Pan Yue et la catastrophe écologique chinoise. Un cri d’alarme à méditer
Par François Danjou



Mauvaise nouvelle pour Pékin qui tient tant à son image publique : l’Agence Internationale pour l’Environnement (A.I.E) et l’O.C.D.E ont toutes deux conclu l’année 2006 en pointant du doigt les graves problèmes de pollution qui accablent la Chine. Déjà premier émetteur mondial de dioxyde de souffre, la Chine dépassera dès 2009 les mauvais records américains en matière d’émissions d’oxyde carbone. Soulignant l’inefficacité des politiques chinoises et l’urgence à les renforcer, le rapport de l’OCDE dénonce l’inertie des bureaucraties locales enfermées dans les logiques mercantiles qui autorisent les pires transgressions, y compris la falsification des rapports et des chiffres.

Les dirigeants sont bien conscients de l’état catastrophique des cours d’eau, de la pollution massive des côtes, de l’érosion des terres, saccagées par des décénies de déboisement et de développement sauvage, tandis que les statistiques officielles leur rappellent sans cesse la dégradation régulière de la qualité de l’air dans la plupart des grandes villes chinoises. Le discours politique souligne encore parfois que la situation de la Chine en développement la dispense de se conformer complètement aux exigences de la protection de l’environnement, d’autant que les Etats-Unis, plus grand pays développé et plus grand pollueur, n’y consentent qu’à moitié. Il reste que le poids du nombre, ajouté à la violence de la croissance, souvent sans freins, créent en Chine une situation qui rend ce discours obsolète et dangereux, retardant les solutions, favorisant parfois des dommages irréversibles.

En fait, l’alarme est donnée depuis longtemps et parfois de manière brutale par des responsables chinois eux-mêmes. Ainsi Pan Yue, vice-directeur de l’agence nationale pour la protection de l’environnement, 46 ans, tient depuis plusieurs années un discours sans concessions qui pointe les responsabilités à tous les niveaux, égratignant au passage, et non sans raisons, le modèle de développement occidental. Il est difficile de dire si le style des déclarations très crues et très directes de Pan Yue récueille l’adhésion complète du Parti, mais force est de constater que sa pensée qui s’inscrit avec subtilité dans le discours et les slogans répétés à satiété par l’appareil politique, lui donne une sérieuse marge de manœuvre. Celle-ci est peut-être encore augmentée par le fait que, comme Hu Jintao, Pan Yue est membre des jeunesses communistes qu’il représente au Comité Central du PCC depuis 10 ans.

Ses communications qui tranchent par leur franchise s’inspirent de la pensée « éco-socialiste » développée par le parti des « Verts » en Allemagne, dont certaines idées sont en phase avec la doctrine de Hu Jintao et Wen Jiabao. Depuis 2002, en effet, ces derniers prônent le rééquilibrage harmonieux du développement, la correction des inégalités, la lutte contre les abus de toutes sortes, le respect des lois, seuls en mesure de favoriser l’émergence d’une société harmonieuse. Ce discours d’équilibre qui insiste, entre autres, sur une relation apaisée entre l’homme et la nature a de surcroît le mérite de renvoyer aux valeurs ancestrales de la société chinoise fracassées par des décennies de dérapages maoistes, mais que l’actuel pouvoir s’applique à remettre à l’honneur.



Toujours dans la lignée des « Verts », la deuxième référence de Pan Yue au discours politique ambiant est l’évocation des avatars du capitalisme. Ces derniers sont, selon Pan Yue, les véritables responsables des désastres écologiques. Ils ont en effet initié un schéma de développement colonialiste, exploiteur et polluant, dont la Chine, qui accueille la plupart des industries polluantes de l’Ouest, serait toujours une victime. En bref les pays occidentaux sont accusés d’avoir fondé leur croissance sur l’exploitaion des ressources de leurs colonies, puis d’avoir délocalisé leurs industries les plus polluantes pour - égoïstement - protéger leur environnement. Pour faire bonne mesure Pan Yue n’hésite pas à reprendre les thèmes les plus éculés - et invariablement contredits par les faits - de la pensée socialo-communiste, selon lesquels le « socialisme » serait « plus honnête et plus moral », voire « mieux à même de promouvoir la démocratie aux premiers échelons de la société ».

Il reste que les conclusions générales du franc-tireur chinois de l’environnement sont logiques et donnent à réfléchir, dans un monde marchand, où la croissance reste essentiellement le fruit de la consommation et où la recherche effrénée du profit sape les efforts pour plus d’harmonie écologique. Elles insistent sur le fait que, compte tenu des déséquilibres population-ressources et du poids considérable de sa démographie, la Chine, qui ne peut « délocaliser sa pollution », ne pourra calquer son mode de développement sur ceux des pays occidentaux. Il ne suffira pas seulement de mettre en œuvre des techniques non polluantes ou des politiques d’économie d’énergie et de ressources, mais il faudra, explique Pan Yue, aller beaucoup plus loin et procéder, dans les 20 années qui viennent, à une véritable révolution économique, sociale, politique et culturelle.

Bardé de cet arsenal idéologique qui balise son action et le protège d’autant mieux des ripostes politiques que ses analyses sur les responsabilités et l’hypocrisie des pays développés sont souvent justes, Pan Yue libère totalement son discours et ne mâche pas ses mots. Il écrit par exemple : « S’il est vrai qu’en 30 années la Chine a rattrapé un siècle de retard économique, il est aussi exact que pendant cette période elle a accumulé des dommages environnementaux, dont le coût annule les bénéfices de la croissance » ; ou « le miracle économique chinois prendra bientôt fin car l’environnement saccagé ne suit plus.

Les pluies acides s’abattent sur un tiers du territoire, 50% des eaux des sept plus grands fleuves sont inutilisables, 25% de la population n’a pas accès à l’eau potable, 30% des populations des villes respirent un air pollué et, à Pékin, 70 à 80% des cancers mortels sont liés à la pollution, moins de 5% des déchêts urbains sont traités de manière rationnelle et durable » ; et encore : « nous utilisons trop de matières premières pour soutenir notre croissance : 7 fois plus que le Japon, 6 fois plus que les Etats-Unis, et , ce qui est peut-être le plus gênant , presque 3 fois plus que l’Inde » et enfin : « la Chine s’approche dangereusement d’une phase critique. Sa colossale dette écologique devra être payée d’une manière ou d’une autre. Faisons le pendant qu’il est encore temps et avant que le pays ne soit réduit à la faillite ».

Le constat est brutal et inquitétant. S’il est vrai que parfois il attribue trop d’importance aux causes extérieures du mal et pas assez aux mauvaises habitudes chinoises d’un développement mal géré, parfois sauvage, uniquement axé sur le profit, encore très largement alimenté par le charbon, sa vision mondiale des responsabilités est juste. La Chine, qui devient peu à peu un bouc émissaire écologique, n’est encore pour presque rien dans les actuelles dégradations du climat, provoquées par des décennies de croissance occidentale sans frein, que les grands protocoles sur l’environnement ne parviennent pas vraiment à enrayer.

On ne répètera jamais assez que la Chine n’est pas la cause des problèmes du monde, mais plutôt leur révélateur. Ainsi l’OCDE et l’AIE pourrait tout aussi bien adresser les même critiques à la communauté internationale qui, elle aussi, lutte trop peu et plutôt mal contre les dégradations de l’environnement.

Il est vrai que la Chine doit inventer un nouveau mode de développement sous peine d’aller dans le mur. Mais n’est-ce pas également la situation dans laquelle se trouve la planète ? Au lieu de chercher des boucs émissaires, prenons garde à ce que l’actuelle situation de la Chine, au bord de la faillite écologique, ne préfigure pas celle de la planète dans une vingtaine d’années et essayons de réfléchir avec Pékin à des schémas de développement moins esclaves du court terme et moins destructeurs
.

Janvier 2007


Abonnez-vous à Questions Chine


Retour à la Pollution

Retour au Sommaire

INFORMATIONS SANS FRONTIERES

Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact