Josette Sheeran, directrice du Programme alimentaire mondial
"Un désastre alimentaire guette 14 millions de personnes"
Propos recueillis par Jean-Pierre Tuquoi |
Josette Sheeran est, depuis 2007, à la tête du Programme alimentaire
mondial (PAM), l'agence des Nations unies chargée de lutter contre la
faim dans le monde. Elle intervient dans les situations d'urgence.
Une crise alimentaire majeure frappe nombre de pays en développement.
Vous êtes satisfaite de la réponse de la communauté internationale ?
Au
moins le dossier est sur la table. Il fait partie de l'agenda
international. J'avais lancé un appel en mars et écrit à tous les chefs
d'Etat pour les sensibiliser. En moins de trois mois, j'ai récupéré
plus d'un milliard de dollars de promesses de financements
complémentaires. J'ai vu aussi avec satisfaction qu'au dernier G8 (qui
réunit les pays les plus riches de la planète) il y a eu une
déclaration sur la sécurité alimentaire. | |
Josette
Sheeran, directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), l'agence
des Nations unies chargée de lutter contre la faim dans le monde, à
Londres, le 22 avril 2008. | C'est une première. Il faut
maintenant que cette mobilisation se poursuive. La situation l'exige.
Comme l'a dit à sa façon la présidente du Liberia, Ellen Johnson
Sirleaf : "Ce n'est pas demain que l'on a besoin d'aide ; c'est hier." Donc,
non, je ne suis pas déçue. Nos besoins sont couverts pour les mois à
venir. Le défi véritable, ce sera l'année 2009 et les suivantes. Il
nous faut mobiliser deux fois plus de moyens financiers. Le budget
actuel du PAM est de l'ordre de 2 milliards d'euros. Pour faire face
aux besoins et couvrir nos coûts, il doit doubler. La communauté
internationale doit en être consciente.
Combien de personnes sont touchées par la crise alimentaire actuelle ?
C'est
difficile à dire avec précision. On estime qu'il y a un milliard de
personnes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour, pour nous le
seuil de pauvreté en deçà duquel la survie est problématique.
Or,
avec l'envolée des prix alimentaires et de ceux de l'énergie, le
pouvoir d'achat que représente un dollar a été d'un coup divisé par
deux ! Ces populations sont dans une situation de vulnérabilité
extrême. Elles sont les principales victimes de la crise actuelle. Bien
sur, dans les pays développés aussi on pâtit de l'envolée des prix,
mais des remèdes existent, que les Etats mettent en oeuvre. Dans les
pays en développement, il n'y a rien de tout ça. Ils ne peuvent compter
que sur eux-mêmes.
Comment expliquez-vous la situation actuelle, ces prix agricoles qui grimpent comme jamais ?
C'est
ce que j'appelle "la tempête parfaite", autrement dit la conjonction de
divers facteurs qui, pris séparément, n'auraient eu qu'un impact limité.
Je
pense que tout a commencé il y a trois ou quatre ans, lorsque la
consommation de certains produits agricoles de base a dépassé la
production à l'échelle mondiale. La sécheresse dans des pays comme
l'Australie n'a rien arrangé. Les stocks alimentaires ont commencé à
baisser, et pas simplement dans les pays riches. Ça a été la même chose
en Ethiopie par exemple. Est venue s'ajouter la hausse des cours du
pétrole. A 80 dollars le baril de brut, il devenait intéressant, d'un
point de vue économique, de fabriquer des carburants à partir de
denrées agricoles. C'était rentable.
Voilà l'enchaînement qui
nous a conduits au "tsunami agricole". J'emploie ce terme parce que la
crise alimentaire, comme un tsunami, ignore les frontières. Elle frappe
tous les pays. Nous sommes confrontés à la première crise alimentaire
globale.
Même parmi les pays pauvres, certains sont davantage touchés que d'autres.
C'est
exact. Les conditions locales viennent parfois aggraver les choses. On
le voit bien dans la Corne de l'Afrique, où un désastre alimentaire
guette plus de 14 millions de personnes. Elles doivent affronter des
difficultés supplémentaires propres à la région : une succession de
mauvaises récoltes, une sécheresse récurrente, une situation politique
chaotique comme en Somalie, où d'ailleurs cinq de nos travailleurs ont
été tués.
Dans la Corne de l'Afrique on est au bord du désastre.
Tous les jours, nos équipes locales scrutent le ciel. S'il pleut d'ici
à quinze jours, on peut espérer de bonnes récoltes en fin d'année.
Sinon, le pire nous attend.
Vous n'avez pas mentionné la spéculation, parmi les facteurs expliquant la crise.
J'aurais
pu. C'est un élément parmi les autres. Mais, comme les économistes de
la Banque mondiale, je ne crois pas que la spéculation joue un rôle
essentiel.
Vous pensez que les prix vont se maintenir aux niveaux actuels ?
J'espère
qu'ils vont se stabiliser. A long terme, je suis convaincue que le
monde va trouver une solution. La crise alimentaire des années 1970 a
permis à des pays comme le Brésil d'investir avec succès dans la
production agricole. Le même phénomène va se produire. Mais cette
fois, c'est l'Afrique qui prendra le relais. Certains pays, je pense à
l'Ouganda, à l'Ethiopie, à la Zambie, et à d'autres encore, ont
d'immenses possibilités agricoles.
Juillet 2008
L'ONU réclame une nouvelle politique agricole mondiale
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