1, rejoint
des observations antérieures en montrant, sans surprise, que la
répartition de l’aide au développement en faveur de la santé est loin
de répondre à des critères objectifs tels que les données
épidémiologiques, les données de population, de charge de maladie, ou
de coût-efficacité des interventions financées. Il va de soi que les
priorités de l’aide des pays riches suivent davantage des critères de
nature politique, géopolitique, économique ou de sécurité, parfois même
pas. Nous en déduisons qu’elle serait, par nature, inéquitable. Est-ce
acceptable? Est-ce efficace du point de vue de la prévention et de la
prise en charge des risques sanitaires à l’échelle mondiale? Peut-on se
permettre en Afrique le luxe d’une aide au développement qui ne soit
pas fondée?
Des analyses existantes sur la répartition de l’aide publique au
développement, il semble que les secteurs de la santé des pays
d’Afrique francophone, notamment les plus pauvres, ceux du Sahel,
n’aient pas, tout au long de ces dix dernières années, bénéficié de
manière égale et équitable, des financements du Fonds européen de
développement et de ceux du Fonds Mondial, financés très largement par
la France sur les deniers des contribuables, et pourtant destinés, par
mandat, aux plus démunis. Cette hypothèse mérite d’être étudiée plus
avant si les résultats en termes sanitaires dépendent pour partie de
l’efficacité et des volumes de financements alloués, comme nous
l’observons dans plusieurs pays d’Afrique de l’est et australe, où le
Royaume Uni, les Etats Unis, les fondations américaines privées,
additionnent leurs aides massives en faveur du secteur de la santé, en
même temps que ces institutions envoient sur le terrain de nombreux
experts, avec pour effet des indicateurs de santé qui s’améliorent.
Il serait important de mener une étude dans les pays du Sahel en
particulier, où les aides bilatérales française, allemande et
européenne se sont progressivement retirées au cours de ces dix
dernières années, sans que les Etats ou des financements alternatifs ne
s’y soient substitués en faveur du renforcement des systèmes de santé.
La question est d’autant plus cruciale que l’insécurité risque
d’aggraver davantage l’iniquité.
De façon tout aussi préoccupante, l’iniquité concerne l’accès aux
savoirs, pour deux raisons : d’une part les échanges de
connaissances sont facilités à l’échelle globale (entre Bruxelles,
Genève et Washington par exemple). Il est beaucoup plus difficile de
trouver des financements pour financer des formations, des colloques ou
des rencontres scientifiques Sud-Sud ou Nord-Sud. A quoi cela mène-t-il
de discuter, souvent sans eux, des problématiques des acteurs du Sud,
entre nous à l’échelle globale, ce qui se produit de plus en plus
souvent entre personnes qui ne connaissent ni le secteur ni la zone
géographique dont ils parlent? D’autre part, les informations, les
directives, les connaissances, les débats en ligne, les cours en ligne,
des rapports d’évaluation, sont diffusés, pour la très grande majorité,
exclusivement en anglais. Si nous anglophones, avec quelques-uns dans
les capitales africaines de l’ouest et centrale, sommes enrichis de ces
lectures et de ces échanges réciproques entre la communauté
scientifique et les acteurs de terrain, pourquoi en privons-nous une
grande part de l’humanité, celle-là même la plus démunie la plus
dépourvue, pour qui connaître et savoir aiderait à maîtriser son destin?
Il serait très important de se demander dans quelle mesure ce que nous
pourrions qualifier de désintérêt de la communauté internationale en
faveur du secteur de la santé de l’Afrique francophone, pourrait, outre
l’insécurité alimentaire, être un des facteurs de l’instabilité
politique croissante de cette région, tant le retentissement sur le
développement économique d’une situation sanitaire et sociale, à la
fois désastreuse et injuste, est plausible, même s’il reste à
objectiver et à être mesuré.
Une aide sanitaire efficace doit être tout à la fois stratégique,
technique, qualitative et financière. Equitable aussi. Il nous semble
qu’il relève de la responsabilité des autorités françaises, de
s’assurer que les financements qu’elles choisissent désormais de
privilégier, contribuent véritablement à faire reculer les pandémies
autant qu’à renforcer les systèmes de santé, à faire circuler les
savoirs et à former des experts nationaux et internationaux, à
développer des capacités et de l’expertise nationales, et contribuent
in fine à améliorer la couverture sanitaire, les indicateurs, l’état de
santé et de bien-être, autant de facteurs de prévention des conflits et
de stabilité.
Comme l’écrit Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, « Je
doute que l’opinion publique ait un jour le pouvoir de changer la
marche du monde. Mais je soutiens qu’il ne saurait y avoir d’économie
dynamique et de société stable sans un accès équitable aux soins et une
plus grande justice en matière de résultats sanitaires. J’irai même
plus loin : c’est à l’aune de ces résultats sanitaires que nos
progrès, en tant que société civilisée, doivent être mesurés.
Aujourd’hui, des millions de personnes continuent à mourir faute de
pouvoir se procurer les médicaments, les vaccins et les autres
interventions de santé publique dont elles ont besoin. Les raisons de
cet échec ne sont pas médicales.
Les véritables
causes sont d’ordre économique, social et politique »
Le sujet nous semble mériter un peu d’attention. Comme nous le rappelle
Paul Collier3, l’aide au développement ne peut agir de manière isolée.
Commerce et gouvernance sont tout aussi essentiels. L’Afrique n’est pas
un continent comme les autres au Sud. Ce qui se déroule en Afrique
francophone, en termes sanitaire, social et démographique, interpelle
les valeurs de la France, de l’Europe et du monde entier. La paix en
dépend.
30 Septembre 2012
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