Le déversement des plastiques dans les océans pourrait décupler d’ici à dix ans. PS : il faut eviter cela !
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
A
défaut de profonds changements dans la gestion des déchets, la quantité
de matières plastiques déversées dans les océans pourrait décupler dans
la prochaine décennie. Et plus la densité de ces particules dans
l’environnement marin augmente, plus la probabilité est grande qu’elles
finissent par s’accumuler dans la chaîne alimentaire — c’est-à-dire,
finalement, dans nos estomacs. Ce mouvement de retour à l’envoyeur a
d’ailleurs déjà commencé.
C’est,
en substance, ce qu’assurent plusieurs travaux récents, dont les
derniers, publiés vendredi 13 février dans la revue Science, sont les
premiers à déterminer, pays par pays, les principaux contributeurs à la
pollution des mers par le plastique. La biologiste Jenna Jambeck
(université de Georgie, à Athens, Etats-Unis) et ses coauteurs estiment
que les cent quatre-vingt-douze pays côtiers de la planète ont produit,
en 2010, un total d’environ 275 millions de tonnes de déchets en
plastique, dont quelque 8 millions de tonnes ont fini leur vie
dans les océans. « Cette quantité déversée augmente chaque année, et
notre estimation pour 2015 est d’environ 9,1 millions de tonnes »,
selon Jenna Jambeck.
LA CHINE, PREMIER CONTRIBUTEUR À LA POLLUTION DES MERS
Selon le modèle développé par les chercheurs, le premier contributeur
mondial serait la Chine, qui aurait déversé à elle seule, en 2010, près
de 2,8 millions de tonnes de matières plastiques dans les océans.
Elle est suivie dans ce classement par l’Indonésie, les Philippines, le
Vietnam et le Sri Lanka. Les Etats-Unis arrivent en 20e position. Aucun
membre de l’Union européenne ne figure parmi les vingt plus gros
pollueurs ; mais les vingt-trois pays européens disposant d’un accès à
la mer seraient, s’ils étaient considérés ensemble, le 18e plus gros
pourvoyeur de détritus en plastique.
« C’est un article révolutionnaire qui donne à la question des détritus
marins une nouvelle perspective », estime Richard Thompson
(université de Plymouth, Royaume-Uni), dont l’équipe a, en 2004,
identifié l’ampleur du problème posé par les microplastiques dispersés
dans les mers du globe. « En général, nous tentons d’estimer la
quantité de détritus dans l’environnement marin en comptant le nombre
de déchets flottant à la surface des océans, poursuit le biologiste
britannique. Mais nous sommes nombreux à penser que cette méthode
conduit à sous-estimer le problème. »
Jenna Jambeck et ses collègues l’ont eux considéré dans l’autre sens.
En croisant les données sur les quantités de déchets plastiques
produits chaque année et les méthodes de gestion de ces déchets, les
chercheurs sont parvenus à estimer la quantité de matière plastique qui
finit logiquement sa vie dans la mer. Les dynamiques économiques à
l’œuvre leur permettent également, pour la première fois, d’évaluer
l’ampleur du problème non seulement actuel, mais à venir. Si les
systèmes de gestion des déchets n’étaient pas améliorés ou si les
quantités de plastique utilisées ne chutaient pas, ce seraient pas loin
de 80 millions de tonnes de plastique qui pourraient être
dispersées chaque année dans les mers d’ici à 2025.
INGESTION DU PLASTIQUE PAR LES ORGANISMES MARINS
L’ampleur des flux de plastique dans l’océan confirme une nouvelle fois
que l’écrasante majorité de ces déchets ne demeure pas en surface, mais
que les cycles naturels leur offrent une variété de destins. Conduits
par le biologiste Andrés Cozar (université de Cadix), des chercheurs
ont publié à l’été 2014 les résultats d’une campagne de mesures
mondiale suggérant que seules 7 000 à 35 000 tonnes de
matières plastiques étaient détectables à la surface des océans. En
décembre, une autre publication, fondée sur des extrapolations de
données locales, concluait à une charge de plastique flottant d’environ
269 000 tonnes. Des estimations différentes qui montrent l’ampleur
des incertitudes, mais qui toutes deux rappellent que l’essentiel de ce
qui a été introduit dans les océans est caché, introuvable.
« Cela suggère l’existence d’une combinaison de mécanismes qui retirent
efficacement le plastique flottant des eaux de surface, dit M. Cozar.
Il y a plusieurs voies possibles de transfert vers l’intérieur de
l’océan. L’une d’elles, l’ingestion du plastique par les organismes
marins, est l’objet d’une préoccupation particulière. » Dans leurs
échantillons, M. Cozar et ses collègues s’attendaient ainsi à trouver
bien plus de morceaux de plastique d’une taille de l’ordre du
millimètre, qu’ils n’en ont découvert. Or, ces dimensions sont
précisément celles du zooplancton. Explication probable : les poissons
prédateurs de ces planctons ingèrent de grandes quantités de particules
de plastique. « Le nombre de publications montrant la consommation de
microplastiques par les organismes marins augmente rapidement dans la
littérature scientifique », confirme M. Cozar.
Selon Richard Thompson, des individus d’environ sept cents espèces
marines — dont les poissons de la Manche ou des mollusques communs
comme les moules, etc. — se sont révélés contaminés par des
microplastiques. « On ne retrouve en général qu’un très faible nombre
de microplastiques dans ces organismes, dit M. Thompson. Actuellement,
ce n’est pas encore une alarme sanitaire, mais c’est clairement une
mise en garde pour l’avenir. ».
13 Février 2015
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