Briser le cycle du chômage et de la pauvreté chez les jeunes
Par les nouvelles et analyses humanitaires de l'IRIN
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DAKAR,
11 février 2014 (IRIN) - D’après les experts, le chômage et le
sous-emploi des jeunes font partie des principaux obstacles au
développement en Afrique de l’Ouest. L’exclusion des jeunes du marché
du travail perpétue non seulement le cycle générationnel de la
pauvreté, mais elle mine également la cohésion sociale et peut être
associée à la hausse de la criminalité et la violence chez les jeunes
désoeuvrés.
« Un emploi décent et productif
contribue — non seulement — à atteindre un bien-être individuel et
familial fondamental, mais va bien au-delà et contribue également aux
objectifs plus généraux de la société tels que la réduction de la
pauvreté, la croissance de la productivité de l’ensemble de l’économie
et la cohésion sociale », a dit Diego Rei, conseillé régional de
l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour l’emploi des jeunes
en Afrique.
Dans le monde, selon l’OIT, on estime à 73 millions le nombre de jeunes
– définis comme appartenant à la tranche d’âge des 15-24 ans – qui
n’ont pas réussi à décrocher d’emploi en 2013. Le taux de sous-emploi
est quant à lui difficile à mesurer, mais selon les experts, des
millions de jeunes travaillaient probablement à des postes pour
lesquels ils étaient surqualifiés ou recevaient un salaire inférieur à
la moyenne.
En Afrique subsaharienne, le taux de chômage des jeunes tourne autour
de 12 pour cent. Ce chiffre est légèrement inférieur au taux de chômage
mondial de 12,4 pour cent, mais l’Afrique présente par ailleurs le taux
de pauvreté des travailleurs – c’est-à-dire la proportion de personnes
qui travaillent, mais gagnent moins de deux dollars par jour – le plus
élevé du monde. Les jeunes ont beau être la génération la plus
instruite d’Afrique à leur sortie de l’école ou de l’université, ils
ont, selon l’OIT, deux fois plus de risques de ne pas trouver d’emploi
lorsqu’ils atteignent l’âge adulte.
« Ici, en Afrique, nous avons cette idée que si j’apprends, j’aurais un
travail à l’avenir », a dit Mamadou Diene, un étudiant en anglais à
l’université Cheikh Anta Diop de Dakar âgé de 22 ans qui veut devenir
traducteur. « Mais, au contraire, seul un petit nombre [de personnes
instruites] ont trouvé un emploi. C’est un réel problème. »
Une forme d’exclusion sociale
Dans un rapport de fin 2013 sur l’inclusion sociale, la Banque mondiale
considère le chômage des jeunes comme une forme d’exclusion sociale,
notamment dans les pays en développement. Cela freine et dégrade le
rôle des jeunes dans la société et le développement de leur pays et
limite leur bien-être et leurs perspectives personnels.
Selon la Banque mondiale et l’OIT, il est stressant et décourageant
pour les jeunes de ne pas trouver, tôt dans sa vie, un emploi de
qualité et avec de bonnes conditions. D’après un rapport de la Banque
mondiale de 2014 sur l’emploi des jeunes, lorsque ces derniers ne
trouvent pas d’emploi, le risque d’être au chômage à l’âge adulte
augmente, tout comme leurs chances d’être mal rémunérés plus tard.
Il n’y a pas de lien concret entre le chômage et la violence ou la
criminalité, ont noté les chercheurs de la Banque mondiale, mais les
jeunes sans emploi sont bien plus susceptibles de commettre des crimes
lorsque d’autres facteurs, tels que le manque de soutien, sont
également présents.
Les jeunes femmes d’Afrique subsaharienne sont particulièrement
désavantagées lorsqu’il s’agit de trouver un emploi, car elles ont
généralement moins accès à une éducation et des soins de santé de
qualité que les hommes.
Des millions d’emplois devront être créés pour intégrer les 11 millions
de jeunes Africains qui devraient rejoindre chaque année le marché du
travail pendant les dix prochaines années, a annoncé la Banque mondiale
dans son rapport.
Une forte croissance, mais pas d’emploi
De nombreux pays africains ont enregistré des taux de croissance
économique élevés ces dernières années, mais cela ne s’est pas traduit
par une hausse de l’emploi.
Selon Deon Filmer, économiste en chef du groupe de recherche de la
Banque mondiale et coauteur du rapport de l’organisation, cela
s’explique en partie par le fait qu’une bonne part de la croissance
affichée par les pays d’Afrique subsaharienne au cours des dix
dernières années est due aux industries extractives – de pétrole, gaz
et minerais. « Ces industries génèrent des résultats et des recettes
qui se retrouvent dans la croissance du PIB, mais elles ne créent pas
particulièrement beaucoup d’emploi. »
Proportionnellement aux résultats et aux recettes, ces secteurs créent
bien moins d’emplois que les activités manufacturières destinées à
l’exportation, a-t-il ajouté.
En outre, la création d’emplois salariés ne peut pas suivre le rythme
de la croissance de la population. L’Afrique connaît le plus grand «
boom des jeunes » du monde et, d’après la Banque mondiale, le nombre de
jeunes devrait augmenter de 42,5 millions entre 2010 et 2020. Même dans
des pays comme le Ghana et la Tanzanie, où le nombre d’emplois salariés
a connu une hausse d’environ dix pour cent, cette augmentation ne
suffit pas à absorber tous les nouveaux venus sur le marché du travail.
Or, près de la moitié de la population africaine actuelle ayant moins de 14 ans, le problème ne peut que s’aggraver.
Étudier l’agriculture plutôt que les relations internationales
Le directeur du Groupe de l’analyse des politiques économiques de la
Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO), Felix Fofana N’Zue, a dit à IRIN que si de nombreux
jeunes étaient exclus du marché du travail, cela s’expliquait par le
fait que leurs compétences ne correspondent pas aux demandes du marché.
« L’Afrique n’a pas réussi à former sa population pour répondre à ses
besoins », a-t-il dit. « Elle a au contraire formé les jeunes Africains
pour satisfaire et répondre aux besoins d’autres personnes. »
Au Sénégal, par exemple, a expliqué M. N’Zue, le secteur agricole
emploie près de 80 pour cent de la population active, mais la majorité
des diplômés de l’université ont étudié dans des domaines comme
l’économie, les lettres, les sciences sociales et les relations
internationales.
Selon M. N’Zue, bien que ces domaines soient importants, ils conduisent
les jeunes au chômage ou au sous-emploi s’ils restent en Afrique ou les
poussent à migrer aux États-Unis ou en Europe.
« Lorsque nous commencerons à former les gens à des compétences dont
ils ont besoin pour occuper les postes que nous devons créer et
pourvoir, les jeunes deviendront un atout précieux pour le marché du
travail », a-t-il dit.
Flaubert Mbiekop, responsable du programme de politique économique et
sociale du Centre de recherches pour le développement international
(CRDI), est du même avis.
« En ce qui concerne le chômage des jeunes, l’un des problèmes que nous
avons étudiés est l’incompatibilité apparente entre les qualifications
des jeunes et les attentes des employeurs sur le marché du travail »,
a-t-il dit.
Il est cependant difficile de convaincre la minorité de jeunes ayant
accès à l’université de renoncer à des études dans des domaines qui
conduisent, selon eux, à des professions plus lucratives – comme la
finance, la gestion, le droit et la médecine – pour étudier l’élevage
et l’agriculture.
« Nous voyons de nombreux jeunes venir de zones rurales avec l’espoir
qu’en ville, ils bénéficieront d’une vie meilleure, d’un meilleur
emploi, mais ce n’est pas nécessairement le cas », a dit M. Mbiekop. «
La question est donc de savoir comment rendre le secteur agricole plus
attractif pour les jeunes. Comment peut-on susciter leur intérêt dans
un secteur qui n’est pas encore bien développé dans de nombreux pays
africains, mais qui offre tant de possibilités ? » a-t-il demandé.
Les étudiants ont besoin de crédits
« Le chômage des jeunes n’est pas un problème unidimensionnel. Nous
devons prendre en compte l’aspect du capital humain – ce que les jeunes
apportent à leur travail, leurs capacités, etc., et l’environnement
commercial qui favorise un travail productif ou non, la création
d’entreprises compétitives ou non », a dit M. Filmer.
Mais il ne suffit pas que les gouvernements et le secteur privé créent
plus d’emplois pour les jeunes – que ce soit dans l’agriculture, la
production manufacturière ou l’exploitation des ressources naturelles.
L’accès à une éducation de qualité doit également être amélioré, tout
comme le développement de compétences par le biais de programmes
d’apprentissages et de stages.
Les jeunes ont également besoin d’avoir davantage accès au crédit, a-t-il dit.
« Si l’on s’intéresse à la question de l’intégration financière, on
peut observer que de nombreux [jeunes] travailleurs ont leur propre
entreprise, mais ils manquent d’accès au crédit pour pouvoir acheter
des intrants », a dit M. Filmer. « Des réformes sont donc nécessaires
pour permettre aux jeunes d’avoir accès aux marchés financiers. »
Plusieurs formes de soutien sont possibles : cela va de la mise en
place de groupes d’épargne à l’échelle du village à l’utilisation de
nouvelles technologies financières, telles que les transferts d’argent
par téléphone mobile. Ces deux approches ont retenu l’attention des
jeunes, leur ont ouvert la porte des marchés financiers et leur ont
permis de monter leurs propres entreprises.
L’accès à des espaces de travail et des terres est également important,
notamment pour les femmes, qui sont souvent privées de leur droit à la
propriété foncière.
« Nous observons que l’accès à la terre pour les jeunes des milieux
ruraux, par exemple, et à des lieux leur permettant de monter une
entreprise en milieu urbain est une réelle contrainte et que les jeunes
sont vraiment exclus de ces marchés », a dit M. Filmer.
Selon M. Rei, de l’OIT, les interventions sur le marché du travail,
telles que la création d’incitatifs poussant le secteur privé à engager
des jeunes, les informations apportées aux jeunes concernant les postes
vacants et les perspectives de carrière et les mesures garantissant la
transparence et l’absence de discrimination dans les processus de
recrutement joueront également une part importante dans l’intégration
des jeunes au marché du travail.
15 Février 2014
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