Le « ZMapp », un traitement contre Ebola expérimenté sur deux Américains infectés
Par Le Monde.fr
S'il n'existe
pour l'heure aucun traitement ni vaccin validé contre le virus Ebola,
de nombreux protocoles expérimentaux sont testés par les scientifiques
du monde entier pour lutter contre cette fièvre hémorragique
mortelle, qui a fait 887 victimes en Afrique de l'Ouest.
C'est
l'un de ces traitements expérimentaux qui a été administré aux deux
Américains, Kent Brantly et Nancy Writebol, contaminés par le virus
Ebola lors d'une mission humanitaire au Liberia.
▪ Un produit jamais testé sur l'homme
Kent Brantly et Nancy Writebol, un médecin bénévole et une
coordinatrice du personnel, travaillaient tous deux pour l'organisation
caritative chrétienne Samaritan's Purse lorsqu'ils ont contracté la
maladie. L'ONG a confirmé que les deux bénévoles avaient reçu un
traitement expérimental.
Ce dernier n'avait jamais été testé chez des humains pour évaluer sa
sécurité d’emploi, mais seulement sur des singes. Les deux malades,
informés du caractère expérimental du traitement, auraient accepté de
prendre ce risque, selon des sources familiales.
▪ Un sérum obtenu à partir d'animaux exposés au virus Ebola
Selon CNN, trois fioles d'un sérum mis au point par la société de
biotechnologie Mapp Biopharmaceutical, sise en Californie, ont été
envoyées jeudi par avion au Liberia sur proposition d'un responsable
des autorités sanitaires américaines.
Ce produit est le fruit d’un programme financé par le gouvernement et
l’armée américains, en collaboration avec les autorités sanitaires
canadiennes. Il a été identifié comme traitement potentiel en janvier.
Baptisé « ZMapp », c'est un cocktail d'anticorps monoclonaux,
c'est-à-dire de molécules dirigées spécifiquement contre une autre
molécule et permettant sa destruction par le système immunitaire.
En l'occurrence, le ZMapp est obtenu en laboratoire avec des animaux
exposés à des particules du virus Ebola qui produisent des anticorps
prenant donc précisément pour cible le virus.
▪ Un effet protecteur vis-à-vis du virus Ebola
Menées pendant une décennie, les recherches des virologues de l'United
States Army Medical Research Institute of Infectious Diseases (Institut
de recherche sur les maladies infectieuses de l'armée des Etats-Unis,
situé à Fort Detrick, dans le Maryland) avaient abouti en 2012 à la
publication sur le site des Comptes-rendus de l'Académie nationale de
sciences américaine (PNAS) de résultats sur l'effet protecteur
vis-à-vis du virus Ebola d'un cocktail d'anticorps monoclonaux chez
huit singes.
Jusque-là, les scientifiques pensaient qu'il n'y avait pas d'anticorps
efficaces contre le virus. Désigné à l'époque sous le nom de code
« MB-003 », le cocktail avait efficacement protégé la
totalité des primates auxquels il avait été administré une heure après
l'infection. Le taux de protection était encore de deux tiers des
animaux lorsque le MB-003 leur était injecté dans les quarante-huit
heures suivant l'infection intraveineuse.
Une étude ultérieure publiée en 2013 dans Science Translational
Medicine confirmait ces résultats et montrait que 43 % des
primates étaient encore protégés par une injection du MB-003 dans les
104 à 120 heures suivant le contact avec le virus Ebola.
Lire aussi : L'épidémie d'Ebola en Afrique expliquée en 5 questions
▪ De très faibles stocks
Pour l'instant, Mapp Biopharmaceutical indique disposer de très petites
quantités de ZMapp, qui n'a pas encore fait l'objet d'une autorisation
de mise sur le marché – faute d'essais conduits sur l'homme – par les
autorités sanitaires américaines. Elle entend déployer des efforts pour
en accélérer la production.
▪ Des résultats encourageants
Plus jeune que sa consœur, Kent Brantly avait initialement demandé
à ce que Nancy Writebol soit injectée avant, se pensant plus à même de
résister malgré neuf jours d'infection.
Mais l'état du médecin a brutalement empiré, notamment au niveau
respiratoire, et c'est bien lui qui a reçu en premier le traitement par
intraveineuse. En l'espace d'une heure, son état s'améliorait
considérablement, rapporte CNN . « Le lendemain matin, il était capable
de prendre une douche seul avant d'embarquer dans l'avion spécialement
affrété pour le ramener à Atlanta », où il est arrivé dimanche.
Dans l'unité spécialisée en maladies infectieuses où il est soigné
depuis, Kent Brantly a même pu marcher de nouveau.
Ce dernier avait également été transfusé avec une poche de sang d'un
adolescent de 14 ans qui a survécu à l'infection par le virus Ebola et
a donc produit naturellement des anticorps contre cet agent infectieux.
Nancy Writebol a reçu également une dose, mais l'effet observé a été
moindre. Une seconde dose a toutefois permis une « amélioration
significative de son état », note CNN, qui lui a permis d'être
rapatriée vers les Etats-Unis lundi soir.
▪ Un effet incertain
On ignore encore le rôle joué par ce sérum dans l'état de santé des
deux Américains, le taux de mortalité du virus variant de 20 à 90 %
selon les experts.
Certains médias américains, notamment le spécialiste médical de CNN, le
docteur Sanjay Gupta, s'enthousiasment et parlent de traitement
miraculeux. Une réaction excessive tant que l'efficacité du ZMapp
n'aura pas été établie de manière scientifique chez l'homme.
▪ Un débat éthique
Cette pratique d'utiliser des « cobayes » n'a pas manqué de
provoquer le débat aux Etats-Unis. « Les médecins chargés de la
santé des patients ont pris une décision qui comportait des risques
mais aussi des bénéfices. Le risque était moins important que le
bénéfice potentiel », a résumé Anthony Fauci, directeur du NIH
(National Institute of Allergy and Infectious Diseases), dans les
colonnes du Washington Post.
Aux Etats-Unis, la prise d'un médicament non autorisé par l'agence
sanitaire est interdite hors essai clinique. Mais l'agence américaine
du médicament (FDA) peut parfois avoir recours au « compassionate
use », un dispositif qui permet de faire exception dans
certains cas où la vie d'un patient est directement menacée.
Outre les problèmes éthiques posés, principalement le risque de faire
plus de mal que de bien aux malades, la question du traitement,
forcément onéreux, des personnes infectées dans les pays actuellement
touchés par l'épidémie se pose.
La situation déjà problématique des perceptions locales plutôt
négatives à l'égard des interventions des organisations humanitaires
étrangères va également entrer en ligne de compte.
6 Août 2014
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