Le récit enchanté d'un Paris écologique en 2050
Par Tom Rossi — 21 mars 2017 à 16:53
Une
étude prospective commandée par la ville de Paris affirme qu'une
évolution vers une capitale «neutre en carbone» d'ici à 2050 est
«rationnelle» et «raisonnable» si de nombreux efforts sont consentis
dans la construction et la rénovation des bâtiments.
Nous
sommes en 2050 à Paris. Deux fois moins de véhicules circulent pour
laisser place aux piétons, vélos et transports collectifs propres, le
périphérique est un boulevard urbain entouré d’espaces verts et de
petites parcelles agricoles, la quantité de déchets a été divisée par
deux, les Parisiens se baignent dans la Seine, les toits des bâtiments
sont garnis de panneaux solaires. Les pics de pollution ne sont évoqués
que dans les bouquins d’histoire ou les documentaires. Paris est une
ville «neutre en carbone», elle compense 100% de ses émissions de gaz à
effet de serre.
Voici l’objectif ambitieux sur lequel planche la municipalité à
l’occasion de la révision de son plan climat qui doit être soumis aux
élus à l’automne. L’équipe d’Anne Hidalgo a donc commandé une étude
prospective au groupement de sociétés de conseil Elioth. Ce rapport de
368 pages, intitulé «Paris change d’ère», propose un récit de
trente ans de (r)évolutions écologiques dans les transports, le
bâtiment, l’alimentation et la gestion des déchets. Et sa conclusion se
veut optimiste : oui la neutralité carbone en 2050 est possible à
condition d’investir, de rénover et de maintenir un cap précis malgré
les possibles alternances à la tête de la ville.
Sans surprise, la production d’énergies renouvelables et la profonde
transformation des bâtiments sont indispensables pour faire chuter les
rejets de CO2 de 50% d’ici à 2030 et 80% d’ici à 2050.
Certes, cet objectif sera difficile à atteindre, mais le dernier bilan
carbone de la capitale est assez encourageant avec une réduction de 9%
des rejets enregistrés entre 2004 et 2014. Des chiffres qu’il
faudra nettement améliorer puisque l’étude prend en compte les rejets
indirects comme la production et le transport des marchandises
importées. Cependant, les déplacements aériens des touristes et
habitants ne sont pas comptabilisés alors qu’ils représentent environ
un quart des émissions.
Autoconsommation
La loi de transition énergétique pour la croissance verte, votée en
juillet 2015, prévoit que la part du nucléaire dans la production
électrique s’élève à 50% en 2030 et 25% d’ici à 2050. L’Etat envisage
donc le développement de l’éolien et du solaire photovoltaïque.
Pour la capitale, les auteurs ont trouvé un moyen de répondre à cet
objectif : «En 2050, près de 20% des toitures de Paris
disposeront de capteurs solaires, dont 85% seraient des panneaux
solaires photovoltaïques», soit environ 30 millions de m². La
production électrique d’un tel dispositif atteindrait annuellement
entre «1 200 et 1 500 GWh, [soit] 10% de la consommation
électrique de l’ensemble du parc bâti de Paris». Une énergie qui sera
«autoconsommée» par les habitants des bâtiments concernés grâce à des
systèmes de stockage de l’électricité. L’Etat a déjà fait un premier
pas dans cette direction en faisant voter en février une
proposition de loi favorisant l’autoconsommation.
Cette constellation de toitures solaires sera une aubaine pour
l’environnement, mais aussi pour les Parisiens, qui verront leur
facture électrique diminuer. En effet, le retour sur investissement
«sera nettement inférieur à dix ans en 2050. Ainsi, au-delà
de cette période, les panneaux solaires produisent de l’énergie
gratuitement pendant toute leur durée de vie, supérieure à
trente ans.» Des panneaux solaires thermiques verront aussi le
jour pour fournir de l’eau chaude. Le chiffre avancé est de
900 000 m² pour une production totale, en 2050, de
«500 GWh, soit 15% de la consommation d’eau chaude sanitaire des
logements parisiens».
Pour remplir ces objectifs, la mairie montrera l’exemple en équipant
les bâtiments dont elle est propriétaire, ce qui représente
«5 millions de m², soit 17,4% du territoire bâti de la capitale».
Les Parisiens devront également se transformer en «consom’acteurs» en
achetant de l’électricité d’origine renouvelable. Alors que l’éclairage
public et les bâtiments municipaux «sont alimentés par une électricité
100% d’origine renouvelable», les Parisiens ne sont aujourd’hui que
0,10% à être clients de fournisseurs d’énergie propre. Ils seront 1% en
2020 et 5% à 10% en 2050.
Mais ces initiatives ne suffiront pas à couvrir l’ensemble des besoins.
Paris participera donc «aux financements et à l’exploitation de
capacités renouvelables en dehors de son territoire» pour compenser le
recours résiduel au gaz d’origine fossile. La municipalité s’engagera à
implanter 3 000 mâts éoliens et à créer 50 km² de fermes
solaires, ce qui représente la moitié de la surface de la capitale.
Rénover la majorité des bâtiments de Paris
Avec 21% des émissions, «le secteur du bâtiment et de la construction
est un poids lourd du bilan carbone parisien… et un poste clé de la
transition vers la neutralité carbone», souligne l’étude. Selon
l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), 1,4 million de
logements de la capitale répartis dans 100 000 immeubles
consomment annuellement «pour le chômage, l’éclairage, la
climatisation, les usages quotidiens 34 milliards de kWh, soit la
production annuelle de quatre centrales nucléaires».
Pour une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre
d’ici à 2050, le chantier du bâtiment est certainement l’un des
plus ambitieux. 85% de ces immeubles ont été construits avant la
première réglementation thermique de 1974. Le nombre des
modernisations envisagé est donc considérable et devrait atteindre 75%
des bâtiments parisiens. «Le rythme des rénovations devra tendre vers
5 500 logements par an dans le parc social (soit 2,3% du parc
existant chaque année) et 24 000 logements par an dans le
parc privé (soit 2,1% du parc existant chaque année)», précisent les
auteurs du rapport.
Les bâtiments haussmanniens, qui représentent près de la moitié du bâti
de la capitale, ne sont pourtant pas les plus énergivores grâce à leurs
murs épais. Les efforts devraient d’abord se concentrer sur ceux
construits entre 1918 et 1974, soit près de 15% des bâtiments
de la capitale. Ceux-là sont particulièrement mal isolés et très peu
performants d’un point de vue thermique du fait d’une construction
rapide dans une période d’abondance énergétique. D’après l’Apur, les
consommations de chauffage des logements neufs ont diminué de moitié
entre 1973 et aujourd’hui.
Des bâtiments en bois
Les constructions seront irréprochables avec un «rythme soutenu de 10
000 nouvelles unités par an, dont trois quarts de logements sociaux»,
contre 4 500 aujourd’hui. L’objectif étant de pallier le manque
d’offre de logements et l’accueil de «200 000 nouveaux
Parisiens» à l’horizon 2050. Les matériaux biosourcés seront
massivement utilisés grâce à un soutien des pouvoirs publics :
«Bois, liège, paille, chanvre, laine de mouton sont autant de solutions
alternatives aux matériaux "conventionnels" pour la fabrication de
structures porteuses, de bardages, de menuiseries ou d’isolants.» Tous
ces matériaux permettent de stocker le carbone et de préserver les
ressources naturelles.
Dans son récit, le rapport préconise même des objectifs précis pour les
années à venir : «Dès 2020, à Paris, sont livrés les premiers
immeubles "de grande hauteur" à structure primaire bois.
Pour 2030, l’objectif visé est de multiplier par trois l’usage du
bois dans la construction.» Toutes ces nouvelles habitations seront
particulièrement peu gourmandes en énergie et produiront mêmes plus
d’énergies qu’elles n’en consommeront grâce aux toits solaires. «Leur
empreinte carbone [sera] deux à trois fois plus faibles que celle des
bâtiments existants, si l’on considère l’intégralité de leur cycle de
vie.»
Pour financer tous ces projets, des aides et prêts publics pour
l’amélioration de l’habitat devront être proposés : «Eco-prêt à
taux zéro collectif, crédit d’impôt pour la transition énergétique,
certificats d’économie d’énergie.» Là encore, la ville de Paris devra
se montrer exemplaire en rénovant notamment la majorité de ses écoles.
Le secteur tertiaire, qui représente 13% des rejets de gaz à effet de
serre, est aussi concerné par cette vaste transition. Bureaux,
administrations, cafés, hôtels, restaurants, commerces et bâtiments de
santé auront aussi un rôle à jouer pour ne plus être dépendants du gaz
(57% de leurs besoins).
Transports, alimentation, forêts… rien n’est oublié
Cette (r)évolution énergétique concerne également les transports,
source de plus de la moitié des émissions de CO2, avec une
diminution par deux du nombre de voitures individuelles, pour passer
à 300 000. Ces véhicules seront occupés en moyenne par deux
occupants contre 1,1 aujourd’hui grâce au développement du
covoiturage, du travail à domicile et du télétravail. La plupart de ces
voitures seront propres, et il sera interdit de circuler le week-end.
Nos assiettes devraient aussi évoluer avec des menus moins carnés, car
aujourd’hui, l’alimentation est à l’origine d’un cinquième des
émissions de carbone. 150 hectares seront consacrés à
l’agriculture urbaine pour favoriser les circuits courts et l’économie
circulaire. Cela permettra de diminuer de moitié la quantité de déchets
par habitants, passant de 500 à 220 kilos par an.
Même avec tous ces efforts, la neutralité écologique ne pourra être
possible qu’en plantant 10 000 km² de forêts, soit la
superficie de l’Ile-de-France. La faute aux 5 millions de tonnes
d’équivalent CO2 (incompressibles) qui seront rejetées en 2050.
Aujourd’hui, c’est 50 000 km² qu’il faudrait pour compenser
100% des rejets carbonés de la ville de Paris, ce qui représente
500 fois sa taille.
Cette mutation «rationnelle» et «raisonnable» doit s’étaler sur trois
décennies, et le premier test pourrait être la possible organisation
des Jeux olympiques «propres» en 2024. Trente ans, c’est justement le
temps qu’il a fallu pour que Paris s’électrifie et devienne la
ville-lumière dotée de sa fameuse tour Eiffel, éclairée dès 1889.
22 Mars 2017
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