Victoire contre la méningite A en Afrique
Par Paul Benkimoun
Un
vaccin conjugué contre la méningite A (« MenAfriVac »),
introduit en Afrique il y a cinq ans, a presque éliminé cette maladie
régulièrement responsable d’épidémies dans la zone sahélienne,
annoncent mardi 10 novembre l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et l’organisation non gouvernementale américaine PATH (Program
for Appropriate Technology in Health).
En 2013,
seulement quatre cas de méningite A confirmés en laboratoire ont été
recensés dans les 26 pays de la « ceinture africaine de la
méningite » où elle sévit. Un « succès spectaculaire »,
documenté sur plus de deux cents pages et en vingt-neuf articles dans
un supplément de la revue Clinical Infectious Diseases, daté du
15 novembre.
« Après les grosses épidémies des années 1990 et l’épidémie
particulièrement meurtrière de 1996, où plus de 10 % des deux cent
cinquante mille personnes infectées sont décédées, les ministres de la
santé d’Afrique subsaharienne ont lancé un appel à “faire quelque
chose” », se souvient Marie-Pierre Preziosi, médecin chercheuse au
département vaccins de l’OMS, qui a dirigé le Meningitis Vaccine
Project jusqu’à son terme, en décembre 2014. Contrairement à
l’Asie, qui connaît des épidémies tous les vingt ou trente ans, les
épidémies de méningite bactérienne, souvent foudroyantes, frappent
régulièrement le continent africain. Cela a conduit l’OMS à prendre des
contacts qui ont abouti à un partenariat avec PATH pour lancer
en 2001 le projet avec le soutien financier de la Fondation Gates.
Nouveau vaccin à prix coûtant
Il s’agissait de mettre au point un nouveau vaccin contre le
méningocoque du groupe A — à l’origine de 90 % des épidémies en
Afrique —, conférant une immunité plus forte et plus durable, et dont
le prix soit suffisamment bas pour le déployer à grande échelle dans
des pays à faibles revenus. La technologie employée n’a rien de
récent : elle consiste à renforcer la capacité à provoquer une
réponse immunitaire, relativement faible, des sucres appartenant à
l’enveloppe du méningocoque A en les conjuguant à une protéine
porteuse, en l’occurrence l’anatoxine tétanique. L’OMS a estimé que le
vaccin vendu à prix coûtant devrait être acheté à moins de un dollar.
Les fabricants de vaccins des pays développés ont jugé qu’il leur était
impossible de s’aligner sur un tel tarif. Le Projet vaccin méningite
s’est donc tourné vers ceux de pays émergents. Il a pu faire affaire
avec le Serum Institute of India en arrivant au prix d’un demi-dollar
la dose, la contrepartie de ce prix bas étant que les risques liés au
développement pharmaceutique et clinique soient pris en charge par le
projet.
Quelque 237 millions de personnes vaccinées
En décembre 2010, après avoir été avalisé par les autorités
sanitaires indiennes et préqualifié par l’OMS, le nouveau vaccin
conjugué contre le méningocoque du groupe A a été introduit au Burkina
Faso, au Mali et au Niger, en ciblant la population âgée de 1 à 29 ans.
« Depuis 2010, souligne la docteure Preziosi, quelque
237 millions de personnes ont pu être vaccinées contre le
méningocoque A dans les vingt-six pays situés dans la ceinture
africaine de la méningite. » Cette zone a été définie en 1963
par le médecin militaire français Léon Lapeyssonie : « Une
bande de terrain courant de l’Atlantique à la mer Rouge, entre le 4e et
le 16e degré de latitude », soit du Sénégal à l’Ethiopie.
Quarante millions de personnes ont également été vaccinées dans dix
pays se trouvant à la frontière de la ceinture. Car le changement
climatique modifie l’aire de cette zone de prédilection des épidémies
de méningite, telle que Lapeyssonie l’avait décrite. Elle descend à
présent plus bas vers des zones jusqu’alors tropicales humides. Elle
atteint ainsi le Ghana, le Bénin, le Togo et le sud du Nigeria. Les
épidémies surviennent en effet lors de périodes de sécheresse et de
températures élevées, probablement parce qu’elles constituent des
facteurs d’irritation des muqueuses respiratoire et buccale, ce qui
favorise le passage vers le cerveau.
Mis au point directement pour les pays en développement
« C’est la première fois qu’un vaccin est mis au point directement
pour les pays en développement, se réjouit la docteure Preziosi. Tout
au long du processus, de la définition du profil du vaccin à son
déploiement, les pays concernés ont été associés, ce qui a été un
facteur décisif du succès des campagnes de vaccination. »
Coordinatrice médicale internationale de Médecins sans frontières, la
docteure Mimi Henkens est impliquée depuis vingt ans dans la lutte
contre la méningite. Pour elle, « la méningite A a disparu comme
problème de santé publique en Afrique grâce à un vaccin efficace et à
un cahier des charges strict : que ce dernier soit utilisable en
Afrique et qu’il ait un prix très bas. Ce vaccin est né d’un concept de
produit basé sur les besoins des populations qui cassait les codes de
la recherche et développement fondés sur le profit. Il résulte aussi
d’une volonté politique qui a été rassemblée et coordonnée par Marc
LaForce, de PATH ».
Le succès du projet qui, selon l’OMS et PATH, « a pratiquement
réussi à libérer l’Afrique de cette maladie », les a conduits à
fermer en décembre 2014 le Projet vaccin méningite. Ces
organisations passent à présent le relais aux Etats pour une période de
trois ans afin qu’ils incluent le MenAfriVac dans la vaccination de
routine, chez les enfants entre 9 et 18 mois.
La mission n’est « pas encore terminée »
En effet, le docteur Jean-Marie Okwo-Bele, directeur du département
vaccination et produits biologiques de l’OMS met en garde :
« Notre mission n’est pas encore terminée. Les avancées
spectaculaires contre la méningite A grâce aux campagnes de vaccination
de masse pourraient être remises en question si les pays ne parviennent
pas à maintenir un niveau élevé de protection de la population en
intégrant le vaccin contre la méningite à leurs programmes de
vaccination systématique des nourrissons. »
De plus, la docteure Henkens s’inquiète d’une « présence accrue de
la méningite C avec le potentiel de grosses épidémies, notamment au
Nigeria et au Niger, alors qu’il y a trop peu de vaccins et qu’ils
coûtent beaucoup plus cher. » L’équipe du Serum Institute of India
travaille à un vaccin conjugué contre les deux types de méningocoque A
et C, mais il ne sera pas disponible avant 2020.
11 Novembre 2015
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